Eclairage. Sur l’internet, des hommes donnent ou vendent leur semence à des femmes souhaitant avoir des enfants. Une pratique illégale et risquée selon Sarah Dumont qui vient de publier un ouvrage sur le sujet.
On trouve de tout sur le site petitesannonces.ch. Des motos japonaises, des chiens de race, des chaises de camping, des vases en porcelaine. Et même des spermatozoïdes… Dans la rubrique «érotique», un Neuchâtelois de 31 ans «offre son sperme» à un couple ou une femme désireux de fonder une famille. Et c’est gratuit, prend-il la peine de préciser. Dans une autre annonce, un homme âgé de 45 ans fait la même proposition, en vantant la qualité du service: «hygiène, discrétion extrême, bonne santé».
Ce Lausannois pourrait peut-être faire le bonheur d’un couple de Genevoises qui souhaite fonder une famille et dont la requête se trouve également sur la plateforme de petites annonces en ligne. «Il est sincèrement difficile pour nous de trouver un honnête homme qui voudrait nous aider dans cette magnifique démarche, écrivent-elles. Nous te voulons honnête, franc et de type européen. Bien sûr nous pouvons participer financièrement. Nous ne cherchons pas de père pour l’enfant. Le don peut être anonyme si c’est votre condition.»
Aucun marché ne résiste à l’internet. Pas même celui de la procréation. La journaliste française Sarah Dumont a pu le constater, elle qui a enquêté pendant deux ans sur le phénomène et qui vient de publier l’ouvrage Super-géniteurs, enquête sur le don de sperme sauvage en France, sorti en septembre dernier aux Editions Michalon.
«Ce que je décris a toujours existé, mais à l’époque on prenait la semence d’une connaissance, d’un ami ou du facteur. L’internet et les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène, car ils permettent aujourd’hui de faire des bébés grâce à de parfaits inconnus.»
Dans le premier chapitre de son livre, la journaliste présente ainsi le truculent Ed Houben, un quadragénaire néerlandais qui donne son sperme par altruisme depuis des années et qui, selon ses propres calculs, serait aujourd’hui père de 112 enfants vivant un peu partout dans le monde.
Sur les pages Facebook francophones consacrées à l’insémination artisanale, Sarah Dumont a recensé une centaine de donneurs actifs. Les profils sont tous différents: «Il y a ceux qui ont été sensibilisés à l’infertilité au cours de leur vie et n’ont pas pu donner dans les banques de sperme, dit-elle. J’ai d’ailleurs échangé avec un Suisse dont c’était le cas.»
D’autres sont amis avec des couples gays et ont envie de les aider d’une manière ou d’une autre. Lors de son enquête, la journaliste a aussi rencontré des hommes qui «se rassurent sur leur virilité ou éprouvent un réel sentiment de puissance lorsqu’ils sèment à tout va». Le plus souvent, la transaction est gratuite. Quand elle est payante, les donneurs réclament quelques centaines d’euros, ainsi que les frais de déplacement.
Un mode opératoire simple
Au total, l’opération se révèle bien moins coûteuse qu’une insémination artificielle, pratiquée par exemple en Belgique. C’est pourquoi les couples de femmes sont les plus nombreux à rechercher des géniteurs sur le web. Refusés par les banques de sperme et exclus des procédures d’adoption dans la plupart des pays européens, ceux-ci n’ont pas d’autre choix que de se rendre à l’étranger pour bénéficier d’une procréation médicalement assistée (PMA), ou alors de faire appel au marché noir…
Le don de sperme sauvage intéresse aussi les femmes célibataires, ainsi que les couples hétérosexuels, qui doivent parfois attendre deux ans avant d’avoir accès à un don de semence officiel, via une banque de sperme.
Petitesannonces.ch n’est pas la seule plateforme où ces personnes publient leurs annonces. Le site co-parents.fr, qui compte 20 000 abonnés, dont 450 en Suisse, les met aussi en relation avec de potentiels donneurs. Une fois le contact pris, une rencontre est souvent organisée. Le mode opératoire est simple.
En général, il s’agit d’une insémination artisanale: la femme s’injecte le sperme à l’aide d’une petite pipette en plastique que l’on trouve avec certains médicaments pour enfants ou d’une seringue sans aiguille. Pour les novices, des tutoriels sur YouTube indiquent la marche à suivre.
Justin, ex-donneur parisien cité dans le livre Super-géniteurs, raconte: «C’est toujours très rapide. La femme réserve une chambre d’hôtel à côté de mon lieu de travail ou de mon domicile. J’y passe, me masturbe dans un flacon de laboratoire et le dépose sur la table, laissant la femme ou le couple gérer la situation.
Sur place, notre échange ne dépasse guère deux minutes… […] Je n’ai pas le temps de traîner.» Mais dans ce cas, le taux de réussite n’est que de 15% environ… Pour plus d’efficacité, certains ont un rapport sexuel classique ou partiel (il n’y a pénétration qu’au moment de l’éjaculation).
En France comme en Suisse, de tels arrangements sont illégaux. Selon l’article 20 de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), entrée en vigueur en 2001, «le sperme provenant d’un don ne peut être cédé qu’à un médecin titulaire d’une autorisation de pratiquer la procréation médicalement assistée». Celui qui viole la loi peut écoper d’une peine de prison ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 francs.
Aucune garantie sanitaire
En vérité, la législation n’a pas été conçue pour lutter contre les dons de sperme sauvages. «Il y a un vide juridique, estime Sarah Dumont. Et même s’il y a une dénonciation, il est souvent impossible de prouver que l’enfant n’a pas été conçu naturellement.»
Dans ce contexte, il est difficile d’éviter les abus ou les retournements de situation. Un donneur qui se fait payer grassement pour sa semence ne sera que rarement dénoncé. De l’autre côté, une femme qui refuse au géniteur le droit de reconnaître son enfant ne pourra pas être entendue si celui-ci change d’avis et compte finalement assumer son rôle de père.
Pour la journaliste française, ces pratiques sont aussi très risquées d’un point de vue sanitaire. «Il n’y a aucune garantie que le donneur n’ait pas de maladies, contrairement aux dons de sperme officiels, qui sont très contrôlés. Et puis s’il disparaît dans la nature, il sera impossible d’obtenir son patrimoine génétique si l’enfant en a besoin un jour.»
Pour éviter les débordements, les autorités commencent à se pencher sur la question. Co-parents.fr est actuellement sous enquête et a retiré de son site les annonces concernant des dons de sperme. Le site meetcoparents.fr, fondé à Zurich en 2015, a fait l’objet d’une saisine de la part du Défenseur des droits en France au début de l’année. Mais comme il est hébergé en Suisse, les autorités ont une marge de manœuvre limitée.
Pour Sarah Dumont, «quand on ne permet pas aux gens d’avoir accès à la PMA, ils se débrouillent par leurs propres moyens. Il faudrait encadrer ces pratiques pour ne pas oublier le plus important: le bien-être de l’enfant.»