Evasion.En dépit des récentes ouvertures de la Suisse, les banques restent sur le gril. Le coût du règlement du passé est encore inconnu, mais son heure approche.
Le symbole n’a échappé à personne. Brady Dougan, citoyen américain, sommé de dire la vérité, toute la vérité, devant une commission du Sénat des Etats-Unis. Et, sous les projecteurs du Capitole, le puissant directeur général de Credit Suisse de jurer qu’il ne savait pas, qu’il ignorait les agissements de ses salariés partis à la pêche aux évadés du fisc américain.
La Suisse et ses banques se sont converties à l’échange automatique d’informations en avril 2013, mais elles n’ont pas fini de régler le passé. Or, cette heure a sonné. Six ans après les premières charges des autorités américaines contre UBS et celles de la justice allemande contre les gros fraudeurs fiscaux d’outre-Rhin, les amendes commencent à pleuvoir sur une industrie qui a trop longtemps misé sur la tricherie fiscale.
UBS est certes passée au tourniquet en février 2009 en s’acquittant d’une amende de 780 millions de dollars (alors 913 millions de francs) aux Etats-Unis; Julius Bär et Credit Suisse ont également réglé des contentieux similaires avec la justice allemande en s’acquittant respectivement de 50 et 150 millions d’euros en avril et en septembre 2011 (64,9 et 181,2 millions de francs). Mais quantité d’autres procédures s’approchent de leur conclusion.
Face au Sénat, Brady Dougan n’en démord pas: il jure que la banque ne savait rien de l’évasion fiscale sous son toit, quitte à se faire traiter de menteur, quitte à prendre le risque que les enquêteurs américains lui démontrent le contraire à l’avenir, ouvrant la voie à de nouvelles procédures.
La réputation du géant de la Paradeplatz est certes en jeu dans cette dénégation. Mais au-delà de l’image, son intérêt est matériel: sa ligne de défense doit influencer le montant de l’amende que devrait lui infliger le Department of Justice (DoJ) pour avoir aidé pendant des années des Américains à échapper à leurs obligations fiscales. Début février, il annonçait avoir relevé de 175 millions de francs sa «provision pour risques juridiques», laquelle atteint désormais 470 millions. Une réserve qui a réduit le bénéfice de la maison, mais qui ne suffira probablement pas à assumer le passé. «On estime à 1 milliard de francs la sanction qui sera infligée à la banque. Mais il est rigoureusement impossible de faire une estimation sérieuse», observe l’analyste financier Loïc Bhend, de la banque Bordier à Genève.
Sans autorisation. Signe que le montant sera substantiel, la banque a déjà dû franchir à grands frais une première étape. Le 21 février dernier, elle a annoncé devoir s’acquitter d’une amende de 196,4 millions de dollars (174,6 millions de francs) infligée par la Securities and Exchange Commission (SEC, l’autorité de surveillance boursière américaine) pour avoir enfreint une règle: elle avait proposé sans autorisation des solutions d’investissement à des clients américains. Et pour cause: ces derniers, pour ne pas être repérés par le fisc, n’ont pas recouru à la branche locale du CS, qui dispose de toutes les autorisations nécessaires, mais à la filiale helvétique, qui ne les a pas.
Credit Suisse, aussi spectaculaire que soit son cas, n’est que l’une des douze banques en train de négocier avec la justice américaine. Ces établissements, dont HSBC, Pictet ou les banques cantonales de Zurich et de Bâle, devront aussi ouvrir leur porte-monnaie pour régler le passé. De plus, 106 autres institutions, dont les grandes banques cantonales et la plupart des banquiers privés, ont admis une possible culpabilité de leur part. Elles se sont inscrites dans la catégorie 2 – et admettent donc leur culpabilité – sur l’accord passé entre la Suisse et les Etats-Unis le 29 août dernier destiné à régler le passé. Elles s’apprêtent donc à payer des amendes salées, de 20 à 50% du montant des fonds non déclarés qui étaient déposés chez elles par des clients américains après juillet 2008.
Or, plus aucun spécialiste ne se hasarde à chiffrer le coût final de ces sanctions. Les méthodes de calcul de l’administration américaine font l’objet de nombreuses spéculations. De plus, la plupart des banques concernées restent fort discrètes sur les montants engagés. La Banque cantonale vaudoise n’indique ainsi pas la part exacte dévolue au programme américain dans les 43 millions de réserves supplémentaires qu’elle a constituées en 2013.
Aussi les spécialistes en sont-ils réduits à des hypothèses: «Pour la plupart des banques qui se sont inscrites dans cette catégorie, les montants devraient être modestes car l’acquisition de clientèle américaine non déclarée ne faisait pas partie de leur stratégie. Mais pour certaines, les montants devraient représenter une année de bénéfices, voire plus», anticipe Loïc Bhend. Il n’est pas exclu non plus que certaines se trouvent dans l’impossibilité de continuer leurs affaires et soient contraintes à la fermeture. Cela a été le cas de la petite banque Frey à Zurich, forcée l’automne dernier d’abandonner la partie pour avoir délibérément attiré des clients américains non déclarés après l’offensive américaine contre UBS en 2008-2009.
De tels cas devraient néanmoins rester peu nombreux. La Finma, garante de la solidité des banques, les a fermement encouragées à participer au programme américain à la fin de l’an dernier pour réduire les risques pesant sur la place financière.
Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls à préparer des sanctions financières. UBS négocie actuellement avec la justice allemande le règlement de très nombreuses années d’orchestration de l’évasion fiscale de contribuables d’outre-Rhin. Le montant articulé oscille entre 180 et 200 millions d’euros (entre 217 et 241 millions de francs). En comparaison, l’amende de 10 millions d’euros (12 millions de francs) infligée à la banque par la France l’an dernier fait pâle figure. Mais «plusieurs pays pourraient s’inspirer des succès américains et lancer leurs propres procédures», relève Loïc Bhend.
Le moyen le plus sûr de mettre fin à cet enchaînement est l’instauration d’un règlement global du passé. La Suisse avait tenté cette solution en proposant ses accords Rubik, avec un succès limité à deux pays seulement. Aujourd’hui, elle tente d’inclure cette question dans la mise en place de l’échange automatique d’informations fiscales en cours à l’OCDE depuis l’été dernier.
Un processus fortement soutenu par les banques suisses, qui en attendent deux choses: cesser de payer des amendes, et ne plus devoir comparaître devant une commission du Sénat américain comme Brady Dougan.