Servan Peca
Décodage. La production additive, par opposition à l’usinage par enlèvement de matière, est de plus en plus utilisée dans l’industrie. Et plus seulement pour réaliser des prototypes. Christian Enz, de l’EPFL, veut faire de Neuchâtel un centre de recherche national.
Quand nous avons rencontré pour la première fois Christian Enz, c’était au printemps 2014. Microcity, l’antenne neuchâteloise de l’EPFL dédiée à la microtechnique et à la nanotechnologie, venait d’être inauguré. Et son directeur songeait déjà à son extension.
Ce jour-là, au terme d’une visite des laboratoires, il nous avait conduits à l’extérieur puis avait pointé son doigt direction nord-est, vers un ancien collège aux façades vieillissantes dont les contours n’avaient rien à voir avec les baies vitrées, les puits de lumière et les espaces modulables du nouveau complexe.
Deux ans et demi plus tard, le bâtiment n’a pas changé d’allure. Mais Christian Enz a avancé. Il a obtenu plusieurs feux verts ainsi qu’un premier financement. Son ambition? Créer un centre de recherche national axé sur les nouvelles techniques de fabrication. Baptisé SAMARC, pour Swiss Advanced Manufacturing Research Center, il doit s’étendre sur 12 000 m2, dont 10 000 réservés à des partenaires industriels.
L’objectif est d’y mélanger chercheurs et entreprises pour innover dans les techniques de production du futur. Cela inclut notamment la numérisation, mais aussi la production additive. Comme son nom l’indique, ce procédé s’oppose aux techniques traditionnelles d’usinage ou de fraisage, qui consistent à tailler ou à enlever de la matière pour obtenir la forme voulue. Sa déclinaison la plus connue est l’impression 3D.
Marché prometteur
Depuis ses débuts, dans les années 1980, la production additive a surtout servi à fabriquer des prototypes, des maquettes et des moules en silicone ou en résine. Les imprimantes 3D sont aujourd’hui presque la norme dans les ateliers de recherche ou de design industriel. Certaines sont même en train de gagner les halles de production.
Le marché le plus prometteur, indique Lucien Hirschi, patron de la société Zedax, à La Neuveville (BE), est celui des prothèses médicales ou dentaires. L’entrepreneur produit aussi de l’outillage pour les horlogers ou pour les machines que ces derniers utilisent. Un secteur qui commence même à se servir de ces nouvelles techniques pour des produits finis.
A Meyrin, GVA Montres a livré pour la première fois des boîtiers en inox et en titane réalisés grâce à la fusion additive. Le procédé consiste à fusionner des poudres grâce à l’énergie – la chaleur – d’un laser. A l’avenir, GVA Montres envisage de travailler avec des métaux précieux, notamment avec de l’or et ses différents alliages.
En attendant, l’entreprise qualifie cette technique de «bon complément» aux méthodes traditionnelles. La fusion additive permet de réaliser des formes et des géométries impossibles à usiner à l’aide d’une machine cinq axes dernier cri.
GVA Montres préfère toutefois tempérer: en termes de qualité et de rentabilité, ces nouveaux procédés ont encore une certaine marge de progression. Lucien Hirschi précise: «La production additive est de plus en plus compétitive, mais elle l’est beaucoup moins pour produire de grandes séries.»
«Il est déjà possible d’imprimer en 3D des pièces mécaniques suffisamment résistantes pour des moteurs automobiles. Mais les coûts de production sont encore prohibitifs», confirme Roberto Sigona. Le directeur régional d’Autodesk, à Neuchâtel, société active dans l’édition de logiciels 3D, ajoute que les pièces ont parfois besoin d’être retouchées avec des techniques d’usinage traditionnelles.
Jusqu’ici, aucun de ces nouveaux procédés ne permet d’être précis à l’échelle du micron – du millième de millimètre. Impossible, donc, de fabriquer des composants horlogers, par exemple. Mais bientôt, espère Christian Enz, on pourra aller beaucoup plus loin, dans le beaucoup plus petit.
Concurrence internationale
Mais il faudra faire vite. En 2012 déjà, à l’initiative de Barack Obama, naissait America Makes, un réseau qui regroupe une centaine de fabricants de machines, d’industriels et d’agences fédérales. L’Allemagne, la Chine ou Singapour ont aussi massivement investi dans ces nouvelles technologies. «La Suisse devra se profiler dans des domaines qu’elle maîtrise, c’est-à-dire la microprécision, rétorque le directeur de Microcity. Cette idée suscite beaucoup d’intérêt de la part de petites et de très grandes entreprises.»
Il reste à Christian Enz quelques obstacles à franchir. Entre 2017 et 2020, 10 millions de francs seront octroyés au domaine des Ecoles polytechniques fédérales (EPFL, ETHZ, EMPA et Institut Paul Scherrer) pour des projets dans l’Advanced Manufacturing. Une première étape bienvenue mais qui sera insuffisante, le futur centre de recherche neuchâtelois étant, à lui seul, devisé à 55 millions. «Le secteur privé ne veut pas et ne peut pas assumer tous les investissements. La grande question, conclut le responsable, est de savoir comment le secteur public va s’investir.»
Christian Enz cherche encore des réponses et des soutiens. Et nous donne rendez-vous dans quatre ans. Pour voir si le bâtiment du nord-est de Microcity a commencé à rajeunir.