Enquête. Pour faire diminuer leurs primes, de plus en plus de Suisses choisissent des assurances qui les obligent à contacter une hotline en cas de maladie. S’ils oublient, leurs frais ne sont pas toujours remboursés... Un système qui inquiète les associations de consommateurs.
Chaque année, c’est le casse-tête. Comment réduire la facture de son assurance maladie, qui augmente inéluctablement et pèse de plus en plus sur le budget du ménage? Il reste encore un mois pour résilier son contrat et choisir une option plus économique. Et sur le site officiel de comparaison des primes, un modèle compte parmi les plus avantageux: Compact One. Proposé par Sanitas, il se monte à seulement 248 fr. 40 par mois dans le canton de Vaud, sans assurance accident, et avec une franchise à 2500 francs par an. Qui dit mieux?
A ce tarif, cela vaut la peine de regarder de plus près. Pour avoir une prime si basse, il n’y a pas de secret: l’assurance fait partie des modèles «alternatifs», qui posent des contraintes aux conditions d’accès de l’assuré au remboursement de ses frais médicaux. Dans ce cas, il n’est pas obligé d’aller voir son médecin de famille ni d’acheter ses médicaments dans une pharmacie spéciale. Avec Compact One, il doit nécessairement appeler une hotline médicale en cas de maladie, avant même d’aller consulter. Le service est ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Compact One existe depuis 2010. Dans les conditions générales, il est spécifié que le centre de télémédecine «conseille l’assuré d’un point de vue médical et décide, en tenant compte de la situation individuelle de l’assuré, des instructions que celui-ci devra obligatoirement respecter».
Par ailleurs, «Compact peut limiter le choix des fournisseurs de prestations». Concrètement, en cas d’éruption cutanée, par exemple, l’interlocuteur peut estimer que l’assuré doit d’abord aller voir un généraliste, ou au contraire consulter un dermatologue. Il peut aussi conseiller à la personne de prendre du paracétamol et d’attendre 24 heures avant de prendre rendez-vous chez le médecin. En cas d’urgence, l’assuré n’est pas contraint d’appeler tout de suite, mais devra le faire dans les dix jours.
Qui conseille les assurés? Sanitas délègue ce service à Medgate, une entreprise basée à Bâle. Les collaborateurs parlent allemand, français, italien et anglais, précise Riccarda Schaller, porte-parole de Sanitas. Au bout du fil se trouvent des médecins, mais aussi parfois des personnes au bénéfice d’une simple «formation paramédicale»: ils auront pourtant le dernier mot puisque leurs instructions seront «obligatoires»…
La confidentialité du service est garantie, nous assure-t-on. Mais, dans les faits, aucune instance extérieure ne peut attester que les détails sur votre santé ne seront pas transmis. Par ailleurs, Me Fanny Roulet, avocate chez BRS Avocats, à Genève, souligne que des doutes subsistent sur le secret professionnel et l’indépendance des conseillers de ces hotlines: dans un tel système, le professionnel de la santé revêt également la casquette de médecin-conseil de l’assurance.
Dans cette configuration, ne sera-t-il pas tenté de communiquer avec elle sur l’état du patient? Se montrera-t-il vraiment indépendant dans son diagnostic, alors que son rôle est, notamment, de limiter au maximum les coûts que représente l’assuré?
Une sanction disproportionnée
En théorie, ce système est pourtant intéressant: il permet aux malades de se rassurer en obtenant un premier avis et, en filtrant leurs besoins, de diminuer leurs frais et ceux de la collectivité. Pour des jeunes en bonne santé, et qui se déplacent beaucoup, la formule est avantageuse.
Mais en cas de problème, la situation peut se compliquer rapidement. Que se passe-t-il si Medgate estime qu’un assuré n’a pas besoin de consulter, alors qu’il souhaite le faire? Si la hotline conseille un rendez-vous chez un spécialiste et que le malade en choisit un autre, sera-t-il bien remboursé? Si le spécialiste au téléphone se trompe, comment le reconnaîtra-t-il?
«Nous avons eu connaissance de plusieurs cas de personnes dont les frais médicaux n’ont pas été remboursés car ils avaient oublié de contacter la hotline», explique Joy Demeulemeester, spécialiste du sujet à la Fédération romande des consommateurs (FRC). L’une de ces affaires est remontée jusqu’au Tribunal fédéral, qui a obligé en octobre 2015 une caisse maladie à payer au CHUV 60 factures qu’elle n’avait pas réglées car les assurés n’avaient pas respecté leur contrat, dont celui de contacter la hotline afin de la prévenir de leur hospitalisation.
«En soi, la télémédecine n’est pas mauvaise, affirme Joy Demeulemeester. Mais, pour nous, il faut que ce soit du conseil consultatif et non contraignant.» C’est exactement l’inverse que prévoient les assureurs. Dans le cas de Compact One, si l’assuré oublie d’appeler ou contredit les ordres de la hotline, l’assureur se réserve le droit de ne pas rembourser les frais des soins. Ce qui fait dire à la FRC que ce type de sanction est «disproportionné».
L’inquiétude de la FRC, soutenue par ses homologues tessinois et alémaniques, n’est en revanche pas disproportionnée, car le nombre d’assurés qui choisissent ce modèle d’assurance ne cesse d’augmenter. En 2015, 65% d’entre eux ont opté pour des modèles alternatifs, dont celui de la hotline. C’est près de 5% de plus qu’en 2014, selon l’Office fédéral de la statistique.
Beaucoup d’autres assurances offrent ainsi ce type de modèle: Sanatel pour le Groupe Mutuel, BeneFit PLUS Télémédecine pour Helsana, ou encore Callmed pour CSS. Les conditions générales ne sont pas les mêmes partout. Chez CSS, par exemple, dont la hotline est aussi gérée par Medgate, les assurés devront, dès janvier 2017, régler eux-mêmes une partie de leurs frais médicaux en cas d’infraction au règlement, avec une limite de 500 francs maximum par facture.
«La responsabilité individuelle est un pilier important sans lequel ce système ne peut pas fonctionner», explique Nina Mayer, la porte-parole. Chez CSS, 143 000 assurés ont déjà opté pour ce modèle. Ce chiffre augmente car le rabais sur la prime est attrayant: de -10 à -14% en Suisse romande.
«Ce qui me dérange est que la plupart de ces formules ne donnent pas droit à un deuxième avis, relève l’avocate genevoise Fanny Roulet. Par ailleurs, un éventuel refus de rembourser les coûts d’une consultation chez un médecin tiers pourrait, en certaines circonstances, être contraire à la loi.»
L’article 41, alinéa 2, de la LAMal stipule en effet que si le malade consulte un autre fournisseur de prestations que celui conseillé par son assurance, et qu’il le fait pour des raisons médicales, alors il doit être quand même remboursé. Dans la mesure où les hotlines concernent de plus en plus d’assurés, les cas de désaccord avec les compagnies d’assurances devraient donc se multiplier.