Immigration.Face à la fronde de plusieurs Etats pour lutter contre les abus de la libre circulation, Bruxelles planche sur une solution, mais pas forcément celle que l’UDC espère.
Il n’y a pas qu’en Suisse que la libre circulation des personnes divise les esprits. A Bruxelles aussi, dans les couloirs de la Commission européenne, le sujet est d’une actualité brûlante. Pas seulement parce que le premier ministre britannique, David Cameron, a tapé du poing sur la table en novembre dernier. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont eux aussi exprimé leurs inquiétudes quant aux pressions sur leurs assurances sociales, liées à l’immigration.
La libre circulation des personnes? «C’est un principe que Bruxelles a érigé en dogme», dénoncent ses détracteurs. En fait, c’est d’abord le droit que les Européens chérissent le plus, celui de vivre, de travailler et d’étudier n’importe où au sein de l’UE, rétorque la Commission. Il figure déjà dans le Traité de Rome de 1957. Aujourd’hui, ils sont 14 millions de citoyens à en profiter.
Entre tenants du libéralisme économique et étatistes partisans de contrôles renforcés pour éviter les abus, la bataille fait rage. En novembre dernier, la France a lancé une offensive afin de réformer la directive de 1996 relative aux travailleurs détachés. Plusieurs chantiers ont alarmé l’opinion publique, dont celui de Bouygues Travaux publics, accusé d’employer des Polonais touchant tout juste la moitié des salaires usuels à la centrale nucléaire de Flamanville.
Responsabilité solidaire. Principal enjeu: l’introduction d’une responsabilité conjointe et solidaire de tous les sous-traitants. Ce débat n’est pas nouveau, mais il n’a jusqu’ici jamais abouti à des mesures concrètes allant dans ce sens: la Grande-Bretagne et plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est s’y sont toujours opposés.
Pour sortir de l’impasse, les trois acteurs du dossier – la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement – négocient ces semaines-ci une solution qui tiendrait compte du principe de subsidiarité. La directive d’exécution offrirait ainsi à chaque Etat membre la possibilité d’instaurer la responsabilité solidaire et de mettre sur pied un mécanisme de sanctions contre les fraudeurs.
Autre sujet chaud lié à la libre circulation des personnes: la migration de la pauvreté, ce «tourisme social» qui fait hurler les populistes de tout poil. C’est ici la Grande-Bretagne qui mène la fronde à Bruxelles, même si elle avoue n’avoir aucun chiffre venant étayer ses craintes. A la fin de novembre dernier, le premier ministre David Cameron, sous la pression du parti antieuropéen UKIP de Nigel Farage, qui menace sa réélection en 2015, a annoncé qu’il réduirait l’accès aux aides sociales des immigrés européens. Mais, une semaine plus tard, la vice-présidente de la Commission Viviane Reding a désamorcé la bombe lors du Conseil des ministres de l’Intérieur: «Le principe de la libre circulation n’est pas en cause. C’est aux Etats nationaux de faire leurs devoirs et de devenir plus stricts en matière d’octroi d’aides sociales», a-t-elle souligné.
Epouvantail néolibéral. C’est sûr. La Commission a baissé le ton face aux Etats inquiets d’une immigration trop massive. Elle ne veut visiblement plus apparaître en épouvantail néolibéral, ainsi que le montre une note qu’elle a adressée à l’Allemagne, où certains experts craignent l’arrivée de 100 000 à 180 000 Roumains et Bulgares par an dès cette année. «Des clauses strictes de protection limitent la libre circulation des personnes», affirmait Bruxelles en janvier dernier. «L’Allemagne ne doit pas accorder une aide sociale à tous ses chômeurs de l’UE», ajoute-t-elle.
Si la Commission incite ses membres à lutter contre les abus à l’aide sociale, c’est pour mieux ne pas déroger au principe même de la libre circulation. A l’intérieur de l’UE comme envers l’extérieur, avec la Suisse notamment. Ceux qui, comme l’UDC, comptaient sur la Grande-Bretagne pour obtenir l’introduction de contingents devront bien vite déchanter.