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L’avocat du diable
Un homme politique qui en a
Matteo Renzi, le secrétaire général du Parti démocratique italien, a rencontré Silvio Berlusconi.
Charles Poncet
Matteo Renzi, maire de Florence – surnommé «il rottamatore» (celui qui envoie à la casse) – est le nouveau secrétaire général du Parti démocratique italien (PD). Avec vingt ans de retard sur le reste de l’Europe – mais quelques années d’avance sur la France… – la gauche italienne a, grâce à lui, mis au rancart les dinosaures staliniens (le glauque Pierluigi Bersani), les communistes doctrinaires (la lugubre Rosy Bindi), les trotskistes déguisés en sociaux-démocrates (le trouble Massimo D’Alema) et quelques autres vieux crabes, bons pour la maison de retraite ou les poubelles de l’histoire. L’Italie, dont l’économie agonise, a besoin d’un gouvernement fort, capable de faire des réformes libérales: droit du travail, impôts, charges sociales, bureaucratie, réduction des dépenses de l’Etat sont les chantiers les plus urgents. Elle a eu au moins un gouvernement solide par le passé, mais l’inconséquent Berlusconi n’a fait aucune réforme sérieuse durant les huit années de sa majorité. Pour assurer une stabilité gouvernementale, il faut deux choses: le bipolarisme et une loi électorale dégageant des majorités claires. Autrement dit, un système qui se rapproche de celui du Royaume-Uni, de la France ou de l’Espagne. Ces deux exigences font sur les petits partis (les déchets de la défunte – heureusement… – démocratie chrétienne, «conduits» par l’incohérent Pier Ferdinando Casini, les technocrates ennuyeux, bien intentionnés mais nuls politiquement, autour de Monti et autres micromouvements), ainsi que sur l’extrême gauche de l’énergique et intelligent Nicola «Nichi» ou «Niki» Vendola (à côté duquel Mélanchon est bon pour le théâtre de Guignol) l’effet d’un jeu de photographies pornographiques sur des évêques intégristes: hurlements, indignation et levée de boucliers immédiate, les gardiens de la foi s’étranglant de rage, le poing tendu et le visage écarlate… Il Giornale est le quotidien le plus berlusconien de la Péninsule et le voici qui titre «Renzi ha le palle» (littéralement «Renzi en a») et, en effet, le leader de la gauche modérée vient de montrer un courage et une clairvoyance exceptionnels. Pour faire passer la réforme électorale, il s’est entendu avec le diable: ignorant les couinements de sa gauche, les meuglements de la moitié de son parti, les jérémiades de la gauche caviar italienne, les vaticinations du Corriere della Sera, il a invité Berlusconi au siège du PD pour négocier un accord sur la réforme électorale. Le Cavaliere a accepté. Renzi l’a reçu courtoisement – Berlusconi est théoriquement un condamné de droit commun expulsé du Sénat il y a quelques semaines, ne l’oublions pas – et ils se sont mis d’accord sur les axes essentiels de la future loi. Les lombrics de toutes sortes qui, à gauche, à droite et au centre, comptaient sur le temps pour faire dérailler la réforme et continuer à se remplir les poches au détriment de la République risquent bien d’en être pour leurs frais. L’axe Renzi-Berlusconi rend presque certain – en tout cas plus probable que jamais – qu’une réforme sur laquelle la classe politique a babillé vainement depuis vingt ans sera enfin réalisée dans les semaines qui viennent. S’il y parvient, le jeune loup capable de tendre la main au vieux lion aura mérité sa place dans l’histoire italienne.
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Post-scriptum
Permis de séjour en solde!
Avec de l’argent, tout est possible, y compris s’offrir un passeport ou un permis de séjour.
Michael Wyler
Mais quelle idée de traverser le continent africain à pied, de braver plein de dangers, de risquer sa peau en permanence, de donner tout ce qu’on possède à un passeur, qui vous laissera vous noyer avant d’arriver à Lampedusa, alors qu’il suffit de 780 000 francs pour s’acheter un passeport européen! Eh oui, c’est le prix demandé par le gouvernement de Malte pour accorder séance tenante la nationalité à qui en a les moyens (entendez Chinois et Russes de préférence). Qui peut les blâmer? La faible population de l’île (400 000 habitants) peine à absorber les quelque 15 000 illégaux arrivés ces dernières années et donc, il faut renflouer les caisses. Un peu moins généreux – mais moins cher – le Portugal accorde des permis de séjour à tout investisseur disposant d’au moins 600 000 francs et intéressé à placer ses pépètes dans l’immobilier. (…) Espagne et Grèce disposent de programmes similaires, tout comme Chypre, le «discounter» de l’Europe, dont les permis de séjour ne coûtent que 300 000 francs. Mais il n’y a pas que les pays du Sud pour vendre passeports et permis: la Grande-Bretagne facilite l’accès à un permis de résidence à tous ceux disposés à investir 1,5 million ou plus dans le pays. Quant aux Etats-Unis, c’est un grand «welcome», accompagné d’un permis de résidence pour celles et ceux qui y montent une entreprise et engagent quelques «locaux». (…)
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Le futur, c’est tout de suite
Une nouvelle guerre de 14
Et si c’était en Asie qu’une troisième guerre mondiale voyait le jour?
Guy Sorman
Les Européens s’apprêtent à commémorer ce qui, avec le recul d’un siècle, ne fut en réalité qu’une guerre civile. Il est, aujourd’hui, à peu près impossible de démêler l’enchaînement diplomatique et militaire qui a conduit au massacre, de 1914 à 1918, entre des peuples qu’unissait une civilisation commune, et désunis par des querelles de bornage subalternes. (…) Un siècle est passé: nul n’envisage plus maintenant de conflits autres que locaux et sectaires, à l’instar des tueries présentes au Congo ou en Syrie. Ce regard contemporain qui me paraît trop optimiste suppose que la guerre par nature ne serait plus qu’une conséquence, fâcheuse et accidentelle, de la pauvreté de masse et de querelles tribales, ethniques, sectaires, appartenant à des temps révolus ou en cours d’extinction. A regret, cette vision confiante en la nature humaine tend à s’inverser dès que l’on regarde le monde depuis l’Orient, de Séoul, Pékin, Taipei ou Tokyo. Cet Orient-là, parce qu’il n’a pas traversé les mêmes épreuves que l’Occident, ou n’en a pas tiré les mêmes enseignements, reste ancré dans des préjugés culturels qui ont disparu de notre univers occidental. (…) En Asie, les notions de territoire, de frontières et de races sont aussi prégnantes dans l’imaginaire collectif qu’elles le furent en Europe au XIXe siècle. Coréens, Chinois, Japonais se perçoivent volontiers comme appartenant à des races distinctes, ils estiment que race et culture se confondent et qu’évidemment chacune est supérieure à sa voisine. A l’intérieur de la Chine, le sentiment populaire est qu’il existe entre les provinces des hiérarchies ethniques. (…) On observera aussi, comme en 1914 en Europe, que ni le développement économique, ni la mondialisation des échanges, ni la solidarité démocratique (l’Allemagne en 1914 était-elle vraiment moins démocratique que la France?) n’apparaissent comme des remparts suffisants pour résister aux passions nationalistes: la croissance ni la démocratie n’éteignent les passions! (…) On ne peut plus exclure que l’impérialisme chinois, désormais avoué et chaque jour mieux équipé, puisse déclencher, par dessein ou par quelque erreur de calcul, une réaction militaire en chaîne. (…) Seule dans la région, l’armée japonaise serait assez puissante pour dissuader la Chine et la Corée du Nord d’une aventure militaire. C’est ainsi. Il faut donc non pas s’alarmer mais accepter le réarmement du Japon parce qu’il peut nous protéger de la guerre de 2014. Ce retour du Japon en Asie ne sera tolérable en Occident comme en Asie qu’au terme d’un examen de conscience sur les crimes de guerre commis par l’Empire japonais dans les années 30: les Allemands y sont parvenus, bien des Japonais y seraient disposés. (…)
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Bonjour le code (social)!
Un matin au marché
«Les gens d’ici ne sont pas très complimenteurs.» Exemple sur un marché vaudois.
Sylviane Roche
Je viens d’emménager dans une charmante ville de La Côte et je fais avec bonheur le marché le samedi matin dans la rue piétonne. Un vrai marché bien qu’un peu maigre en hiver, avec quelques stands de partis politiques, des étals de brocante, des pêcheurs du lac, des paysans qui vendent leurs produits, et même un joueur d’orgue de Barbarie. Et des gens qui se rencontrent, se saluent, se parlent, même – ô miracle! – s’ils ne se connaissent pas. Ainsi cette dame âgée, ce matin, devant le charcutier. (…) Perdue dans la contemplation d’un jambon à l’os comme on n’en voit plus guère, je n’ai pas vu tout de suite que je l’empêchais de quitter l’étal. Je m’écarte en la priant de m’excuser. «Ce n’est pas grave, dit-elle, je marche de toute façon si lentement que je peux bien attendre un peu.» (…) Je ne sais pas pourquoi me vient une réponse qui n’a rien à voir (ou peut-être que si, justement): «J’adore vos boucles d’oreilles, elles sont superbes.» Elle rosit. (…) Elle me regarde, intriguée. «Vous n’êtes pas d’ici, non?» Et, comme si elle avait le sentiment de se trouver dans une logique de don et de contredon, et qu’il s’agissait de ne pas être en reste, elle ajoute: «Vous avez un joli bonnet, très original.» Je remercie et souris. «Ça fait du bien de recevoir des compliments, non? Ce n’est pas si fréquent.» Elle hoche la tête: «C’est vrai. Ici, les gens ne sont pas très complimenteurs. Ça ne se fait pas…» (…) Pour cette dame, ma réflexion sur ses boucles d’oreilles m’a cataloguée d’emblée: je ne pouvais pas être d’ici. Je ne l’ai ni choquée ni indisposée, elle a réagi avec gentillesse et politesse puisqu’elle m’a retourné le compliment. Mais elle m’a identifiée comme différente. J’ai donc transgressé une règle, et cette transgression m’a immédiatement exclue du groupe social des gens d’ici. (…) Décidément, en matière de code social, on marche sur des œufs! (…)