François Longchamp.Président du Conseil d’Etat genevois pour cinq ans, le libéral-radical revient sur quelques moments clés de son engagement politique, le vote du 9 février, le patriotisme genevois, le modèle vaudois. Entretien au long cours, à l’occasion de ses «100 jours», avec un homme qui confesse son hyperactivité.
Propos recueillis par Catherine Bellini ET Chantal tauxe
Le libéral-radical est le premier président du Conseil d’Etat genevois désigné pour cinq ans. Dans une grande interview réalisée dans son austère salle de réunion, il nous parle du sens du devoir, de sa foi très radicale dans le progrès et des affinités entre les hommes politiques. Il annonce aussi qu’il quittera le gouvernement à la fin de la législature, en 2018. Interview d’un homme libre.
L’ENFANCE
Vous nous avez averties d’emblée: vous n’alliez pas vous étaler sur votre vie privée. Pourquoi cette réserve?
J’ai toujours essayé d’épargner ma vie privée. Mes proches n’ont pas choisi que je fasse de la politique. Et je pense qu’il faut s’abstenir du mélange de genres qui vous amène à raconter des choses qui n’ont pas d’intérêt public. Comme pousser la chansonnette dans une émission TV ou narrer chaque étape de son régime. Cela banalise la politique et fait le lit du populisme. Je dois aux citoyens de respecter la fonction à laquelle ils m’ont élu. Je parle donc de politique. Je souhaite qu’on me juge sur mon bilan et les valeurs que je défends.
Pour comprendre votre engagement, nous aimerions tout de même apprendre deux ou trois choses de votre parcours et de vos origines. Par exemple, de quoi rêvait le petit garçon de Chêne-Bougeries, commune cossue de la rive gauche?
De voyages. J’adorais les trains et les avions. Tous les jeudis, ma grand-tante, une femme d’une patience infinie et qui n’avait pas d’enfants, s’occupait de moi. Elle m’emmenait visiter la Suisse et, au retour, j’insistais pour qu’on s’arrête à la gare de Céligny ou à l’aéroport voir passer les trains et partir les avions.
Vous ne jouiez pas avec d’autres enfants?
Si, bien sûr. Nous étions six frères et cousins à grandir ensemble, dans la maison familiale. Descendre en ville, par contre, on le faisait deux fois l’an.
Vous allez ensuite étudier le droit. Pourquoi ce choix?
Le cousin de mon grand-père, bâtonnier, avait une étude. Il parlait du droit d’une manière captivante.
LES INSPIRATEURS
A quel moment entrez-vous en politique?
D’aussi loin que je m’en souvienne, je me suis toujours intéressé à la politique. Et, durant mes études de droit, j’ai vécu des rencontres déterminantes, notamment au sein du Parti radical. Avec Gilles Petitpierre, professeur de droit civil, et Peter Tschopp, professeur d’économie politique. Tous deux conseillers nationaux, ils démarraient leur vie politique active et discernaient déjà les défis qui sont les nôtres aujourd’hui. Je me souviens très bien d’entendre Peter Tschopp parler du vieillissement de la population et de ses conséquences. Tout ce qu’on dit aujourd’hui, il l’a décrit avec une minutie d’horloger. Il y a plus de trente ans!
Gilles Petitpierre, lui, a engagé le virage environnemental avant les autres. Avant même la création des Verts (ndlr: en 1983), il défendait un changement des politiques de transport, une fibre verte mais qui ne voulait pas opposer l’économie à l’écologie.
Puis j’ai rencontré quelques personnes qui ont compté, comme Françoise Saudan et Guy-Olivier Segond. Ce sont tous des personnes qui incarnent l’idée profondément libérale et radicale que la politique doit servir à rendre l’avenir meilleur que le passé.
Quel rôle a joué l’ancienne conseillère aux Etats Françoise Saudan?
Alors que je n’ai que 23 ans et suis mon stage d’avocat, elle m’accorde sa confiance, me propose le poste de secrétaire général du parti. «Allez, me suis-je dit, j’ai toujours aimé la politique, on y va.» J’ai interrompu mon stage, on verrait la suite plus tard. C’est à cette époque que je croise un certain Didier Burkhalter, secrétaire du Parti radical neuchâtelois. Ensemble, nous mènerons la campagne pour Rail 2000 (grand sourire). Avec le fonds d’infrastructure (FAIF) aujourd’hui, on se trouve dans le prolongement d’alors.
Puis vient le conseiller d’Etat Guy-Olivier Segond, chargé de l’Action sociale et de la Santé, qui vient d’être élu et me propose de le rejoindre. Je me dis: «Tiens, je vais y aller.» Et je suis une carrière administrative jusqu’au secrétariat général de son département.
Que gardez-vous de ces années-là?
Je me souviens de scènes magnifiques, quand le conseiller d’Etat vaudois Philippe Pidoux nous convoquait à Lausanne à 6 heures du matin, histoire, probablement, de tester la résistance des matériaux (sourire). A l’âge de 30 ans, je me retrouve avec des gens bien plus expérimentés, comme Charles Kleiber, alors à la tête des hospices vaudois avant de devenir secrétaire d’Etat à la science.
C’était l’aventure du Rhuso, une réflexion totalement anticipatrice de mise en commun du destin de nos deux cantons par leurs hôpitaux universitaires, la médecine de base et la recherche, métropole lémanique avant l’heure.
Nous avons échoué en votation en 1998, quelques syndicalistes et médecins genevois avaient lancé un référendum. Un drame, ce non. A posteriori, je dirais que ce fut surtout une victoire de la médiocrité.
La collaboration hospitalière d’aujourd’hui entre Vaud et Genève passe pourtant pour exemplaire.
Cette collaboration n’a tout de même pas la puissance d’une structure commune. Nous avions dix ans d’avance. Aujourd’hui, nous avons dix années de retard.
L’EXPÉRIENCE DU JOURNALISME
Soudain, vous laissez tomber votre belle carrière à l’Etat pour vous lancer dans le journalisme. Quelle mouche vous a piqué?
Je suis un homme libre. Secrétaire général, même si c’est le deuxième plus haut poste de l’Etat, vous ne rêvez pas d’y passer toute une vie quand vous avez 37 ans et que vous y êtes depuis dix ans déjà. J’ai connu le rédacteur en chef du Temps, Eric Hoesli, lors de la campagne pour l’Espace économique européen (EEE). Nous étions tous les deux de cette «Génération Europe», un mouvement transparti qui montrait que la jeunesse avait quelque chose à dire.
Une année après la fusion entre Le Nouveau Quotidien et le Journal de Genève, Eric Hoesli m’a demandé ce que je pensais de la couverture genevoise du Temps. J’ai répondu qu’il avait besoin de quelqu’un d’ici pour l’améliorer. L’essentiel des journalistes pendulaient, ne passaient pas leurs soirées à Genève et n’y avaient guère d’ancrage. J’y ai réfléchi ensuite et, quelques mois plus tard, lui ai dit que j’étais partant.
Et vous vous êtes improvisé journaliste?
J’ai toujours aimé l’acte d’écrire. D’abord sentir quelque chose qui mûrit puis ce moment magique, quand vous avez passé le col et que vous pouvez vous mettre à écrire, proposer votre lecture des événements. J’étais reconnu pour mes analyses, beaucoup moins pour le reportage! Je me souviens d’avoir traversé le Népal et le Tibet, visité Chongqing (15 millions d’habitants) sans rencontrer quiconque parlant anglais. Une véritable épreuve! Là, dans la description sans la moindre citation, j’étais très mauvais.
Votre passage au «Temps» vous a-t-il rendu bienveillant ou sévère à l’égard de la presse?
J’ai un regard extrêmement bienveillant. Mais je ne me satisfais pas de la facilité, par exemple quand le journaliste n’amène que son opinion et qu’elle est insuffisamment argumentée.
Comment voyez-vous l’avenir de la presse?
Seuls un éclairage, une ligne éditoriale qui amène quelque chose de plus que la seule information sauveront la presse. Le destin du Temps me tient à cœur, par exemple. J’y suis attaché car il se trouve à Genève mais essaie de s’ouvrir à toute la Suisse et contribue à son rayonnement. Le journal traverse une grande période d’incertitude: on le met en vente tout en affirmant que, si cela ne marche pas, on le gardera. Etrange.
LE TEMPS DE L’INCERTITUDE
Incertitudes, oui à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» le 9 février: comment vous, président d’un canton qui vit d’échanges internationaux, vivez-vous ce moment charnière?
C’est un regret, évidemment. Mais il y a une perception dans la population qui s’est exprimée, on ne peut pas l’ignorer.
Quand, avec Génération Europe, nous militions pour l’adhésion à Erasmus, je n’aurais pas pensé que, vingt ans plus tard, ce programme serait menacé et que je devrais militer pour son maintien. Je rappelle que ceux qui ont soutenu l’initiative ont joué les gros bras encore la veille du vote, jurant qu’on était les plus forts et que l’initiative n’aurait aucune conséquence. Trois jours plus tard, quand la menace s’est concrétisée, on ne les entendait plus. Même M. Blocher, qui avait promis avec une pointe de mépris d’aider les étudiants qui auraient des difficultés à étudier en Europe, s’est défilé dès qu’il a reçu les premiers courriers. Oui, Erasmus pourrait passer à la trappe. Parce qu’en Europe il y a aussi des gens qui ne sont pas dépourvus d’esprit tactique.
Le discours de l’UDC vous agace-t-il?
Ceux qui m’agacent sont ceux qui n’assument pas les conséquences de leurs actes. Or, les conséquences du 9 février sur la recherche, on les voyait venir. Durant la campagne, j’ai participé à un débat avec Yves Nidegger et Eric Stauffer. Ils ironisaient sur le sujet. Ici, à Genève! Alors qu’on avait craint le pire quand Merck Serono a fermé, supprimant 1250 emplois. Et que c’est l’Union européenne qui nous ramène l’espoir avec le Human Brain Project, devisé à 1000 millions d’euros sur dix ans.
Mais l’Union européenne, en s’en prenant à la recherche et aux étudiants, ne se montre-t-elle pas belliqueuse, elle aussi?
L’Europe défend ses positions. Il faut toujours se mettre à la place de l’autre pour le comprendre. La Suisse considère que la démocratie directe est une vertu cardinale – ce que je pense aussi. Et pour l’Union européenne, l’alpha et l’oméga, c’est la libre circulation, une valeur jugée décisive pour atteindre le but fondamental de l’Union: éviter une nouvelle guerre.
J’ai déjeuné l’autre jour avec l’ambassadeur de Pologne. Au nom de quoi ne pouvons-nous pas avoir un immense respect pour la construction européenne? Quand vous avez des Polonais qui ont vécu la vraie guerre, avec des millions de morts, et qui, à la suite du découpage de l’Europe, se sont trouvés du mauvais côté du mur et ont pris vingt-cinq ans de retard économique? Il faut comprendre qu’au cœur du continent, là où il y avait les champs de bataille, on dise: plus jamais ça. Et qu’on veuille que les citoyens passent librement d’un pays à l’autre, que les marchés soient ouverts. Il faut comprendre que cette libre circulation puisse être tout aussi intouchable que notre démocratie directe.
D’où vous vient cette sensibilité pour d’autres pays, d’autres histoires? De lectures, de voyages?
Le voyage, ce n’est pas seulement aller loin, c’est un état d’esprit, une ouverture sur le monde. J’ai eu le privilège de pouvoir accomplir certains voyages quand j’étais jeune. A une époque où il n’y avait ni portable, ni internet, ni carte de crédit. On partait pour des semaines pour de tout autres mondes: l’Asie, l’Amérique du Sud, les Etats-Unis. Un de ces voyages m’a porté au Viêtnam, je devais avoir 25 ans. A Saigon, j’entre dans un bureau pour prendre un billet de train pour Hanoï. Le vendeur me dit: vous devriez aller au Cambodge, ils viennent d’ouvrir les frontières. Je me suis donc retrouvé à Phnom Penh un mois après la réouverture. Une expérience effarante dans un pays dévasté: 2 millions de morts sur une population de 6 millions. J’ai visité un pays miné, tout seul (!) devant les temples d’Angkor. A l’hôtel, les seuls autres clients étaient des démineurs. De la communauté européenne!
LE SENS DU DEVOIR
Vous qui répétiez à l’époque que vous ne vouliez pas devenir conseiller d’Etat, vous voici au gouvernement depuis 2005. Que s’est-il passé? L’irrésistible appel du pouvoir?
Vous n’allez pas me croire mais, d’une certaine façon, c’était l’appel du devoir. Je croyais sincèrement que conseiller d’Etat, ce n’était pas mon destin. Je n’avais pas envie de cette vie et de ses sacrifices. J’avais travaillé avec Guy-Olivier Segond qui ne s’arrêtait jamais, nuit et jour, le dimanche aussi.
Mais notre parti se trouvait dans un sale état. Et je me sentais comme le modeste héritier de ces radicaux qui voulaient que l’Etat joue un rôle dans la société, comme il l’avait fait au XIXe et au XXe siècle. Parce que toute l’histoire de Genève est marquée par le radicalisme. De la construction de l’Etat par James Fazy jusqu’à Louis Casaï qui, après la crise des années 30, alors que Genève est exsangue et l’Europe en guerre, réalise qu’il va falloir changer d’échelle. Que cette guerre un jour se terminera et qu’alors les organisations internationales se reconstitueront et qu’il leur faudra un aéroport.
Dieu merci, je n’étais pas seul. Avec Pierre Maudet, habité de la même flamme, nous décidons de retrousser nos manches et de nous répartir les tâches: lui la ville et moi le canton. En 2004, je prends la présidence du parti cantonal, lui la vice-présidence.
Une flamme radicale aujourd’hui bien vacillante au niveau du parti national!
Je me suis peu préoccupé du parti suisse car je dois opérer des choix. Je n’ai pas d’ambition nationale, ma terre est ici. Je ne veux donc pas émettre de jugements définitifs. Mais je crois que la clé de l’affaire consiste à développer ses propres idées et à ne pas loucher sur ce que font les autres. Nous sommes un parti de droite à vocation gouvernementale avec des gens qui l’incarnent. Pensez à Karin Keller-Sutter ou à Pascal Broulis, porteurs d’un idéal de vivre ensemble et pas seulement gestionnaires d’affaires courantes.
Une bande de copains, alors, au bout du compte?
Certains disent qu’en politique on n’a pas d’amis. Pour ma part, il y a des gens pour qui j’ai de l’affection, y compris parmi les modestes militants, et qui comptent beaucoup pour moi. Des amis, oui, qui partagent des valeurs. Pas des copains qui s’échangent des faveurs.
Cela dit, la politique reste une volonté de défendre des idées, de mettre en avant des convictions, une forme d’idéal. C’est donc un rapport de force où vous devez privilégier le résultat.
Quelles sont ces valeurs radicales que vous défendez?
Nous développons une certaine idée de la Suisse, de la place qu’elle donne à la liberté religieuse, à la recherche et au progrès. En bon radical, je suis convaincu que la politique doit chercher à rendre demain meilleur qu’hier. Ce qui se passe dans l’arc lémanique est extraordinaire. Au CERN, on explore l’infiniment grand. Le Human Brain Project ira vers l’infiniment petit étudier le fonctionnement du cerveau, cet organe si peu connu. Un jour, on soignera la maladie d’Alzheimer, j’en suis convaincu. Et c’est ici que cela se joue.
Pourquoi, dès lors, la Suisse se montre-t-elle si frileuse?
Je n’arrive pas vraiment à comprendre pourquoi les partis populistes séduisent tant, si ce n’est la faiblesse des autres et la crainte que demain sera pire qu’aujourd’hui. Oui, le monde change, il a toujours changé, mais les jeunes s’adaptent. C’est nous qui projetons sur eux nos angoisses.
Au fond, je m’élève contre ceux qui plantent un drapeau suisse partout puis détruisent tout ce qui cimente en réalité notre pays: la Banque nationale, le Conseil fédéral, la SSR, le Parlement. Qui détournent les droits populaires à des fins électoralistes ou dénoncent le patriotisme soi-disant déficient des Romands. Que reste-t-il d’un projet collectif?
LE PATRIOTISME GENEVOIS
Vous voulez nous dire que les Genevois seraient patriotes?
Et comment! Genève est l’un des cantons les plus patriotes du pays. Genève a choisi d’entrer dans la Confédération il y a deux cents ans, notamment pour assurer sa sécurité. C’est un Genevois (Pictet de Rochemont) qui a obtenu la neutralité et l’intégrité territoriale de la Suisse. Un Genevois (Dufour) qui lui a donné un drapeau et une armée, et évité une sécession. Il existe ici une véritable ferveur patriotique, il faut y vivre un 1er Août pour s’en convaincre.
Pourquoi?
Peut-être qu’on sait ce qu’on doit à la Confédération, cette tempérance qui nous manque, cette forme de calme.
Dès lors, pourquoi Genève s’est-elle longtemps drapée dans sa superbe solitude, très peu présente à Berne?
Il y a quarante ans, on pouvait vivre en quasi-autarcie. Mais le monde a changé. Les décisions se prennent de plus en plus au niveau national. Longtemps, Genève a pensé qu’il lui suffisait d’être prospère et d’apporter sa contribution à la solidarité confédérale. Mais aujourd’hui, elle comprend que cette prospérité dépend aussi de décisions prises à Berne, en matière d’infrastructures, de fiscalité, d’immigration, de recherche.
Après le vote du 9 février, la situation s’est compliquée parce qu’on nous a coupé les ailes. Parce qu’il faudra contingenter alors que nos entreprises créent des milliers d’emplois, et que la prospérité de tout le pays dépend aussi de leur santé.
N’éprouvez-vous jamais la tentation de la sécession?
Jamais. Ce ne serait pas viable. La force de notre place économique reste liée à notre monnaie et à nos institutions, fortes et pragmatiques.
Au problème de la fiscalité des entreprises, aigu à Genève où siègent de nombreuses holdings internationales, est venu s’ajouter celui des contingents!
Oui, nous avons une nouvelle difficulté. Mais je ne me vois pas aller négocier tout seul à Bruxelles. Les problèmes genevois sont aussi les problèmes de la Suisse. D’ailleurs, la Confédération et les autres cantons en sont conscients.
Je vais jusqu’à trois fois par semaine à Berne. J’y sens une vraie écoute. Les autres gouvernements cantonaux savent comment fonctionne la péréquation financière, dont Genève est l’un des plus gros contributeurs. Sans compter l’impôt fédéral direct, qui rapporte à Berne quelque 4300 francs par habitant genevois, contre 2060 francs en moyenne nationale.
Tout l’arc lémanique a un énorme besoin en permis de travail. Au soir du 9 février, nous avons pris contact avec les Vaudois parce que nous avons des intérêts convergents.
Nous espérons qu’une partie des emplois des organisations internationales, gouvernementales ou non, n’entre pas dans le système des contingents. Et que l’on tienne compte plutôt du solde migratoire que des flux. A Genève, l’an dernier, nous avons délivré 37 000 permis pour un solde migratoire de seulement 3700 personnes.
Personnellement, je crois que tout cela finira par un nouveau vote populaire sur les accords bilatéraux.
LE MODèLE VAUDOIS
Dans ce dossier mais pas seulement, vous travaillez très étroitement avec le canton de Vaud. Que se passe-t-il entre ces deux cantons qui se regardaient longtemps en chiens de faïence? Une affaire d’hommes, d’affinités?
En politique, les affinités entre les personnes sont bien plus importantes qu’on ne le pense. Et quand on aime la politique, on partage un plaisir. Alors oui, nous nous sentons de fortes affinités avec le canton de Vaud qui revient de loin, qui a gagné en confiance, qui s’est ouvert et contribue aussi à la péréquation. Il a réussi à reprendre son destin en main, à dépasser sa crise de confiance interne et la perte de sa place traditionnelle au Conseil fédéral.
Genève doit s’en inspirer. Notre grande faiblesse reste l’ampleur de la dette. Notre étroite collaboration a commencé avec le financement du rail. Pascal Broulis est venu me voir: «J’ai un problème, nous devons mettre de l’argent nous-mêmes.» En une demi-heure c’était fait: 100 millions pour Genève, 200 pour Vaud. David Hiler (ndlr: ministre des Finances genevois jusqu’à l’an dernier), un homme qui se projette dans l’avenir, a tout de suite adhéré: nous ne pouvions pas attirer des emplois haut de gamme et laisser les gens debout dans les trains.
A votre avis, y a-t-il une recette vaudoise dont vous pourriez vous inspirer?
Oui, Vaud a réussi grâce à une équipe gouvernementale qui a parfaitement fonctionné. Sa grande force: la cohérence. Pourtant, le gouvernement a vécu des manifestations de fonctionnaires à 20 000 personnes, un Parlement hostile. Cette cohérence, c’est ce que je souhaite pour Genève. Honneur d’ailleurs à Mauro Poggia qui a privilégié l’intérêt de l’Etat à celui de son parti, le MCG, dans la campagne sur l’initiative «Contre l’immigration de masse».
En février, nous avons visité le site du futur Musée cantonal. Quand on pense à la situation dans laquelle se trouvaient les Vaudois il y a dix ans, c’est extraordinaire de les voir se projeter ainsi dans l’avenir. La situation des grandes institutions culturelles genevoises (Comédie, Grand Théâtre, Musée d’art et d’histoire) est à l’inverse préoccupante.
LA RÉVÉRENCE
Restaurer la collégialité, la confiance au sein du gouvernement: un beau projet pour le premier président genevois pour cinq ans. Et après?
Ceci est ma dernière législature. Je siège au gouvernement depuis neuf ans. A la suite des dernières élections, j’étais le seul à avoir l’expérience de plusieurs années au gouvernement. Mais dans quatre ans, j’aurai rempli mon devoir.
Vraiment? Le pouvoir va vous manquer terriblement!
Il est vrai que je suis un hyper-actif qui ne tient pas en place, bien incapable de supporter le vide.
Les hommes politiques sont rarement des contemplatifs. Ce mouvement permanent sous le regard des autres, l’absence du droit à l’erreur: une vie très intense. Je me souviens de l’affaire libyenne. Ou des négociations avec les réviseurs de la Banque cantonale de Genève, qui ont apporté 110 millions de francs d’indemnisation. Dix-sept semaines quasi jour et nuit.
Arrêter, je suis parfaitement conscient de ce que cela signifie. Du jour au lendemain cessent les flatteries. Je ne crois pas qu’elles me manqueront… Je me suis toujours imposé une certaine distance avec la fonction et mes amitiés datent d’avant mes mandats politiques. De toute façon, il faudra bien se sevrer un jour. Et la vie ne s’arrête pas à la politique, n’est-ce pas?