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Le futur, c’est maintenant
Notre corps n’appartient pas à l’État
Les gouvernements ne doivent pas légiférer sur la propriété du corps.
Guy Sorman
Mon corps, à qui appartient-il? Cette interrogation envahit soudain le champ politique en Espagne, en France, aux Etats-Unis. On manifeste dans les rues, à Paris, Madrid ou Washington, pour et contre le droit à l’avortement, le mariage homosexuel, la procréation médicalement assistée, l’adoption des enfants par des parents homosexuels et l’euthanasie choisie. Aux Etats-Unis, des référendums d’initiative populaire ont légalisé l’usage personnel du cannabis (au Colorado et à Washington). Cette réactivation de débats que l’on croyait éteints – hormis aux Etats-Unis où l’avortement a toujours été un clivage essentiel entre partis politiques – saisit et surprend les acteurs et commentateurs de la vie publique: nul en vérité ne s’attendait à cette résurgence des questions dites de société dans le monde occidental. Les explications qu’on en donne, à gauche généralement, me semblent superficielles: une droite dite réactionnaire, en panne d’idéologie, tenterait de rassembler ses troupes autour de thèmes passionnels. Mais n’est-ce pas la gauche qui serait fautive d’avoir imposé de nouvelles normes légales à des nations qui n’en demandaient pas tant? (…) Car appartient-il véritablement aux Etats de statuer sur l’amour, la vie et la mort? Désignons-nous nos gouvernements pour qu’ils décident de notre droit de nous marier, d’enfanter, de consommer ou non certaines substances, de mourir à notre heure? L’Etat ne devrait avoir le droit et le devoir de légiférer dans toutes ces circonstances que si je nuis à autrui et si autrui me nuit. (…) Ce n’est pas préconiser l’anarchie que d’inviter les gouvernements à se retirer de tous ces débats sur la propriété du corps, mais les inciter à se recentrer sur ce que l’Etat seul peut faire: garantir la sécurité collective et assurer un minimum de justice sociale, sans laquelle il ne saurait y avoir de sécurité durable. S’emparer à tout prix du corps des citoyens au lieu d’assurer leur sécurité illustre combien les gouvernements ont perdu tout sens de leurs missions et tentent par artifice idéologique d’en réinventer de nouvelles. (…) Cette révolte contre l’Etat est une exigence de liberté, celle de disposer de notre corps: ne serait-ce pas la moindre des choses que l’Etat nous la rende?
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Les lumières de la ville
De la Suisse (qui a voté) à Berlin: Histoire de la peur
La peur de l’autre se trouve au-delà. En Suisse comme à Buenos Aires.
Frédéric Maire
Ils vivent dans un de ces quartiers aisés de la ville, entourés d’une clôture en métal, avec un gardien qui fait sa ronde sur du gazon bien taillé. Mais le moindre événement qui sort de l’ordinaire leur fait peur. Un petit trou taillé dans la clôture, une alarme qui se déclenche, un visiteur inattendu, les aboiements de chiens sans maître… C’est le premier long métrage du cinéaste argentin Benjamin Naishtat, présenté en compétition, qui s’intitule Historia del miedo (histoire de la peur), et que je viens de voir ce dimanche après-midi. Juste au moment où sont tombés les résultats de nos votations. Ils pourraient être Suisses, les personnages du film. Avec la même peur de ce qui vient d’au-delà de la clôture. Les autres. Ceux qui, semble-t-il, viennent voler notre travail, notre argent, notre bien-être. (…) Les autres, ce sont aussi ceux que l’on ne voit pas, que l’on ne connaît pas. Qui ont fait le trou dans la clôture. Ou qui jettent des ordures et les incendient de l’autre côté de la barrière. On ne les voit pas. On ne les connaît pas. Ils font donc encore plus peur. Au point que l’on est prêt à sortir les armes. Historia del miedo est un remarquable précis de cette instabilité qui nous fait prendre des décisions extrêmes. Comme celle que certains d’entre nous ont prise en votant en faveur de cette initiative de l’UDC. Ce que nous enseigne le film – et l’histoire – c’est que la peur est mauvaise conseillère. (…) Ici, à Berlin, j’ai de nouveau un peu honte d’être Suisse dans cette Europe qui nous accueille plutôt bien et que nous ne voulons plus vraiment. Ou alors du bout des doigts. Pour faire le ménage et tailler le gazon.
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L’économie pour tout le monde
Le salaire de la peur
Dans l’isoloir, cette émotion nous pousse à donner un signal plutôt qu’un avis.
Samuel Bendahan
Après avoir fait s’envoler sa prospérité grâce au reste du monde, la Suisse choisit de s’écraser de ses propres ailes. Le oui à l’initiative de l’UDC est un signal fort qu’à force de jouer avec le feu nous avons perdu le contrôle. Face à la politique de la peur menée par l’UDC, l’ensemble des autres acteurs aurait dû avoir un discours clair contre la vision de l’étranger qui causerait tous nos maux. Nous devrons assumer toutes les conséquences de ce choix du peuple suisse, mais certainement que nous n’en serions pas là si la majorité politique avait combattu clairement les problèmes tels que le dumping salarial et le travail au noir. (…) Alors que notre pays s’en sort bien dans une Europe particulièrement morose, nous arrivons encore à être contrôlés par la peur. Lorsque l’UDC en a fait son beurre électoral, nombreux sont ceux qui ont suivi. La peur, c’est rapide, efficace, convaincant. Mais l’abus de cette source de voix nous pousse à voter en voulant «donner un signal» plutôt qu’en choisissant une politique. A faire un «coup de gueule» plutôt que donner un avis. Comment devons-nous nous relever de ce nouveau dimanche noir? Certainement pas en nous plaignant. Si nous voulons retourner cette situation, il faut agir, et montrer que ces actes ont plus d’effet que le rejet de l’autre. Bien sûr, nous verrons dans cinq ans que les conséquences de ce choix seront négatives, et nous pourrons observer cette nouvelle barrière à la prospérité, même si certains s’en sortiront. Mais il faudra aussi tirer les conséquences: si nous voulons continuer à profiter de ce que nous apportent nos relations internationales, nous devons répartir cette valeur équitablement. Des mesures comme le salaire minimum, les contrôles des conditions de travail, la lutte contre le travail au noir (et pas contre les travailleurs) doivent maintenant devenir une priorité. L’économie devrait porter elle aussi ces projets, pour qu’elle puisse bénéficier de nouveau pleinement des avantages de la libre circulation et de relations amicales avec les autres pays de ce monde.
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Politique internationale
Démocratie: mode d’emploi à rappeler!
Voter, ce n’est pas simplement donner un signal. C’est aussi un changement – ou un refus de changement – légal.
Martine Brunschwig Graf
La démocratie suisse est un trésor précieux. Elle nous réserve son lot de satisfactions et, parfois, de mésaventures. En ce sens, l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» ne doit pas laisser la place à l’amertume, mais à l’acceptation du résultat quel qu’il soit. Et là, s’agissant de notre politique à l’égard de l’immigration, il reste tout à faire! Trois ans pour une loi d’application, moins bien sûr pour trouver des solutions avec l’Union européenne. Le retour aux contingents apporte avec lui de bien mauvais souvenirs, car certains ont oublié les marchandages difficiles pour obtenir les emplois nécessaires, la bureaucratie et la lenteur inhérente au système, les incertitudes pour les entreprises et particulièrement dans des branches à succès comme l’horlogerie, mais aussi dans les services publics… Inutile de s’étendre sur les difficultés mais il est temps de relever une déviance du système démocratique. Les vainqueurs de ce vote du 9 février rappellent qu’il s’agit avant tout d’un signal! Mais de quel signal parle-t-on dans un système démocratique où ce que l’on accepte comme initiative populaire s’inscrit directement dans la Constitution? J’ai le fort sentiment que les auteurs de l’initiative eux-mêmes ne souhaitaient pas forcément un succès mais surtout un de ces résultats où les cantons acceptent mais le peuple refuse! Cela aurait été le rêve, un succès d’estime mais aucune responsabilité à assumer. Quant à ceux qui pensent vraiment qu’en votant oui ils donnent un signal, il est temps qu’ils sachent que le vote entraîne aussi l’acceptation ou le refus d’une norme constitutionnelle. Le droit de vote, en Suisse, ne se confronte que très rarement au scrutin consultatif. Et le scrutin du 9 février n’en était pas un. Ce que les citoyens ont émis, c’est une instruction de changer de pratique en matière d’immigration. Quelles qu’en soient les conséquences, il faudra s’y conformer. C’est bien moins confortable pour les initiants, mais personne n’a dit que gagner était toujours un avantage!