Interview. Pour participer à la 4e révolution industrielle, les entreprises ne doivent pas seulement disposer des bonnes technologies. Encore faut-il pouvoir compter sur des collaborateurs qui les maîtrisent. Voilà pourquoi l’EPFL lance un nouveau programme de formation continue. Avec à sa tête le professeur Marcel Salathé.
Bâlois d’origine et biologiste de formation, Marcel Salathé est l’un de ces brillants professeurs suisses qui ont fait carrière aux Etats-Unis avant d’être rappelés par le président de l’EPFL Patrick Aebischer. Il est le directeur académique de l’Extension School, un programme de formation continue d’un type nouveau, lancé par la haute école et qui offrira ses premiers cours à l’été 2017. Au menu: développement web, mobile et data science.
Quelle est la clientèle visée par l’EPFL Extension School?
Dans le principe, notre formation est ouverte à tous ceux qui veulent participer à la révolution numérique. Et il n’est pas requis des participants qu’ils aient des diplômes académiques préalables. Voilà ce qui est nouveau. Dans la pratique, nous nous adressons à des professionnels sans bagage technologique particulier, qui sont déjà bien formés dans leur domaine d’expertise, par exemple la santé, la finance, l’industrie, le journalisme, mais qui ne sont pas équipés des compétences numériques nécessaires.
Quelle est la genèse de ce programme de formation continue original?
Une origine personnelle, d’abord. J’ai été impliqué dans l’éducation en ligne aux Etats-Unis, j’en ai une expérience directe et pratique depuis longtemps, j’ai vu de près les bénéfices de cette approche.
Qu’est-ce qui vous a fait revenir en Suisse?
L’offre de Patrick Aebischer, qui voulait aller au-delà de ce qu’on appelle les MOOCs (massive open online courses). Ces cours sont destinés à enseigner des matières académiques à l’échelle mondiale à des dizaines, voire à des centaines de milliers d’étudiants (ndlr: plus de 1,4 million de personnes se sont inscrites à ce jour à l’un des 50 MOOCs proposés par l’EPFL). Avec notre programme de formation continue, nous sommes sur une autre échelle et nous visons à donner à ceux qui le suivent des compétences immédiatement applicables dans leur travail.
Quel sera le niveau de vos cours?
Elevé! Ces cours en anglais donneront accès à des titres reconnus et à des crédits académiques ECTS. Nous avons une équipe dédiée à l’Extension School, qui a des compétences dans les domaines enseignés et qui produira des cours grâce aux ressources de l’EPFL. Nous avons sur le campus des professeurs et des doctorants de niveau mondial. Nous allons aussi travailler avec des partenaires industriels qui nous amènent des technologies qu’ils ont eux-mêmes développées ou qu’ils utilisent de manière intensive.
Google, Microsoft, Swisscom participent-ils aussi au financement?
Pas pour le moment. Leur apport, c’est d’abord leur expérience et leur expertise du vrai monde de l’entreprise. Google par exemple nous amènera ce qu’elle a développé dans le domaine du machine learning. Pour le décollage, nous sommes financés par une donation de 500 000 francs de la fondation swissUp de Daniel Borel, le fondateur de Logitech, et par l’EPFL à hauteur de 1 million de francs.
Le prix des cours?
Deux cent cinquante francs par mois. Un prix très abordable. Il n’est pas rare que l’on vous demande 3000 francs pour un séminaire de trois-quatre jours portant sur les mêmes matières. A plein temps, les cours devraient prendre de deux à trois mois. Ou de huit à neuf mois si vous les suivez à temps partiel. Contrairement aux MOOCs, qui sont des cours de masse, comme leur nom l’indique, il est prévu que les étudiants de l’Extension School profitent d’appuis personnalisés.
Votre motivation?
J’ai été immergé dans la Silicon Valley pendant dix ans, j’ai été professeur à l’Université d’Etat de Pennsylvanie, sur la côte est. Je n’avais pas l’intention de revenir jusqu’à ce que je reçoive l’offre de Patrick Aebischer et que je prenne conscience du retard pris par mon pays.
En Suisse, on évoque désormais régulièrement la révolution numérique sans toutefois en ressentir l’urgence. Comme si on parlait d’un phénomène qui allait certes nous affecter tous, mais dans dix ou vingt ans. On observe cet attentisme dans les entreprises, dans la politique et pour ce qui touche à la vie quotidienne. Or tous les secteurs d’activité se font «disrupter». Mais les bénéfices finissent invariablement dans les caisses des entreprises américaines. C’est trop bête. Il faut se réveiller.