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Hépatite C: le prix de la vie

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Jeudi, 8 Décembre, 2016 - 05:56

Joan Plancade

Enquête. En Suisse, seules 2000 personnes sur les 60 000 à 80 000 infectées par le virus de l’hépatite C ont pu être traitées cette année avec une nouvelle génération de médicaments, pourtant très efficace. La raison: des prix trop élevés. Des associations de médecins ont décidé de réagir.

Trois ans après la percée scientifique dans le traitement de l’hépatite C, l’épidémie sévit toujours. Pourtant, une nouvelle génération de médicaments, dont les produits leaders Sovaldi et Harvoni distribués par le laboratoire américain Gilead, permet d’obtenir la guérison définitive dans plus de 90% des cas. Cela sur la base d’un traitement en général unique de trois mois, parfois six, très bien toléré et quasiment sans effets secondaires.

Une avancée majeure sur une maladie qui, après plusieurs années d’inactivité dans l’organisme, peut évoluer en fibrose, puis jusqu’à la cirrhose ou au cancer du foie, et pourrait être impliquée dans le décès de 200 personnes chaque année en Suisse.

Dans notre pays, l’accès au traitement reste malgré tout encore très limité, principalement en raison de son coût élevé: de 35 000 à 50 000 francs pour une thérapie de trois mois (voir ci-dessous). Une situation contre laquelle s’insurgent des associations de médecins dans une lettre ouverte adressée le 7 novembre à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et à l’industrie pharmaceutique.

Une lettre qui relève que «seuls peuvent être traités les patients ayant un degré de fibrose élevé, autrement dit chez qui la maladie est à un stade avancé ou présentant de graves symptômes».

Et ces associations déplorent que les négociations entre l’OFSP et les groupes pharmaceutiques n’aient pu aboutir «à des prix plus bas susceptibles d’autoriser un accès illimité à ces médicaments en Suisse». De fait, sur les 30 000 diagnostiqués, auxquels s’ajoutent 30 000 à 50 000 personnes qui seraient infectées sans le savoir, 2300 personnes ont été traitées en 2015 et on n’en dénombrerait pas plus de 2000 cette année.

«Un risque médical»

Selon le professeur Philip Bruggmann, président du Groupe des experts suisses en hépatite virale et cosignataire de la lettre, les conséquences sont lourdes:

«A mon sens, c’est la première fois que je constate cette situation d’une épidémie dont l’accès au traitement est si limité dans le pays. La question éthique se double d’un risque médical. En soignant un foie malade, les risques de complications ultérieures au niveau hépatique sont majorés. De plus, l’épidémie court toujours, puisque l’écrasante majorité des porteurs n’est pas traitée. Des pays comme l’Australie ont fait le choix d’éradiquer purement et simplement l’épidémie.»

De fait, en Australie, un accord a pu être trouvé entre les fabricants pharmaceutiques et le Ministère de la santé pour un dépistage et un traitement systématique de la maladie. Entre mars et juillet 2016, 22 500 patients ont commencé le traitement, soit 10% de la population infectée, et le corps médical vise l’éradication de la maladie à l’horizon 2026 dans le pays.

Pour Philip Bruggmann, la capacité de l’Etat australien à convenir d’un tarif plus acceptable avec les fabricants explique ce succès: «Une stratégie de volume a permis d’obtenir des prix très inférieurs à ce qui se pratique en Suisse, probablement entre 5000 et 7000 francs par patient. Le coût de production est relativement faible, puisque, en Inde, des génériques sont vendus autour de 1500 francs pour un traitement complet. Il y a donc une large marge de négociation.

Le problème en Suisse, c’est que les prix pratiqués servent souvent d’étalon pour le marché mondial, les industriels sont donc réticents à les baisser. De plus, la Confédération dispose d’outils légaux limités pour traiter favorablement avec les laboratoires pharmaceutiques.»

Négociations  confidentielles impossibles en Suisse

Jörg Indermitte, coresponsable de la section médicaments de l’OFSP, précise la situation: « La Suisse est transparente et ne peut pas déterminer de façon confidentielle un prix avec l’industrie pharmaceutique, comme cela s’est pratiqué dans les négociations en Australie par exemple.

Les fabricants peuvent être alors plus réticents à baisser les tarifs, dans la mesure où les prix suisses servent de référence pour le marché du médicament dans d’autres pays comme le Brésil et le Canada. Nous sommes également tenus de travailler avec tous les laboratoires, et ne pouvons pas formuler d’appels d’offres susceptibles de privilégier une entreprise.»

Sur la base des prix actuels, l’OFSP a réitéré sa volonté d’élargir le traitement aux groupes les plus à risque en termes de transmission (co-infectés et toxicomanes) qui peuvent désormais bénéficier d’un traitement remboursé dès une fibrose de degré zéro.

Pour autant, impossible pour l’OFSP d’envisager un traitement universel, avec les prix actuels. Le coût qui en résulterait pour les assurances serait trop élevé, selon Jörg Indermitte: «Sur les 330 millions de hausse du coût des médicaments en 2015 en Suisse, un tiers était imputable à l’hépatite C, avec seulement 2300 patients traités. Pour élargir le remboursement, à un prix acceptable pour les coûts de santé, les entreprises pharmaceutiques doivent baisser significativement les prix de vente.»

Manque de «volontarisme»?

Montré du doigt, le fabricant américain Gilead nie l’accusation de maintenir des prix élevés en Suisse pour servir de référence sur le marché mondial. Selon André Lüscher, directeur général suisse de Gilead, la Confédération ne fait pas preuve d’un réel volontarisme, contrairement à d’autres pays:

«On est face à une maladie transmissible. Certains Etats ont défini l’éradication de l’hépatite C comme un objectif majeur de santé publique, et mis en place un plan adéquat pour y répondre. L’OFSP a fait un autre choix, celui d’un accès limité. Quand un plan d’éradication a été mis en place par un Etat, nous avons trouvé un accord sur le prix. En Géorgie, par exemple, le gouvernement avait un plan d’éradication: en cinq ans, traiter l’ensemble des 20 000 patients. Pour cela, Gilead a même décidé de distribuer des médicaments gratuitement pour garantir un accès universel, car la Géorgie n’aurait pas eu le budget pour traiter toute la population dans un temps défini.»

Jörg Indermitte de l’OFSP réfute l’assertion de Gilead:

«Dans nos négociations avec les pharmas, nous avions envisagé les deux scénarios, universel et limité. Si les prix étaient à un niveau acceptable, nous pourrions élargir le remboursement tout de suite. Nous estimons qu’il est positif que des médecins plaident pour une baisse des prix, mais il faut savoir que certains d’entre eux conseillent également l’industrie pharmaceutique, notamment Gilead. Or, dans nos précédentes négociations, c’est leur concurrent AbbVie qui a le premier accepté de baisser les prix avant que Gilead suive. Il est possible que la même situation se répète. Aujourd’hui, nous n’avons pas reçu de nouvelles propositions de leur part. La balle est dans leur camp.»

Dans l’attente d’un meilleur accord, l’épidémie, elle, ne patiente pas. L’OMS a pourtant affirmé en mai la nécessité d’une couverture sanitaire universelle pour réduire de 65% les décès et de 90% les nouvelles contaminations à l’horizon 2030 dans le monde. 

 


Vers une nouvelle baisse tarifaire?

En 2015, les négociations entre l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et les laboratoires pharmaceutiques actifs dans la lutte contre l’hépatite C avaient abouti à une baisse du prix des médicaments sur le marché suisse.

Dès août, l’américain AbbVie avait fait passer sa thérapie Viekirax+Exviera de près de 62 000 francs à 46 000 pour douze semaines de traitement. Un mois plus tard, le laboratoire Gilead, américain également et leader du marché, lui emboîtait le pas, en alignant les coûts de ses produits Harvoni et Sovaldi  – 48 000 et 50 000 francs pour douze semaines – sur ceux de son concurrent.

L’avancée avait permis d’étendre le traitement depuis les stades de fibrose les plus avancés (3 et 4) vers le stade de fibrose 2, suivant l’adaptation des directives internationales. Une approche encore limitative, mais alors suffisante pour l’OFSP, qui estimait que «les personnes infectées ne tombent gravement malades qu’après de nombreuses années, voire ne développent pas du tout la maladie. Cette limitation est donc pertinente du point de vue médical et économique.»

Dans un communiqué d’octobre 2016, l’OFSP semble revoir sa position, en annonçant étendre le remboursement des médicaments à certains groupes spécifiques, notamment les toxicomanes et co-infectés (VIH et/ou hépatite B). Une nouvelle baisse des prix est demandée. 

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