Blogs» Culture»
Les lumières de la vie
Les parias suisses de la berlinale
Désolé d’insister. Mais, au moment de quitter Berlin pour retourner dans la mère patrie (romande), je ne peux pas ne pas en reparler.
Frédéric maire
L’écho du résultat des votations de dimanche dernier a résonné pendant toute la semaine dans les couloirs des salles et du marché du Festival de Berlin. Tous les Suisses présents à la Berlinale en ont fait les frais. (…) Il y avait aussi les craintes plus sérieuses évoquées par certains professionnels. (…) Les plus fortes inquiétudes, ici à Berlin, étaient liées au plan MEDIA (bientôt intégré dans le nouveau mégaprogramme Europe créative) qui est, pour les gens de cinéma, le sésame essentiel de notre intégration européenne. A la façon d’Erasmus pour les étudiants, MEDIA est un programme constitué en 1991 qui, au fil des ans, est devenu indispensable au cinéma en Europe. Ce programme aide à la production, à la diffusion, à la médiation culturelle, à la préservation, aux festivals, bref il intègre toutes les facettes de la création cinématographique. Depuis 2006, après de longues négociations bilatérales, les Suisses bénéficient de plein droit de ce programme, ce qui signifie que, pour le cinéma, nous sommes membres de l’UE. Cela facilite notamment les coproductions avec d’autres partenaires européens. (…) Aujourd’hui, tout le monde craint un remake de 1992. Une nouvelle expulsion. Si l’on consulte le site du MEDIA Desk suisse, on peut y lire le message suivant: (…) «La participation à Europe créative n’est momentanément pas possible pour les candidats suisses et dépendra de l’issue des négociations entre l’Union européenne et la Suisse.» (…) Bref. Les professionnels suisses du cinéma présents à Berlin n’avaient pas le cœur à plaisanter. Ils étaient justement inquiets, et moroses. Devant sans arrêt expliquer notre système démocratique. La montée de l’UDC, le fossé Romandie, grandes villes, campagnes… Et peinant à justifier le triste résultat tessinois.
Blogs» Politique»
Ecologie et libertés
écologie et immigration: la parabole de la villa dorée
J’aurais tant aimé ne pas avoir à ouvrir ce blog par des réflexions au sujet du scrutin de dimanche dernier.
Raphaël Mahaim
Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur. (…) Le vote du oui est un vote pluriel. Il y a indubitablement un vote purement xénophobe (…); il y a un vote d’inquiétude (…); il y a un vote anti- européen (…). Et il y a un vote prétendument «écologiste», comme en témoigne la recommandation de vote des Verts tessinois. De toutes ces composantes, c’est ce vote qui m’ébranle le plus et qui doit interpeller toutes celles et tous ceux qui se réclament de l’écologie. Pour préserver les paysages suisses et la «qualité de vie», il s’agirait donc de mettre un frein à «l’afflux de migrants» en Suisse. En apparence, quoi de plus trivial? Le territoire suisse étant exigu, il faut en limiter les sollicitations (…). Sauf que cette rengaine est non seulement une arnaque intellectuelle, mais, pire encore, une négation du projet écologiste. Une arnaque intellectuelle, car la forte augmentation de la pression sur les ressources naturelles ne résulte que très marginalement de l’accroissement démographique; elle est avant tout la conséquence des changements dans les modes de vie. La surface construite par habitant a progressé ces dernières années bien plus vite que l’accroissement démographique. (…) Mais il y a plus grave encore: invoquer la protection des paysages ou la sauvegarde d’un patrimoine menacé pour fermer les frontières (…) revient à dénier sa propre responsabilité quant à la préservation des ressources naturelles (…). Je clôture la pelouse de ma villa de 10 pièces pour éviter que les (encombrants) voisins ne viennent troubler mon luxueux confort. Ce faisant, je préserve mon petit paysage tout vert et évite de me questionner sur mon propre train de vie. Tout en profitant néanmoins gaiement d’employer de temps à autre mes (plus si encombrants) voisins pour de menus travaux peu rémunérés dans mon humble demeure – sans les loger chez moi, bien entendu, car alors cela en deviendrait de nouveau encombrant. Des banalités, tout cela, me direz-vous (…). Certes, à en croire l’ampleur du oui. Mais alors il faut s’en souvenir pour mieux relever le défi du prochain débat démocratique en matière migratoire: celui de l’initiative Ecopop. Les écologistes devront être au front (…); ils endosseront la lourde responsabilité de montrer que l’on ne défend pas l’écologie en «régulant la démographie». Ce serait à la fois un leurre et le meilleur évitement des vraies questions qui dérangent.
Blogs» Politique»
Ombres et lumières sur Palais fédéral
74% pour un nouveau vote?
Le droit d’initiative comporte de nombreux effets pervers qui ne sont jamais abordés, parce que la démocratie directe est sacralisée.
François Chérix
En particulier, le droit d’initiative organise une confusion dangereuse entre le débat de société souvent diffus et une décision politique toujours précise. Le oui du 9 février illustre magistralement ce phénomène. En fait, la proposition de l’UDC liait deux thèmes distincts: d’une part l’immigration, sur laquelle s’est focalisé le débat; d’autre part les relations de la Suisse avec l’Europe, qui sont restées à l’arrière-plan. En clair, le peuple s’est vu contraint d’opérer deux choix par un seul vote, sans même s’en rendre compte. D’une certaine manière, l’initiative de l’UDC ne respectait pas «l’unité de la matière sur le fond», même si elle restait correcte sur la forme.En tout cas, elle rendait impossible «l’unité de la volonté populaire», en obligeant les citoyens qui voulaient corriger la politique migratoire à mettre simultanément fin aux accords bilatéraux existants. Aujourd’hui, 74% des Suisses disent vouloir maintenir ces fameux accords qui viennent d’être torpillés. N’est-ce pas un appel d’une forte majorité pour l’organisation d’un vote corrigeant l’impossible équation du 9 février 2014?
Blogs» Politique»
La Suisse à dix millions d’habitants
Requiem pour une Willensnation
Les résultats comme les suites immédiates du vote du 9 février sont sans appel: politiquement, la Suisse n’existe plus.
Pierre Dessemontet
Ou plutôt, il y en a désormais trois, comme il y a deux Belgique. Cela est illustré de splendide manière sur la carte du vote sur l’initiative UDC contre l’immigration de masse, soumise au verdict populaire le 9 février dernier: elle ne montre pas une, mais trois géographies très distinctes du vote. L’aire alémanique, la principale, se casse pratiquement en deux – le oui ne l’emporte qu’à 52% – selon un très puissant clivage opposant les centres et les communes riches (…). En Suisse romande, marché politique trois fois moins important que le précédent, une lecture similaire peut être faite, avec deux déviations majeures: le oui est dix points plus bas, à 41,5%, et le clivage ville-campagne y est beaucoup moins marqué (…). La troisième Suisse, quatre fois moins nombreuse que la Suisse romande, vote complètement différemment: elle accepte à 68% l’initiative et les différences ville-campagne y sont quasiment nulles. Deux points méritent d’être relevés. Le premier, c’est que, contrairement à ce qu’on entend depuis une semaine, le clivage linguistique est au moins aussi net que le clivage ville-campagne. Le second apparaît lorsqu’on compare ce vote avec ceux qui l’ont précédé, notamment l’acceptation de la libre circulation en 2005: on découvre que, en fait, il ne s’est à peu près rien passé en Romandie et en Suisse italienne. Le résultat, la carte du vote y sont grosso modo équivalents, avec quelques petites retouches. Ce qui s’est passé le 9 février dernier s’est produit en Suisse alémanique – et en Suisse alémanique uniquement. (…) La prévalence des clivages linguistiques structure l’ensemble des consultations fédérales depuis une bonne vingtaine d’années maintenant. Tout cela, l’existence de trois espaces linguistiques aux géographies politiques profondément différentes, et évoluant de manière distincte, voire divergente, nous mène naturellement vers le constat de l’existence de trois ensembles propres qui se comportent indépendamment les uns des autres. Ce qui se passe ici n’a plus d’influence là-bas, et inversement. Or, poser ce constat, c’est en déduire immédiatement que les décisions que nous prenons en tant que pays ne sont pas le résultat de l’expression d’un débat national, mais celui de la juxtaposition de trois débats régionaux (…). Les campagnes se mènent dans trois espaces qui ne communiquent pratiquement plus entre eux. Elles aboutissent logiquement à trois résultats, qu’on amalgame ensuite en un seul, vaille que vaille: voici comment sont désormais prises les décisions dans notre pays. (…) On avait coutume de dire que la Suisse survivait à ses clivages parce qu’ils étaient multiples, se juxtaposaient et donc s’annulaient (…). Mais cette Suisse-là est bel et bien morte. Désormais, les clivages linguistiques ont pris le dessus, ils sont omniprésents, dominants, structurants. Il s’agit là d’une situation délétère, non viable à long terme pour le pays. Il ne nous reste plus qu’à recommencer à nous intéresser les uns aux autres (…). Faute de quoi (…) il est à craindre que notre pays ne s’embarque dans une dérive à la belge.