Yves Genier et Servan Peca
Eclairage. Voiture, vacances, télévision ou encore maison: jamais le crédit n’a eu de conditions aussi favorables qu’aujourd’hui. Et jamais son accès n’a été plus difficile.
Les ménages devraient-ils accélérer leur endettement pour accroître leurs dépenses? Des dépenses qui peuvent contribuer à relancer la consommation, et donc stimuler la création d’emplois. Par exemple en changeant de voiture ou de télévision, en investissant dans l’isolation de leur logement ou dans des sources d’énergie renouvelable.
Et même si l’emprunteur individuel ne jouit pas de taux négatifs comme la Confédération, les cantons et les communes, la charge d’intérêts n’a jamais été aussi basse: moins de 5% pour un crédit à la consommation, moins de 1,5% pour une hypothèque à dix ans, et parfois même 0% pour un leasing.
Contrairement à la Confédération, les ménages suisses s’endettent, mais surtout pour acquérir une maison. Les créances hypothécaires ont bondi de 16% entre 2010 et 2014, selon la Banque nationale suisse (BNS), pour atteindre 739,7 milliards de francs.
Pour les autres dépenses, ils restent prudents. Le total des crédits à la consommation est ainsi demeuré stable ces cinq dernières années, aux alentours de 15,4 milliards de francs, toujours selon la BNS. Près de neuf personnes sur dix (87,4%) partagent fortement l’avis qu’il leur serait particulièrement désagréable d’avoir des dettes, selon une enquête de l’Office fédéral de la statistique (OFS) datant de 2013.
Epargne en hausse
Dans leur ensemble, les Suisses auraient pourtant les moyens de prendre davantage de risques. Le revenu disponible médian (revenu total moins les impôts et les charges sociales) d’un ménage est l’un des plus élevés du monde avec 7130 francs en 2013. Entre 2002 et 2014, l’épargne et les placements dans les banques suisses ont augmenté de 287 milliards de francs. Plus de 60% de cette hausse, soit 168 milliards, a été réalisée au cours des quatre dernières années.
De plus, le chômage en Suisse est parmi les plus bas des pays développés, à 3,2% de la population active.
Seule une tranche de la population a trop tiré sur la corde et se retrouve surendettée: l’OFS a calculé que 6,1% de la population est en poursuite ou endure un acte de défaut de biens. Quant au nombre de faillites personnelles, les statistiques ne donnent aucun chiffre. «Ce sont toujours les mêmes raisons qui acculent les gens: des retards dans le paiement des impôts, de l’assurance maladie, les procédures engagées par les sociétés de recouvrement», explique l’assistante sociale Ghislaine Savoy, du pôle de désendettement de Caritas Genève.
Néanmoins, même pour les personnes aux conditions financières saines, il devient très difficile de s’endetter au-delà d’un certain seuil. Les règles sont devenues très contraignantes depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet dernier, de la loi sur le crédit à la consommation.
Désormais, les banques émettrices de petits crédits ne peuvent plus exiger des taux d’intérêt supérieurs à 10%. Aussi, les établissements spécialisés, principalement Cembra et Credit-now, «se montrent plus prudents avant d’accorder des prêts à des personnes peu solvables», explique Sébastien Mercier, secrétaire général de la fondation Dettes Conseils de Caritas Suisse.
Durcissement
Les prêts hypothécaires, eux, font l’objet de limitations drastiques depuis 2013: tout débiteur doit pouvoir assumer un taux d’intérêt théorique de 5%, auquel s’ajoutent un amortissement de 1%, une couverture des frais d’entretien de son logement de 1% également, et de l’amortissement accéléré de la première tranche de son prêt. Des charges dont le total ne doit pas dépasser 30% du revenu brut du ménage.
Conséquence classique: un grand nombre de demandes de prêts hypothécaires émanant de jeunes ménages et de personnes arrivant à l’âge de la retraite sont rejetées. Des refus systématiques qui amènent deux banques, Migros et Raiffeisen, à exiger une réduction du taux d’intérêt théorique à 3%, au lieu de 5%, afin de faciliter l’octroi de crédits.
Ces durcissements ont non seulement réduit le risque de surendettement individuel, mais aussi stabilisé le prix des maisons, qui ne cessait de prendre l’ascenseur. Effet collatéral: toute une tranche de la population se trouve désormais exclue du crédit faute de solvabilité jugée suffisante. Plus que jamais s’impose l’adage qui veut que l’on ne prête qu’aux riches. Encore faut-il que ces derniers acceptent d’en prendre le risque.