Analyse. Emploi, commerce, industrie: les promesses de Donald Trump risquent de déboucher sur une nouvelle crise.
Donald Trump a fait très fort. L’élection de cet homme d’affaires, candidat d’un parti probusiness, a provoqué un plongeon de la Bourse. Les marchés cherchent encore à comprendre ses intentions! Il est vrai que le programme du nouveau président, hormis l’incantation de «créer 25 millions d’emplois», d’ériger ou de relever les barrières protectionnistes, de baisser les impôts et de déréguler l’économie, brille par son manque de précision. Comme le résume Cédric Tille, professeur de finance à HEID, «Donald Trump ne sait pas ce qu’il veut ni ce qu’il va faire. Difficile d’imaginer des conséquences positives pour l’économie.»
Murs douaniers
La fermeture des frontières, la remise en cause des grands accords commerciaux (avec l’Asie, l’Europe et les voisins mexicain et canadien, et à l’OMC) sont la promesse la plus claire, la plus en rupture aussi avec l’ordre établi du commerce international et de la mondialisation. Et celle dont les conséquences ont été les plus immédiates avec la chute historique de 13% du peso mexicain mercredi matin... et de celle du dollar face à l’euro et au yen.
Dans le collimateur du nouveau président, la Chine, son premier partenaire commercial, contre qui il jure de durcir le ton. La première étape consistera à continuer de lui refuser le statut d’économie de marché, ce qui permettra de relever les tarifs douaniers. «Le monde risque une spirale protectionniste, laquelle provoquera un ralentissement du commerce international», pronostique Joost Pauwelyn, professeur de droit international à HEID. Et dont la première victime pourrait bien être l’économie américaine.
Donald Trump aime l’acier. L’acier américain. Il l’a dit et répété lors de ses différents meetings électoraux: il va «placer l’acier coulé par des travailleurs américains au cœur de l’infrastructure de l’Amérique».
Cette affirmation, qui visait bien évidemment l’électorat de la Rust Belt désécurisé par les fermetures d’usines, trouve son appui dans le grand projet de rénovation des infrastructures (eau potable, routes, ponts, pipelines, extraction pétrolière et de gaz de schiste, installations pour exporter le charbon, etc.). Un point qui répond à une nécessité évidente et qui devrait effectivement soutenir la création d’emplois.
Economie de repli
Encore faut-il savoir comment ce programme de relance à la mode keynésienne sera réalisé et financé. Les entreprises américaines seront vraisemblablement favorisées dans les appels d’offres, leurs concurrentes étrangères pourraient même être évincées. Les projets devraient être financés par des partenariats public-privé et surtout par le recours à la dette.
Ces investissements publics viendront assurément en soutien à l’économie. Mais pourront-ils compenser son affaiblissement provoqué par la fermeture des frontières et l’incertitude générée par le flou du programme présidentiel? «Je ne conseille à personne de prévoir des investissements à long terme aux Etats-Unis pour les quatre années qui viennent», prévient Cédric Tille.
Or, sans investissements, les emplois promis ne se créent pas. Au contraire, l’économie pourrait contracter la même maladie que celle des années 1970, une stagflation: stagnation de la croissance couplée à une hausse des prix provoquée par la hausse des taxes douanières. A l’époque, elle n’avait pu être soignée que par une hausse brutale des taux d’intérêt de la Fed à... 19%!
Quelle dérégulation?
Comme tout candidat républicain qui se respecte, Donald Trump a promis une baisse de la pression réglementaire. Cela commence par la fiscalité: une diminution des impôts, notamment pour les plus riches (au taux maximum de 33% du revenu au lieu de 39,6%). Les entreprises ne sont pas non plus oubliées, puisqu’il s’est engagé à un abaissement du taux d’imposition de 35% actuellement à 15%, doublé d’une taxe de 10% sur les bénéfices conservés à l’étranger. Les multinationales pourraient donc être tentées de rapatrier les réserves qu’elles conservent dans leurs filiales à l’étranger, notamment en Suisse.
Le tout participera encore à l’explosion de la dette, qui s’élève déjà à 19 805,7 milliards de dollars (104% du PIB). Avec pour conséquence de pousser les taux d’intérêt à la hausse. Ce qui renchérira le crédit, ralentira les investissements et donc la création d’emplois.
Par ailleurs, la réglementation pourrait être réduite dans le secteur financier, dont le cadre a été particulièrement durci depuis la crise de 2008. Que feront les banques si elles regagnent une marge de manœuvre?
«Le risque majeur, expose Cédric Tille, c’est que lorsque l’échec de cette politique deviendra patent, le gouvernement Trump cherche des boucs émissaires et en trouve un, commode, dans la Fed. Et qu’il remette en cause l’indépendance de la banque centrale. Un tel geste affaiblirait sans aucun doute le dollar et pourrait déclencher une nouvelle crise financière.»
La place des cerveaux
Dans ses grands projets d’investissement dans les infrastructures, Donald Trump inclut «la prochaine génération de véhicules». Et pourtant trois électeurs sur quatre de la Silicon Valley, où se conçoivent les voitures autonomes et les moteurs électriques, ont donné leur voix à son adversaire, Hillary Clinton.
Les entreprises locales redoutent avant tout de ne plus pouvoir recourir aussi facilement qu’aujourd’hui aux talents étrangers. Et c’est aussi dans la Silicon Valley, rétive à toute idée d’un enfermement derrière les frontières, que se sont exprimées les voix promettant de s’expatrier au Canada en cas de victoire du candidat républicain.
Les Etats-Unis connaîtront-ils une fuite des cerveaux dommageable pour leur capacité à innover? En 2002, la Silicon Valley avait déjà été victime de ce syndrome, du fait de l’effondrement de la bulle internet. Il lui a fallu plusieurs années pour s’en remettre.