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Divorce à l’italienne pour un nectar

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:53

italie.En vingt ans, l’amarone, vin rouge riche de Vérone, est devenu un étincelant succès commercial. Pourtant, le syndicat des producteurs et douze grandes maisons se déchirent.

Pierre Thomas de retour de Vérone

Les querelles familiales, Vérone, la cité du nord de l’Italie lovée dans un méandre de l’Adige, en a fait son miel. La rivalité sanglante des Montaigu et des Capulet est le thème du drame de Roméo et Juliette. Les producteurs d’amarone rejouent la pièce, quatre cents ans après Shakespeare, qui s’était inspiré de contes italiens.

L’amarone, qui vient d’accéder, avec le millésime 2010, à la catégorie des meilleurs vins italiens de «dénomination d’origine contrôlée et garantie» (DOCG) est, depuis les années 90, une success story.

La Valpolicella, l’arrière-pays de Vérone, répartie en vallées sous les monts Lessini, a depuis le milieu du XIXe siècle pour spécialité un vin doux rouge, le recioto, tiré de raisins séchés en grappes suspendues à des fils ou posés sur des bambous dans des caissettes de bois.

Cette opération, qui réduit en 120 jours de 40% le poids des grappes, par dessication naturelle, et renforce d’autant le sucre et les arômes, se nomme le passerillage (appassimento en italien).

Elle est la clé de la richesse de l’amarone, de naissance aussi fortuite que récente. En 1938, à la cave coopérative de Negrar, une cuve destinée à devenir du recioto fermenta plus rapidement que prévu, donnant un vin «amer», selon le maître de chais. Ou mieux, amarone (un dérivé d’amaro…), s’exclama le patron de la coopérative.

Dès cette époque, les producteurs proposèrent en parallèle du rouge doux (le recioto) et du plus sec (l’amarone).

Mais c’est surtout ces dernières années que l’élaboration et la vente de l’amarone ont explosé. Les viticulteurs ont agrandi notablement leur vignoble, de 5000 à 7500 hectares en quinze ans. La production de l’amarone a été multipliée par cinq, passant de 2,4 millions de bouteilles en 1999 à 13,5 millions ces derniers millésimes.

Trop de vin trop bon marché. Contrôlé par les coopératives, et rassemblant aussi de petits encaveurs qui se sont mis à «faire de la bouteille», le Consorzio per la Tutela dei Vini Valpolicella présente ses vins en début d’année. L’amarone doit être élevé, pour une part en fûts, durant trois ans. Ainsi, les 25 et 26 janvier 2014, on faisait déguster le vin issu de la vendange 2010. Sauf que si l’on prend le décret au pied de la lettre, le 2011 peut déjà être mis sur le marché.

C’est là l’une des divergences qui séparent le Consorzio et le mouvement dissident Le Famiglie dell’Amarone d’Arte. Formé il y a cinq ans, il est composé de douze producteurs, dont Allegrini, Masi, Speri, Tedeschi, Tommasi et Zenato. Tous proposent pour la plupart encore du 2009.

Des frondeurs qui ont notamment pour fait d’armes d’avoir sauvé de la faillite l’un des restaurants les plus fameux de Vérone, la Bottega del Vino, au décor néogothique de 1890.

Leur discours paraît identique à celui du Consorzio, quand ils réclament un retour à de grands vins de «terroir» et de microclimats, sur la base d’une carte topographique précise. Leurs arguments se radicalisent toutefois lorsqu’ils exigent l’abandon des vignes d’amarone en plaine, soit une amputation du vignoble de 25% au moins, comme pour le barolo. Ils critiquent aussi la proportion entre l’amarone et le ripasso, son sous-produit, obtenu en refermentant sur le marc de l’amarone ou du recioto, du valpolicella sec.

Cette très vieille recette rappelle la lora, le vin des esclaves de l’Antiquité, et, en moins flatteur, la «piquette» française. Moins riche en alcool et en sucre résiduel, et donc, finalement, plus équilibré, et meilleur marché, cet «amarone bis» cannibalise le marché du «grand vin»: Le Famiglie dell’Amarone d’Arte voudraient le limiter à la production d’une bouteille de ripasso pour une bouteille d’amarone. On en est au double…

Et puis les dissidents dénoncent les prix cassés des amarones de supermarché, notamment vendus en Suisse, troisième marché pour ces douze encaveurs, derrière le Canada et les pays scandinaves. En chœur, ils revendiquent que l’amarone reste «rare et cher». Chacune des 250 000 bouteilles expédiées en Suisse en 2013 leur ayant rapporté près de 16 euros net, soit plus de 19 francs la bouteille.

Dirigeants du Consorzio et dissidents ne se parlent plus. Montaigu et Capulet ont de solides descendants.


Cinq Amarones aux prix crescendo

Tedeschi 2009
Maison traditionnelle qui a plusieurs monocrus; la version de base, sous une nouvelle étiquette, offre un nez floral, frais, avec du gras, des tanins fermes, et des arômes typés de cerise noire.
(36 fr., www.caratello.ch)

Cesari 2010
Nez boisé, attaque souple, sur le biscuit, la confiture, les fruits noirs; un peu austère et encore marqué par le bois, qui le sèche en finale.
(41 fr. le 2008, www.alfavin.ch)

Speri 2009
Cette maison a transformé un vignoble de 20 ha d’un seul tenant, Monte Urbano, pour produire un seul amarone, de belle facture classique, équilibré et élégant.
(48 fr., www.fischer-weine.ch)

Zenato 2009
Nez de cerise confite, puissant, avec du gras, et une certaine sucrosité, qui enveloppe les tanins: le favori de plusieurs sommeliers romands.
(59 fr., www.vinievini.ch)

Allegrini 2009
Un des rénovateurs de la Valpolicella, qui élève son seul amarone en barriques neuves: nez fruité, notes de cassis, de fumé, du gras, et un bon soutien acide; moderne et bien fait.
(75 fr., www.cavesa.ch)

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