Neuchâtel.Il siège au Château depuis dix mois, mais n’en a pas pris pour autant la grosse tête. Il adore toujours «Le Canard enchaîné», qui n’arrête pas de se payer celle des politiciens.
Il y a le politicien qui s’est forgé une réputation de tenant de la ligne dure de l’UDC dans le sillage de Christoph Blocher. Et puis il y a la face plus méconnue du personnage, celle de l’homme féru d’histoire, de littérature, mais surtout d’humour. Ce même homme, c’est Yvan Perrin, conseiller d’Etat neuchâtelois depuis dix mois maintenant. Il révèle à L’Hebdo sa lecture favorite: Le Canard enchaîné, dont il est un fidèle lecteur depuis vingt-sept ans!
Dans son bureau au Château de Neuchâtel, la lumière est tamisée en cette fin d’après-midi hivernale. Le nouveau magistrat suit une luminothérapie pour lutter contre la dépression saisonnière, une maladie dont souffre 2% de la population. Il a donc fait installer quatre lampes d’un coût de 1000 francs.
Qu’on se rassure. Yvan Perrin se sent comme un poisson dans l’eau au sein de la nouvelle équipe du gouvernement. «L’ambiance est bonne. Je ne me rappelle pas avoir vécu une votation correspondant à l’actuel rapport de force politique, soit trois à deux pour la gauche», se réjouit-il. La pression est lourde à porter pour le chef du Département territorial et de l’environnement, mais Yvan Perrin a fait de l’humour une thérapie secrète: pas un jour ne s’écoule sans qu’il trouve quelques minutes pour s’évader sur le Net et découvrir la dernière séquence de 120 secondes.
Quant à la lecture du Canard enchaîné, elle est sacro-sainte. Pour rien au monde il ne renoncerait à sa ration hebdomadaire de coups de bec et de «minimares», ces brèves parfois assassines qui épinglent les gens de pouvoir dans l’Hexagone. «Je le lis depuis 1987; je n’en ai loupé que deux numéros jusqu’à aujourd’hui.»
Les raisons? D’abord la liberté de ton du volatile envers tous les partis politiques. Le Canard, si jaloux de son indépendance qu’il renonce à toute publicité dans ses pages, n’épargne personne, qu’il soit de gauche ou de droite. «De l’ex-ministre socialiste Jérôme Cahuzac à Nicolas Sarkozy, tout le monde en prend pour son grade. C’est très œcuménique», jubile Yvan Perrin.
Et puis, au début des années 2000, lorsque le flic Yvan Perrin se décide à faire le grand saut dans l’arène politique, il joint l’utile à l’agréable. L’hebdomadaire satirique a été pour lui un magnifique outil de formation politique. En soulignant toutes les sottises des hommes de pouvoir, Le Canard est indirectement une bible des erreurs à ne pas commettre. Yvan Perrin en a tiré la leçon: «Il faut profiter des erreurs des autres, car on ne devient pas assez vieux pour les faire toutes soi-même», sourit-il.
Un puissant rayon de soleil. Il n’y a pas de miracle. Lorsqu’ils s’adressent à lui et à son département, les citoyens sont plus enclins à le couvrir de critiques que de fleurs. Dès lors, «l’humour est un puissant rayon de soleil qui illumine le quotidien, tout en permettant de relativiser les soucis», apprécie Yvan Perrin.
Il surgit parfois là où on l’attend le moins. Ainsi, le magistrat a fini par sourire en découvrant, le 7 août dernier, qu’il avait signé «un document qui demandait l’exact contraire de ce que je souhaitais». Que s’est-il passé? Le courrier interne dans lequel le magistrat exige des corrections s’égare, tandis que son destinataire s’impatiente et renvoie le même texte original au chef du département. Qui le signe le cœur léger en supposant que ses ordres ont été suivis. Un magnifique malentendu dont on a fini par s’apercevoir à temps.
Les excuses des chauffards. Pour le reste, il n’y a guère que la lecture des recours des citoyens contestant un retrait de permis qui déride Yvan Perrin dans sa fonction. Comme son département fait office d’instance de recours, c’est lui qui doit trancher. Or, les fautifs se révèlent très inventifs afin de prouver leur innocence. Ainsi, un citoyen peu doué au volant, dont le véhicule avait terminé sur le toit après avoir dérapé sur une plaque de verglas, a affirmé qu’il ne saurait être sanctionné: il venait d’un coin de pays – le sud de l’Espagne – où il ne gèle jamais!
Et lorsqu’il quitte son bureau? Outre Le Canard enchaîné, Yvan Perrin consomme suisse, et même local. Il y a les sketchs de 120 secondes de Veillon et Kucholl qu’il visionne chaque jour sur le Net, mais aussi l’humour décalé de Plonk & Replonk, même s’il avoue s’être fait des ennemis à vie au sein de la police en déclarant publiquement avoir adoré une de leurs expositions sur la police à la caserne de Colombier. «L’une de leurs caricatures montrait une bouteille d’absinthe dans un meuble métallique couleur gris-vert de la police. C’était criant de vérité», raconte Yvan Perrin. Mais certains pandores neuchâtelois n’ont pas apprécié.
La nuit est tombée sur le Château de Neuchâtel, l’heure pour le conseiller d’Etat de se replonger dans des dossiers bien plus sérieux. Juste le temps de rappeler qu’il a reçu un jour un Champignac de bronze pour une déclaration fracassante sur la menace terroriste en Suisse: «On ne peut exclure des réseaux souterrains sur notre sol.»