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Le christianisme identitaire gagne l’Europe de l’Ouest

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Jeudi, 26 Janvier, 2017 - 05:53

Essai. Les démocrates-chrétiens Gerhard Pfister en Suisse et Angela Merkel en Allemagne, le républicain François Fillon en France: trois chrétiens face à la question migratoire.

«Je suis gaulliste et de surcroît je suis chrétien.» Prononcés le 3  janvier au 20h de TF1, ces mots solennels ont valu à leur auteur, François Fillon, une pluie de reproches au sein de la classe politique française, à droite comme à gauche. Se dire gaulliste: qui ne l’est pas un peu? Mais s’affirmer chrétien… C’est faire entrer le loup de la religion dans les bergeries de l’Etat.

C’est porter un coup à la laïcité qui suppose la neutralité, pour ne pas dire la neutralisation des questions religieuses dans la marche administrative de la France. D’autant plus que le candidat du parti Les Républicains à l’élection présidentielle de 2017 associe dans cette déclaration sa filiation spirituelle à une politique publique, en l’occurrence la sécurité sociale, totem républicain.

Lors de la primaire de la droite et du centre, il avait imprudemment proposé le non-remboursement des «médicaments de confort», destinés à soulager les patients atteints par des pathologies bénignes, avait-on compris. Une mesure jugée antisociale par beaucoup, qu’il a retirée de son programme. Parce que «chrétien», il ne prendra jamais «une décision contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne humaine, au respect de la solidarité», a-t-il expliqué, presque juré, face aux téléspectateurs. Il fermait un front et en ouvrait un autre.

Un front large, identitaire, qui traverse toute l’Europe et a pour nom la défense du christianisme. Rien de totalement neuf, puisque le pape Jean Paul II avait déjà usé du registre chrétien face à l’Union soviétique menaçante. Sauf que, à l’époque, il s’agissait d’opposer des valeurs humanistes au totalitarisme du goulag.

Chacun, croyant ou non, pouvait se retrouver dans le combat pacifique du souverain pontife. Aujourd’hui, c’est différent: il est moins question, pour les tenants d’une orthodoxie identitaire, de défendre des valeurs héritées du christianisme que de promouvoir des références explicitement chrétiennes.

Réaction à l’islamisme

Le danger, tel que perçu par une partie des chrétiens et de leurs compagnons de route, n’est plus une menace matérialiste mais une menace spirituelle, concurrentielle, l’islam, où des civils, les migrants, font office d’envahisseurs.

Si l’identité chrétienne est sans doute plus prégnante en l’Europe de l’Est, longtemps dominée par des régimes répressifs et athées, elle se manifeste de plus en plus à l’Ouest depuis quelques années, sous l’effet conjugué de migrations en provenance de pays musulmans, de revendications en tout genre portées par un courant islamiste et des attentats perpétrés par Daech. En France, en Allemagne et en Suisse, notamment, des hommes et des femmes politiques s’affirment ou se réaffirment chrétiens, réagissent au fait migratoire qui bouscule les «équilibres».

Un essai vient de paraître en France, qui accuse l’Eglise catholique d’«idolâtrie de l’accueil», intitulé Eglise et immigration: le grand malaise (Presses de la Renaissance, 308 pages). Son sous-titre est bien plus direct: Le pape et le suicide de la civilisation de l’Europe. L’auteur, Laurent Dandrieu, catholique, est rédacteur en chef de l’hebdomadaire de la droite conservatrice et identitaire Valeurs actuelles.

Le christianisme n’est pas qu’un universalisme, il est aussi une civilisation, aujourd’hui menacée de dilution, dit-il. En cause, un passage de l’Evangile selon saint Mathieu, appliqué selon lui sans discernement: «J’étais un étranger et vous m’avez accueilli.»

Dans la foulée, Laurent Dandrieu met en regard la bataille de Lépante, qui vit en 1571 la victoire de la Sainte-Ligue sur les Turcs musulmans, et le voyage du pape François le 16 avril 2016 sur l’île grecque de Lesbos, l’un des principaux points d’entrée des migrants dans l’Union européenne.

Le souverain pontife en était revenu «avec trois familles de réfugiés syriens musulmans», souligne l’auteur. «Comment est-on passé de Lépante à Lesbos, d’une papauté fer de lance de la résistance à l’avancée musulmane, à (…) [l]’accueil de l’autre érigé en impératif catégorique (…)?» demande-t-il, comme catastrophé.

Rappellons ici que l’accord passé par l’UE avec la Turquie le 18 mars dernier limite le nombre de venues de migrants en Europe.

Dans Le Figaro Magazine du 14 janvier, Jean-Pierre Denis, directeur de La Vie, hebdomadaire «chrétien et humaniste», dialogue avec l’auteur de la charge anti-pape François. «Sous Jean Paul II et Benoît XVI, les voix critiques venaient généralement de l’aile gauche de l’Eglise, elles arrivent à présent de l’aile droite», observe-t-il.

Des valeurs portées par Gerhard Pfister en Suisse

Ce constat vaut aussi pour la Suisse. L’actualité nationale et internationale donne des arguments aux conservateurs catholiques. Elu le 23 avril 2016 à la tête du Parti démocrate-chrétien, le conseiller national zougois Gerhard Pfister n’attendait pas longtemps avant de faire part de convictions civilisationnelles. Face aux délégués du parti réunis fin août à Appenzell, invoquant la question migratoire, il déplorait que l’Union européenne se fût «éloignée des idées démocrates-chrétiennes».

Sur sa lancée, il déclarait en octobre dans la Neue Zürcher Zeitung: «Les musulmans font partie de la Suisse, l’islam non.» Il précisait sa pensée un mois plus tard dans Le Matin Dimanche: «Il s’agit d’un constat historique, mais aussi d’une opinion personnelle. Je n’ai pas l’impression, en effet, que la Suisse a emprunté les valeurs de l’islam. Par contre, 1500 ans de christianisme ont clairement laissé des traces dans notre culture et dans notre société.»

Interrogé cette semaine par L’Hebdo, Gerhard Pfister dit être «content» de l’arrêt rendu le 10 janvier par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, donnant raison aux autorités et tribunaux suisses qui avaient rejeté les recours d’un couple turco-helvétique opposé à ce que leurs deux filles suivent les cours obligatoires de natation à l’école. «On ne peut pas tout se permettre au nom de la foi.

La liberté de culte a des limites, affirme le président du PDC. Nous vivons en Occident dans des Etats de droit. L’Etat de droit découle à la fois du Siècle des lumières et de la culture chrétienne. Il y a de grandes différences de valeurs entre l’Occident et l’Orient.» Se référant à Lumen Gentium («Lumière des nations»), l’une des quatre constitutions rédigées par le concile Vatican II au début des années 1960, Gerhard Pfister rappelle que «l’Eglise doit accepter les règles de l’Etat de droit et respecter les lois d’un pays.

C’est aujourd’hui le défi qui se pose à l’islam et à l’immigration.»

Inspiré par sa foi, le président des démocrates-chrétiens suisses n’en a pas moins, semble-t-il, choisi son camp, celui de César, qui est celui de la politique. Il laisse au successeur de saint Pierre la défense des grands principes de l’Eglise. Par conséquent, et contrairement à l’essayiste français Laurent Dandrieu, il estime que le pape est «dans son rôle» en prônant l’accueil des réfugiés, et lui dans le sien en approuvant le renvoi des requérants d’asile déboutés ou des personnes se trouvant en situation irrégulière sur le sol suisse.

Chrétiens divisés sur l’accueil des migrants

Cette posture morale insupporte la socialiste Ada Marra, conseillère nationale vaudoise, catholique «et libertaire», ajoute-t-elle. Alors que Gerhard Pfister condamne les mouvements de désobéissance civile en faveur de migrants, elle les soutient. «Des mineurs à la frontière italo-suisse sont refoulés vers l’Italie au mépris des Accords de Dublin, c’est scandaleux.»

Les chrétiens sont inquiets et se divisent sur la question migratoire. D’abord comme enthousiastes à l’idée d’accueillir des migrants, le pape François et, en Allemagne, Angela Merkel ont nuancé leurs positions à la suite d’attentats commis par des étrangers musulmans. Mais, face au flot – aujourd’hui réduit – des réfugiés, la chancelière fait cependant preuve d’une certaine constance et paraît s’en remettre à l’intelligence et à la foi de ses concitoyens.

En septembre 2015 à Berne, où elle venait recevoir un titre de docteur honoris causa, elle, la fille de pasteur, invitait les Allemands à redécouvrir leurs racines chrétiennes, par la lecture des Evangiles, qui leur donnerait la force d’accueillir l’autre. Les élections fédérales allemandes diront cette année si son message a été compris.

Un point relatif à l’arrêt de la cour strasbourgeoise sur la participation d’écolières musulmanes aux heures de piscine est passé relativement inaperçu. Alors que, entre 1993 et 2008, rappelait Le Temps, les juges du Tribunal fédéral, à Lausanne, estimaient que le droit d’être dispensé de piscine au nom de la liberté religieuse prévalait sur le caractère obligatoire des cours de natation, ils ont inversé par la suite leur jurisprudence, pour tenir compte du nombre «en augmentation rapide» de musulmans en Suisse.

C’est là une appréciation politique, mécaniquement assez cousine de la crainte d’un «grand remplacement», thème cher à la droite identitaire. Garants de la paix civile, les juges fédéraux helvétiques disent le droit aussi à l’aune des coutumes et des passions. En la circonstance, ils auront certainement voulu préserver les unes et contenir les autres.

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