France. La candidate de l’UMP Nathalie Kosciusko-Morizet aux élections municipales de Paris incarne, davantage que la socialiste Anne Hidalgo, l’esprit novateur qui a fait le succès du maire sortant.
L’égalité, en politique, on a beau dire, ce n’est pas l’indifférence devant le sexe. Candidate à la mairie de Paris, certes, mais tellement femme. C’en est frappant. On ne peut gommer cet aspect de la nature chez Nathalie Kosciusko-Morizet. Il se dégage d’elle un côté floral et botticellien. Son teint de porcelaine parsemé de fraîches nuances de rose confère une rare délicatesse à son visage. Ses longs cheveux blonds, autrefois tressés et ramenés en un chignon austère, sont depuis peu libres de toute attache et lui donnent un petit air sauvage.
Elle reste chic cependant, comme ce lundi matin du 20 janvier qui la trouve à sa permanence de campagne. Là, en corsage et pantalon, elle fait parapher une «charte d’éthique» aux personnes de son camp engagées dans la bataille parisienne. Allons, Messieurs, signez maintenant, semble-t-elle ordonner à ses rivaux réunis autour d’elle.
Vainqueur en juin dernier, au premier tour, de la primaire désignant le chef de file de l’UMP aux élections municipales des 23 et 30 mars prochain dans la capitale, elle distribue des tracts, fait du porte-à-porte, tape la discute sur les marchés. Il ne faut pas se fier à son apparence délicate: c’est gorge virile, sans écharpe, qu’elle se meut dans son manteau continuellement ouvert, comme insensible au froid. Le sigle de son nom, NKM, sur toutes les lèvres, apporte ce qu’il faut de modernité et d’allant camionneur à sa campagne.
Son adversaire se nomme Anne Hidalgo, préparée comme rarement à la fonction de maire. Elle occupe en effet depuis treize ans le poste de première adjointe de Bertrand Delanoë, qui a décidé de ne pas briguer un troisième mandat. La socialiste, 55 ans, part toujours favorite, mais Nathalie Kosciusko-Morizet se rapproche à grands pas.
Un sondage publié le 8 janvier la donnait battue au second tour, mais en tête au premier. Le mode de scrutin par arrondissement, indirect, semblable à celui qui régit la présidentielle américaine, fait d’ailleurs que le gagnant en nombre absolu de voix à Paris peut ne pas être élu maire s’il n’obtient pas la majorité des «grands électeurs». Le découpage électoral favoriserait la gauche. Soit, mais Anne Hidalgo est-elle l’héritière légitime que l’équipe sortante s’emploie peu ou prou à présenter comme telle?
Comment paraître nouvelle et porteuse de propositions originales quand on a été aux affaires deux mandats de suite? A l’inverse, comment ne pas prêter le flanc aux procès en inexpérience quand, à 40 ans, l’âge de Nathalie Kosciusko-Morizet, on vise le poste de première magistrate d’une ville prestigieuse, comptant plus de deux millions d’habitants? D’un handicap apparent, les politiques savent généralement faire un atout.
Hommage et pique. NKM, c’était attendu, se présente en candidate du «renouveau» et de l’«alternance». «Aujourd’hui, dit-elle à L’Hebdo, on est à la fin d’un cycle. Paris, on y vient ou on y reste pour qu’elle nous donne plus d’énergie qu’elle ne nous en prend. Cette promesse-là n’est pas totalement réalisée. L’addition des contraintes, le stress, la pollution, les difficultés de logement, le sentiment de déclassement aussi font qu’on a l’impression que les plateaux de la balance s’inversent un peu. On voudrait que Paris soit une ville à énergie positive. C’est ça, l’enjeu de ma campagne.»
Offensive mais pas offensante: Nathalie Kosciusko-Morizet se garde bien de dénigrer l’héritage «Delanoë», qui comprend des événements et réalisations plutôt appréciés et copiés à l’étranger, tels Paris-Plage ou la Nuit blanche. La candidate UMP rend hommage à l’icône tout en plaçant sa pique: «Les Parisiens, qu’ils aient voté ou non pour Bertrand Delanoë, émettent en général une opinion assez favorable sur son premier mandat. Qui a été vécu comme un moment d’une assez grande créativité. Et puis il y a eu un moment de rupture, qui a été l’échec de la candidature aux Jeux olympiques de 2008, le sentiment à partir de là que le maire était moins investi dans sa ville, qu’il avait peut-être d’une certaine manière moins de désir pour elle.» Son message subliminal envoyé aux Parisiens: ne cherchez plus, Delanoë c’est moi, en plus jeune, en plus énergique, en mieux.
Où qu’elle soit, avec qui que ce soit, NKM se doit d’être à l’aise. Surtout ne pas paraître coincée ou, pire, hautaine, ces reproches adressés machinalement à la bourgeoise que voilà. Si bien qu’elle a tendance à en rajouter dans le genre décontracté, comme lors de cet impromptu du bitume parisien où on la voit blouson de cuir sur le dos fumer une cigarette en compagnie de SDF polonais. La Pologne est d’ailleurs une partie d’elle.
Fille de notables rompus à la politique, elle a, explique-t-elle, de lointaines origines juives polonaises côté paternel, marquées à gauche. Françaises et provinciales, catholiques et traditionnelles côté maternel. «Deux milieux qui ont eu probablement leur influence sur moi et qui ont été présents en tout cas dans mon éducation.»
Quant à ses grands-parents, ils sont le fruit de la «méritocratie républicaine», un principe cher à ses yeux. N’a-t-elle pas intégré Polytechnique, cette grande école au statut militaire, l’un des creusets de l’élite? Elle en est sortie ingénieure, «spécialisée dans les eaux et forêts et les questions d’environnement». Elle sera secrétaire d’Etat puis ministre sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dans des domaines d’avenir, l’écologie et l’économie numérique, notamment. En comparaison, le CV d’Anne Hidalgo, Française d’origine espagnole, est plus modeste. Son profil académique est de type «fac». Elle a passé des concours administratifs qui lui ont permis de gravir les échelons jusqu’au sommet. Un parcours également méritoire.
«Vous bossez dans quoi?» Etre «nature» dans ses contacts avec les gens, c’est primordial pour NKM. Ce 20 janvier encore, elle visite la Ruche, une pépinière d’entrepreneurs sociaux. Elle est un peu la grande sœur. «Bonjour, je m’appelle Nathalie Kosciusko-Morizet… Je vous fais le coup des alcooliques anonymes», dit-elle, dans un trait d’humour, aux jeunes gens et jeunes femmes qui lui font face. Elle est à l’écoute de leurs revendications, montre de l’intérêt pour ce qu’ils font: «Vous bossez dans quoi?» demande-t-elle à l’un d’eux, comme prête à bûcher sur le dossier.
Elle maîtrise à n’en pas douter les codes de l’«innovation sociale», croit dans le «big data», l’analyse de milliards de données informatiques, nouvelle poule aux œufs d’or, promet qu’elle facilitera l’accès aux marchés publics, aujourd’hui verrouillés par la bureaucratie qui avantage les grosses boîtes. Elle affirme avoir des «amis» dans le «très social», le «très capitalistique» ou «entre les deux», son frère, Pierre Kosciusko-Morizet, est l’un des créateurs du site de vente en ligne PriceMinister.
NKM avoue sa sympathie pour «les idées un peu subversives» et cite en exemple «les nouvelles monnaies». Il est 2 heures de l’après-midi, la réunion est terminée. La candidate, qui n’a pas mangé, dévore deux clémentines en quittant les lieux.
Comme dans «Friends». Nathalie Kosciusko-Morizet a indéniablement envie d’agiter le bocal parisien. Attachée au «modèle républicain», mais libérale dans sa vision des choses, elle s’inspire de ce qui se fait de mieux à New York et surtout à Londres, dont on a appris récemment qu’elle avait détrôné Paris en nombre de touristes. Un argument électoral pour NKM. Les «classes moyennes» – soit, dans son esprit, un couple, deux revenus, un ou deux enfants ou sur le point d’en avoir – sont le poumon économique de Paris et doivent être traitées prioritairement dans la politique du logement. Elle dit «rêver de zones franches en matière de droit du travail, non pour qu’il n’y ait plus de droit du travail mais pour en inventer d’autres». Elle veut libérer les énergies mais a le souci de la sécurité, du confort et de la propreté des rues, l’un des sujets les plus épineux de la bataille électorale, tant il convoque la notion, mise à mal, de civisme.
Elle créera de nouvelles zones piétonnes dans le centre de Paris, favorisera l’implantation de «lieux culturels alternatifs» dans les stations désaffectées du métro. NKM pense «village», cocon, voisinage harmonieux.
A l’écouter, on se croirait dans un épisode de Friends, la série un peu bohème et légèrement régressive, dont l’action se situe à Manhattan, cité de tous les possibles, à condition de se bouger…
La candidate UMP est résolument mainstream sur les questions sociétales, au diapason de la gauche urbaine. Le quinoa, le féculent en vogue, a sa place dans la cuisine du domicile familial, situé dans le XIVe arrondissement. Elle veille à la bonne alimentation de ses deux jeunes fils, inscrits «à l’école publique». Elle est une adepte du «frais» et a régulièrement à ce propos des «débats avec [sa] belle-mère», de la «génération Picard-Findus», qui vit chez elle et son mari, Jean-Pierre Simon, un énarque de dix-huit ans son aîné, officiellement retiré de la politique.
S’agissant du «mariage pour tous», combattu par son parti, l’UMP, elle s’était abstenue lors du vote mais n’y était pas hostile. Elle a comme il se doit des amis gays, son équipe de campagne étant «à l’image de la capitale», précise-t-elle. Si, absente de l’Assemblée nationale dans la nuit du 21 au 22 janvier, elle n’a pas pu voter l’amendement supprimant, contre l’avis de la droite explicitement catholique, la notion de «situation de détresse» figurant dans la loi sur l’avortement, elle était néanmoins favorable à sa suppression, confie-t-elle à L’Hebdo. «Je trouve que le droit à l’IVG doit être absolument garanti.»
Son côté «Twilight». Entre midi et deux à la Ruche – la pépinière d’entrepreneurs sociaux –, elle enchaîne en début de soirée avec un porte-à-porte dans un immeuble de standing du XIVe arrondissement. Le XIVe est l’un des «swing states» de la capitale, tenus par la gauche et qui, lui ou un autre, devra tomber dans l’escarcelle de la droite pour permettre à NKM de l’emporter. «Bonsoir, se présente l’impétrante, je suis Nathalie Kosciusko-Morizet, la candidate aux élections municipales des 23 et 30 mars. Avez-vous des préoccupations particulières? Des remarques?» Des portes restent fermées, d’autres s’ouvrent brièvement, ou plus longuement. L’accueil est toujours poli, parfois chaleureux, la candidate y met du naturel, s’enquiert du quotidien, cherche à savoir si l’enfant a pris son bain.
En bas, dans le hall, une femme d’une cinquantaine d’années, sorte de Mary Poppins en imperméable et chapeau Burberry, ne cachant pas sa préférence pour le Front national et qui semble prête à négocier sa voix, attire l’attention sur un fait selon elle scandaleux: l’Aide médicale d’Etat (AME) accordée aux étrangers en situation irrégulière. NKM déconstruit point par point le discours de cette électrice fâchée avec le système, fait valoir les risques d’épidémie en cas de refus de soins, mais ne désespère peut-être pas tout à fait son interlocutrice en trouvant anormal que l’AME s’applique aux femmes clandestines recourant à la procréation médicalement assistée.
La journée s’achève par une rencontre et un repas avec des représentants et familles de la «communauté asiatique», dans un restaurant chinois du quartier haut en couleur de Belleville. Ambiance velours et tables laquées. Nathalie Kosciusko-Morizet flatte ses hôtes, dont l’abnégation au travail n’est plus à démontrer. Pour beaucoup de commerçants, elle les protégera contre les «délinquants» du coin, qu’elle ne désigne pas mais dont la chronique a retenu qu’ils étaient plutôt jeunes, d’origine maghrébine ou subsaharienne.
NKM a sur le coup des accents intransigeants de ministre de l’Intérieur. Son côté Twilight à la nuit tombée, sûrement. Et l’indice, peut-être, d’une ambition qui ne saurait se satisfaire de l’Hôtel de Ville de Paris, la tentation élyséenne l’emportant sur tout le reste à l’approche de 2017. L’ambition dévorante prêtée à NKM pourrait heurter les Parisiens, qui se sont habitués à ce que leur maire leur soit fidèle.