Décryptage. L’A16, côté Jura, a bénéficié de l’apport de l’architecte Renato Salvi. Un soin esthétique à la mesure d’un canton épris de culture.
En décembre dernier, lors de l’inauguration du dernier tronçon jurassien de l’A16, hommage a été rendu aux 50 corps de métiers qui ont œuvré pendant trois décennies à la réalisation de cette autoroute. «Pour certains d’entre eux, cela a été le travail d’une vie», ajoutait Charles Juillard, président du gouvernement jurassien.
C’est le cas de Renato Salvi, 60 ans, représentant d’une profession que l’on trouve rarement sur les chantiers des voies rapides: architecte. A vrai dire, avant lui, la Suisse n’a connu qu’un seul exemple de collaboration entre un canton et un architecte pour la réalisation d’ouvrages autoroutiers: au Tessin grâce à Rino Tami.
Cet exemple guidait le canton du Jura lorsqu’il a lancé en 1988 un concours d’architecture pour la construction de la Transjurane sur son territoire. Le but était d’intégrer au mieux l’autoroute dans le paysage et d’harmoniser les nombreux ouvrages d’art qui balisent ce ruban d’une cinquantaine de kilomètres.
Le choix du jury s’est porté sur un jeune architecte né à La Chaux-de-Fonds, alors assistant de Flora Ruchat à l’ETH de Zurich. Plus précisément, ce sont Renato Salvi et Flora Ruchat qui ont été choisis pour soigner l’esthétique de l’A16, une responsabilité que Salvi assumera seul dès 1998.
Aujourd’hui architecte de la Ville de Sion, Renato Salvi a l’impression de voir défiler sa propre vie lorsqu’il roule sur l’A16: «Au début, je manquais d’expérience. La confrontation avec les ingénieurs était rude. J’ai ensuite gagné en maîtrise des problèmes techniques, ainsi qu’en assurance et audace. Après des débuts modestes à Delémont et Porrentruy, les ouvrages se sont améliorés.»
Et il y en a des ouvrages d’art entre Choindez et Boncourt, en plus très rapprochés les uns des autres. Des dizaines de portails, tunnels, viaducs, ponts, ventilations ou voies d’accès à la Transjurane. Il faut à la fois conduire sur cette autoroute et en sortir puis s’arrêter pour découvrir le travail accompli.
Les angles droits tracés dans la montagne, la profusion d’obliques, le décalage entre les entrées et sorties de tunnels, les murs qui se transforment en flèches et filent loin entre les deux voies, le soin des transitions géométriques – de l’hexagone au cercle – lorsqu’on pénètre dans les voies souterraines, la précision au centimètre près des transitions entre le béton et la roche… Il a même été tenu compte de la vitesse des véhicules et des effets de corrections optiques: des portails ont été conçus pour être bien perçus par des automobilistes à 80 ou 100 km/h…
Ce regard d’architecte donne une cohérence à l’A16 jurassienne que n’a pas la section de la même autoroute dans le canton de Berne (l’ultime tronçon de l’A16 dans le Jura bernois, entre Court et Loveresse, sera ouvert le 3 avril prochain).
Soigner la cicatrice
«En général, une autoroute est un non-lieu, remarque Renato Salvi. Elle est une nécessité, pire, une fatalité subie. Or le Jura, des forêts aux pâturages, a été façonné par l’homme. J’ai essayé de concevoir cette autoroute comme une autre valeur paysagère. Elle met son environnement en tension pour mieux le révéler. J’ai ainsi essayé de minimiser l’attaque sur la nature. De soigner au mieux la cicatrice!»
Renato Salvi ne s’est pas occupé de tous les ouvrages et aménagements de l’A16, loin de là. La conception de la plateforme douanière de Boncourt lui a échappé, ainsi que celle des murs de soutènement, qu’il juge affreuse. Ou encore le choix des emplacements des constructions industrielles qui poussent le long de la Transjurane et risquent de l’enlaidir.
Reste que cette signature architecturale impose l’A16 jurassienne comme l’une des plus belles autoroutes de Suisse, déjà au bénéfice de plusieurs prix en Suisse et en Europe. Elle reçoit aussi les visites régulières d’étudiants en architecture.
Cet effort n’est-il pas à la mesure d’un canton qui a toujours prêté attention à son patrimoine architectural, mais aussi à la dimension culturelle de ses réalisations? «Le Jura est sorti de la cuisse des poètes, note Christine Salvadé, cheffe de l’Office de la culture du canton. Je n’en connais pas d’autre qui se soit à ce point-là appuyé sur ses artistes pour forger son autonomie. La Transjurane est le moyen de faire profiter toute la Suisse de cette énergie créatrice.»
Le Théâtre du Jura
Désenclaver le Jura grâce à l’A16, c’est en effet ouvrir encore davantage une culture déjà proche de celles du Jura bernois ou du Territoire de Belfort. Le futur Théâtre du Jura, qui devrait s’ouvrir à l’horizon 2019-2020 à Delémont, misera sur cette mobilité facilitée. Non seulement pour entrer en complémentarité avec la salle de l’Inter à Porrentruy, le Café du Soleil à Saignelégier ou la salle de spectacle de Vicques, mais aussi proposer des accueils partagés avec les théâtres de Bienne, La Chaux-de-Fonds, Yverdon, Bâle, Neuchâtel et Belfort.
«La culture a déjà largement profité de l’autoroute avant même son ouverture», ajoute Christine Salvadé, mentionnant les innombrables traces de dinosaures découvertes sur le site de Chevenez-Courtedoux, parmi les plus importantes du monde. Là aussi, l’ouverture complète de l’A16 facilitera la venue des amateurs de Jurassic Park. Objet culturel facilitant, aussi, l’accès à la culture, la Transjurane n’est décidément pas une autoroute comme les autres.