Diplomatie.Pourquoi les Etats-Unis envoient-ils tant d’amateurs incompétents occuper des postes d’ambassadeurs à l’étranger? Témoignage à charge d’un ancien diplomate américain.
James Bruno
Récemment, l’un de mes amis du Foreign Service (service diplomatique) me parlait d’un ancien ambassadeur américain en Suède qui, quelques années auparavant, s’était évanoui dans la neige, trop ivre pour se relever. Il avait fait la fête durant une sortie à la campagne. Heureusement, un membre de l’ambassade l’a retrouvé à temps pour le ranimer. Notre ivrogne à Stockholm n’était pas de la carrière, sa nomination avait été politique. Celui qui lui a sauvé la vie, en revanche, était un diplomate professionnel. Les rôles joués par les deux hommes cette nuit-là sont emblématiques.
Cette histoire, je m’en suis souvenu l’autre jour, quand la Commission des affaires étrangères du Sénat a donné son accord à la dernière fournée d’ambassadeurs choisis par le président Barack Obama, y compris quelques novices dont les performances désastreuses lors de leur audition laissent prévoir qu’ils auront à s’appuyer puissamment sur leur équipe du Foreign Service pour éviter de mettre les Etats-Unis dans l’embarras. Certes, nous n’avons pas de souci à nous faire à propos du sénateur du Montana Max Baucus, dont la nomination en Chine a passé haut la main l’étape du Sénat. Mais certains riches donateurs de campagnes électorales à la carrière très éloignée du service public ne manquent pas d’inquiéter. D’ailleurs, ils se sont d’ores et déjà illustrés.
Confusion. Quand le magnat de l’hôtellerie George Tsunis, candidat désigné d’Obama pour Oslo, s’est présenté devant le Sénat le mois dernier, il a avoué qu’il ignorait que la Norvège fût une monarchie constitutionnelle et il croyait que le Parti du progrès, populiste et anti-immigration, n’était qu’une formation marginale alors qu’il siège au gouvernement. Une autre candidate, Colleen Bell, partante pour Budapest, n’a pas su dire quels étaient les intérêts stratégiques des Etats-Unis en Hongrie. Le président pouvait-il vraiment s’attendre à ce qu’elle soit une experte de la région? Son job précédent était productrice de la série TV Top Models. Elle s’est pris les pieds dans les questions du sénateur John McCain comme le ferait sans doute, justement, une top-modèle de la série priée de faire un exposé sur la paix dans le monde. Quand les auditions ont pris fin, McCain conclut sarcastiquement: «Je n’ai plus de questions pour ce groupe de candidats à la qualification incroyablement élevée.»
Par comparaison, l’ambassadeur de Norvège à Washington a trente et un ans de carrière aux Affaires étrangères derrière lui, celui de Hongrie est un économiste qui a travaillé vingt-sept ans pour le Fonds monétaire international.
Ce déséquilibre s’explique par le fait que les Etats-Unis sont le seul pays industrialisé à distribuer des postes de diplomates comme des récompenses politiques, souvent à des donateurs de campagnes, d’une manière désuète évoquant les pratiques clientélistes en usage dans les républiques bananières, les dictatures et les monarchies de pacotille. Un système analogue permettait jadis à des alliés politiques de devenir gradés dans l’armée. Mais le Congrès y a mis fin après la guerre de Sécession, quand l’opinion publique a été révulsée par les boucheries inutiles voulues par de vieilles badernes incompétentes nommées au grade de général. Représenter les Etats-Unis dans une capitale étrangère reste cependant un privilège à la portée de n’importe quel riche abruti disposant de relations politiques.
Le président Obama, qui a pris ses fonctions en promettant de limiter ces pratiques, a sans doute plus fait pour amplifier ce problème que ses récents prédécesseurs. Les nominations de son second mandat ont concerné plus d’une fois sur deux des alliés politiques. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la proportion était moindre: un tiers des postes d’ambassadeurs ont été offerts à des non-professionnels.
Les tarifs pour une ambassade. Pourquoi un hôtelier et une productrice TV sont-ils de bons choix? Colleen Bell a levé plus de 2,1 millions de dollars pour faire réélire Obama. Quant à George Tsunis, qui a quitté les républicains pour passer chez les démocrates, il a réuni près de 1 million. Selon le quotidien britannique The Guardian, le montant moyen pour mériter un poste dans dix des capitales les plus attrayantes d’Europe et des Caraïbes a été de 1,79 million de dollars. Mais le coût d’un poste luxueux dans une ville comme Rome, Paris, Stockholm ou Canberra est à la hausse. Toujours d’après le Guardian, les candidats à ces postes ont collecté un total de 5 millions en 2012, contre 3,3 millions en 2008, 1,3 million en 2004 et 800 000 dollars en 2000.
Des scandales. La Scandinavie est promise à certains des pires dilettantes du lot. George Tsunis suivra les traces d’un candidat de Ronald Reagan: Mark Evans Austad. Lorsqu’il était en fonction, cet ancien missionnaire mormon s’en prenait en termes indélicats à toutes sortes d’institutions libérales norvégiennes ainsi qu’à la presse. En 1983, il a été emmené, ivre, par la police après avoir beuglé et frappé à la porte d’une femme à 3 heures du matin.
A peu près en même temps, son collègue de Copenhague a dû démissionner après que la rumeur a été répandue qu’il abritait deux prostituées dans sa résidence. D’autres pseudo-ambassadeurs se sont illustrés par des transgressions du genre contrebande de cocaïne par la valise diplomatique, scandales alcoolisés dans l’exercice de la fonction et ennuyeuses affaires d’adultère.
Malgré cette inquiétante mise aux enchères des ambassades, il y a certainement de la place dans le corps diplomatique américain pour des ambassadeurs non professionnels. Les Etats-Unis ont parfois été représentés très dignement par des profanes, comme Patrick Moynihan en Inde, Mike Mansfield, Howard Baker et Walter Mondale au Japon, Jon Huntsman Jr. en Chine et tant d’autres. Bien qu’il admette ne pas être «un véritable expert de la Chine», Max Baucus, spécialiste des échanges commerciaux et politicien rodé, est pourvu d’autres compétences utiles. Le premier ambassadeur dans un Vietnam réunifié a été Pete Peterson, un ancien prisonnier au «Hanoi Hilton» devenu député au Congrès, sous les ordres duquel j’ai servi comme conseiller politique à l’ambassade de Hanoi de 1997 à 2001. Grâce à ses connexions au Capitole et à sa crédibilité parmi les vétérans, il obtenait plus par un simple coup de fil que ne l’aurait pu un ambassadeur de carrière à l’aide de cent câbles à Washington.
En Norvège, je prévois que, comme la plupart de ses prédécesseurs, George Tsunis ne sera qu’un homme de paille soutenu avec compétence par une équipe de professionnels du Foreign Service, qui effectuera tout le travail dans l’ombre. Si Tsunis évite tout esclandre pendant ces trois années probables à Oslo, il aura accompli une performance.
Envoyer une productrice de la télévision à Budapest est plus risqué, puisque l’extrémisme et l’antisémitisme sont en augmentation en Hongrie et que l’économie du pays est à terre. Comment Colleen Bell, qui semble ne pas avoir la moindre idée des objectifs géopolitiques de Washington dans cette partie du monde, fera-t-elle pour traiter avec un premier ministre rusé qui restreint les libertés et l’expression politique? Difficile à dire.
Mais je voudrais rassurer les professionnels de la diplomatie évincés au profit de la sinécure dorée de Colleen Bell: prenez courage, on me dit qu’il y a un poste à prendre dans Top Models.
Publié avec l’aimable autorisation de Politico Magazine
Traduction et adaptation Gian Pozzy
James Bruno
Diplomate à la retraite du Foreign Service, romancier et blogueur. Son livre The Foreign Circus: Why Foreign Policy is Too Important to be Left in the Hands of Diplomats, Spooks & Political Hacks sera publié cette année.
Berne
Une sinécure pour généreux donateurs
Suzi LeVine ayant été auditionnée par le Sénat le 6 mars dernier, elle sera la prochaine ambassadrice américaine à Berne, nommée par Barack Obama. Elle devrait prendre ses fonctions en mai, près d’un an après que le précédent ambassadeur, Donald S. Beyer, aura quitté son poste. A croire que, malgré tout ce qui sépare les deux pays, le poste de Berne n’est pas jugé crucial par Washington et que le chargé d’affaires… fait l’affaire.
En poste à Berne de 2009 à 2013, Donald Beyer a certes été apprécié pour sa courtoisie, l’amitié qu’il a souvent paru prodiguer à la Suisse et la finesse de son jugement. Mais il a aussi été qualifié de car seller, de vendeur de voitures, puisqu’il était concessionnaire en Virginie des marques Subaru, Kia et surtout Volvo. Ce qui a fait dire que, sans doute, l’Amérique avait une fois de plus confondu la Suède et la Suisse, comme l’a pensé le magazine Washington City Paper au moment de sa nomination.
Suzi LeVine, 44 ans, n’a rien à voir non plus avec le métier de diplomate. Elle a fait carrière chez Microsoft, s’est fortement engagée en faveur des candidatures d’Obama et a récolté au moins 1,3 million de dollars pour ses campagnes, dont 500 000 rien qu’en 2012. Depuis 1960, le poste d’ambassadeur américain à Berne n’a été occupé que deux fois par un professionnel de la diplomatie et… vingt fois par un généreux donateur.