Frédéric Koller
Interview. Ex-correspondant aux USA, Philippe Mottaz souligne l’influence des réseaux sociaux.
En prenant d’assaut le Parti républicain, puis la Maison Blanche, Donald Trump a bousculé les mœurs politiques américaines comme aucun candidat à la présidence auparavant. L’une des raisons de ce succès a été sa capacité à utiliser les nouvelles technologies pour mieux contourner le pouvoir des élites établies.
C’est du moins la thèse de #Trump, un livre qui décortique les raisons du succès politique d’un homme d’affaires que bien peu de personnes prenaient au sérieux il y a encore un an. Réalisée par le correspondant de L’Hebdo et du Temps à New York, Stéphane Bussard, et Philippe Mottaz, ancien correspondant aux Etats-Unis et spécialiste des nouvelles technologies, cette enquête nous interroge sur l’usage des réseaux sociaux en politique.
Donald Trump s’est imposé notamment par son utilisation efficace de Twitter. Quelle leçon en tirer?
Nous n’avons pas pris conscience du pouvoir de ces technologies. Il y a peu de débat à ce propos. On parle beaucoup de ce que ces technologies permettent de faire, mais très peu de l’impact sur leurs utilisateurs, particulièrement la formation de la pensée.
Un danger?
Oui. Mais aussi une occasion. Les technologies sont neutres. Selon leur usage, c’est la maladie et le remède en même temps. Le besoin de la démocratie de délibérer, tel qu’on l’a connu, avec des institutions complexes, qui demandent du temps, doit désormais compter avec des outils qui privilégient la communication instantanée et permettent des nouvelles formes de représentativité.
Le paradoxe est donc que nous avons à disposition des instruments extrêmement démocratiques. Il y a une tension entre la grande et la petite politique, la politique institutionnelle et le débat politique en continu sur les réseaux sociaux.
Peut-on réfléchir dans la vitesse et dans l’instant?
Nous avons tenté dans notre livre de pousser à la réflexion, à ne pas confondre les nouvelles technologies et l’innovation. Les nouvelles technologies, par exemple, entraînent la contraction de tous les espaces communs. C’est un vrai problème. Elles permettent la personnalisation, l’individualisation, la possibilité de ne dialoguer qu’avec des personnes qui pensent comme soi. On a, d’un côté, l’effondrement de l’ordre informationnel traditionnel dans ce qu’il a de créateur d’espace commun et, de l’autre, la montée en puissance des réseaux sociaux.
Que vous inspire la couverture de cette campagne par les médias américains?
Une catastrophe. Mais elle n’est pas attribuable qu’aux médias eux-mêmes. C’est la connivence des discoureurs, pour reprendre une formule de Raymond Aron, c’est-à-dire des discours qui fonctionnent en circuit fermé, dont les médias font partie. La presse est largement instrumentalisée, ce qui n’est pas propre aux Etats-Unis. Les «élites» sont aveuglées. J’ai été frappé durant cette campagne par l’incapacité culturelle de la presse américaine à envisager le pire, à comprendre ce qu’était un populiste de cette nature.
Cette culture de connivence est surtout vraie dans les médias télévisuels. Mais la presse écrite ne joue plus un grand rôle prescripteur. Les questions que pose Donald Trump sont légitimes: la redistribution des bénéfices du néolibéralisme, l’immigration, la position de l’Amérique dans le monde. Le problème est qu’elles sont posées par un incompétent.
Les réseaux sociaux ne sont-ils pas un moyen de faire remonter à la surface des réalités justement ignorées par les «élites»?
Ils devraient l’être! Pour Trump, cela a effectivement été un moyen de savoir si ses outrances verbales, ses éructations fédéraient les désenchantés. Mais malheureusement, les réseaux sociaux sont aujourd’hui en partie responsables de l’avilissement du discours politique. C’est extraordinairement inquiétant.
L’élection de Trump révèle un pays qui est fracturé…
Il est fracturé entre ceux qui ont bénéficié de la globalisation et ceux qui ont été laissés pour compte. Il est fracturé parce que, grâce aux technologies, les électeurs ont pu mesurer l’écart entre les promesses, les discours et la réalité. Il est fracturé économiquement, politiquement, culturellement. Et Trump a capitalisé sur l’effondrement du Parti républicain, qui a choisi la voie obstructionniste. Il a décidé d’entrer dans la confrontation totale.
Le Parti républicain va-t-il survivre à l’élection de Trump?
Je ne le pense pas dans sa forme actuelle. C’est un abus de langage, désormais, de parler de Parti républicain. On ne sait plus ce que cela signifie! La seule chose certaine est qu’il a un Congrès à majorité conservatrice ou réactionnaire. Mais il n’a que mépris pour ceux qu’il vient de battre. La politique américaine ne sera plus jamais comme avant.
Collaboration Luc Debraine