Jeff Jarvis
Réflexion. Les journalistes auraient dû analyser avec sang-froid les soucis des électeurs de Trump. En lieu et place, ils ont créé un vide qui s’est rempli de colère. Plaidoyer pour un renouveau.
La mission du journalisme est claire: informer le public. Mais ce qui s’est passé autour de la candidature de Donald Trump prouve qu’il a failli.
Les journalistes ont négligé leur devoir d’alimenter les électeurs avec des faits, ce qui a conduit à des débats émotionnels, irrationnels et remplis de haine: sur l’immigration, l’emploi, le système de santé, la criminalité et la guerre. En majeure partie, le journalisme politique américain n’est pas conçu pour communiquer sur ces sujets et informer les électeurs de manière à ce qu’ils puissent prendre une décision avisée. En lieu et place, il s’efforce de prédire le résultat de la course: la démocratie est vue comme un événement sportif.
Le journalisme a non seulement laissé en plan le pays dans son ensemble, mais surtout les hommes américains blancs, ceux qui sont en colère, sous-employés, peu qualifiés: en deux mots, les électeurs de Trump. La presse ne les écoute pas, elle ne montre ni compréhension ni compassion pour leurs besoins, si bien qu’elle n’a pas su expliquer leur vision du monde au reste de la nation. Le journalisme n’a pas su gagner la confiance de ces hommes qui, en retour, ne veulent pas entendre les faits ni les arguments rationnels avancés par les médias.
Le journalisme libéral (ndlr: aux Etats-Unis, libéral équivaut à progressiste) – et je le dis en tant que journaliste et en tant que libéral – a laissé un vide qui a été rempli avec zèle par des mouvements politiques situés très à droite, mais qui se travestissent en médias: Fox News, Breitbart, Drudge Report et une quantité d’autres, qui ont nourri le culte de Donald Trump avec de la bave et de la désinformation.
Les médias traditionnels, pour leur part, ont couru après le faux dieu de l’équilibre. Après avoir consacré tant d’émissions et de chroniques aux supposés harcèlements sexuels, tricheries, mensonges, rhétorique bigote et violations de la Constitution (l’annonce qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat de l’élection en cas de défaite) de l’un des candidats, ils ont jugé nécessaire de vouer autant de temps et d’espace aux fautes relativement vénielles (l’usage d’un serveur privé pour ses courriels) de l’autre candidate. La presse a ainsi fait en sorte que la haine semble normale et que la normalité produise un effet haineux.
Cet équilibrage inadéquat ne sert pas que l’image dépassée du journaliste objectif, mais aussi le modèle d’affaires de son employeur: frictions, tensions et drames – valeurs divertissantes et non pas journalistiques – attirent davantage de public et donc de meilleurs chiffres d’affaires publicitaires. Les patrons de deux chaînes de télévision nationales l’ont même admis, avouant que Trump était mauvais pour la démocratie mais bon pour leurs bénéfices.
Que faire? La branche doit réinventer ses produits, ses services et ses modèles d’affaires vers davantage de qualité, de pertinence et de valeurs, avec pour objectif primordial d’informer le public. La candidature de Trump, le Brexit, les mouvements populistes un peu partout ne trahissent pas que la colère et l’ignorance, ils signifient une révolution pour le politique et les médias. Il peut en naître une simple démolition ou une reconstruction mais, pour construire, il faut des fondations solides, faites de débats intelligents et d’information.
Le journalisme nous a laissés en plan. Alors même qu’on en a plus besoin que jamais.
© Focus
Traduction Gian Pozzy