ETATS-UNIS. Le sénateur se profile comme l’un des poids lourds de la présidentielle de 2016. Auteur d’une ambitieuse réforme de l’immigration, cet élu d’origine cubaine est l’atout maître des républicains pour séduire l’électorat hispanique.
On les appelle le gang des huit. Ces sénateurs – quatre républicains et quatre démocrates – sont à l’origine de l’une des réformes de l’immigration les plus ambitieuses jamais vues aux Etats-Unis. Elle permettrait à 11 millions de clandestins de régulariser leur situation et octroierait des visas aux ingénieurs et informaticiens dont l’économie a cruellement besoin, tout en renforçant la sécurité aux frontières. Cette révolution est portée par un homme, membre du gang des huit: le républicain Marco Rubio. Ce sénateur de 41 ans à l’abondante chevelure noire et au menton déterminé a joué un rôle crucial pour réunir une majorité autour de ce texte, qui vient de passer au Sénat.
Ce natif de Floride, aux origines cubaines, a mené une habile campagne de séduction auprès de la droite radicale, et notamment des animateurs de radio conservateurs comme Rush Limbaugh ou Sean Hannity qui avaient coulé la dernière réforme de l’immigration en 2007. «Il a eu le flair de se concentrer d’abord sur le renforcement de la sécurité aux frontières, ce qui a apaisé les craintes des républicains et lui a permis d’ouvrir le débat sur la naturalisation des clandestins», souligne Rick Wilson, un consultant républicain basé en Floride.
Un coup de maître. La législation et son pygmalion républicain sont l’arme secrète qui permettra au parti à l’éléphant de récupérer le vote latino, l’un des principaux enjeux de la présidentielle de 2016. Les Hispaniques représentent désormais 11% de l’électorat. «Chaque année, 800 000 Latinos atteignent leur majorité et obtiennent le droit de vote», indique Julian Teixeira, porte-parole du National Council of La Raza, une organisation qui défend cette communauté.
L’immense majorité d’entre eux vote démocrate. Lors de l’élection présidentielle de 2012, Mitt Romney n’a obtenu que 27% du vote latino, contre 71% pour Barack Obama. Il les a notamment séduits en déclarant un moratoire sur le renvoi de jeunes clandestins arrivés aux Etats-Unis comme enfants. «Les Latinos se rendent aux urnes avec des préoccupations économiques en tête, mais ils votent avec le cœur, en se fondant sur la question de l’immigration», note Julian Teixeira.
Sur ce thème, Marco Rubio devrait marquer des points. «En général, l’immigration est perçue comme un choix entre renvoyer l’ensemble des clandestins ou tous les garder, mais je n’ai jamais pu adhérer à cette vision noir-blanc, dit-il dans An American Son: A Memoir, un ouvrage autobiographique paru en 2012. Si mes enfants s’endormaient affamés tous les soirs et que mon pays ne me donnait pas l’opportunité de les nourrir, aucune loi – si restrictive soit-elle – ne m’empêcherait de gagner les Etats-Unis.»
Grand-père clandestin. Une vision qui trouve ses origines dans son histoire familiale. «C’est un enfant d’exilés cubains, relève Nelson Diaz, un ancien collaborateur personnel qui le connaît depuis 1995. Son père était un barman et sa mère une femme de chambre. Les questions de migration font partie intégrante de son enfance et son identité personnelle.» Les parents de Marco Rubio ont quitté Cuba en 1956, trois ans avant l’arrivée au pouvoir de Castro, pour s’installer à Miami, dans le quartier d’exilés de Little Havana.
Ce fan de l’équipe de football de Miami, The Dolphins, y a passé toute sa vie, excepté un intermède à Las Vegas entre 8 et 14 ans. Son grand-père a même vécu clandestinement dans le pays entre 1962 et 1966, avant de bénéficier d’une loi spéciale pour les réfugiés cubains fuyant le régime de Castro.
Mais les origines cubaines de cet amateur de hip-hop, marié à une Américaine d’origine colombienne avec qui il a quatre enfants, pourraient aussi se retourner contre lui. Le Cubain de Floride n’a pas grand-chose à voir avec le Mexicain d’Arizona ou le Portoricain de New York. «Il existe même une certaine hostilité entre la majorité mexicaine et les Cubains, perçus comme des privilégiés car ils obtiennent facilement un permis de séjour», relève Adam Smith, un journaliste du Tampa Bay Times, qui suit Marco Rubio depuis des années.
Offensive de charme. Reste que les républicains n’auront pas besoin de séduire l’ensemble de l’électorat latino pour gagner en 2016. «Il leur suffira de mener une offensive de charme chirurgicale auprès de certains Hispaniques dans une poignée d’Etats disputés», pointe Manuel Roig-Franzia, auteur de The Rise of Marco Rubio. La Floride, le fief de Marco Rubio, est l’un des principaux champs de bataille.
Le vote latino n’est pas le seul piège sur le chemin des républicains vers la Maison Blanche. Ils devront aussi séduire la frange radicale du parti. Ici aussi, Marco Rubio apparaît comme l’homme de la situation. «Son élection au Sénat en 2010 a été portée par le Tea Party, alors au faîte de sa popularité», rappelle Adam Smith. La notion que le gouvernement doit être réduit à sa portion congrue se trouve au cœur de sa pensée. «Il pense que l’Etat n’a pas à octroyer des subventions à tout le monde ni à s’impliquer dans la vie des citoyens», détaille Nelson Diaz. Cet homme profondément religieux, à la fois catholique et membre d’une église évangélique, est également opposé au mariage gay et à l’avortement.
Marco Rubio dit avoir hérité cette vision du monde de son grand-père, «un individualiste qui détestait le communisme et vénérait Ronald Reagan», avec qui il passait de longues heures à parler de politique à l’adolescence.
Rick Wilson estime que le sénateur fait partie d’une «nouvelle génération de politiciens qui n’ont pas peur de montrer qu’ils sont conservateurs, à l’instar de Rand Paul (sénateur du Kentucky) ou de Ted Cruz (sénateur du Texas).»
Malgré son jeune âge, Marco Rubio fait déjà partie des poids lourds républicains. «Il a un talent presque surnaturel pour saisir l’air du temps, relève Manuel Roig-Franzia. Son ascension politique a été fulgurante.» Elu à l’exécutif de West Miami en 1998, il a accédé au Parlement de Floride deux ans plus tard, à 28 ans. Cet avocat de formation y a accompli quatre mandats, avant de griller la politesse au candidat «naturel» des républicains pour le Sénat, le gouverneur Charlie Christ. A dix-huit mois de l’élection, il avait 30 points de retard dans les sondages et huit fois moins de fonds. «Personne ne pensait qu’il avait la moindre chance de le battre, mais il a effectué une remontée spectaculaire», se souvient Adam Smith.
Desséché. Mais derrière cette façade de petit génie de la politique, celui qu’on décrit déjà comme le «Barack Obama des républicains» présente quelques fêlures. Le 13 février dernier, il devait livrer la réponse républicaine aux discours sur l’état de l’Union du président. Le regard sombre et déterminé face à la caméra, il s’est lancé dans une diatribe contre la politique «étatiste» de Barack Obama, dénonçant les hausses d’impôts et défendant les armes à feu. Mais, quelques minutes plus tard, son sourire lisse avait cédé la place à de furtives grimaces, les mots étaient devenus pâteux et son front s’était mis à luire, avant qu’il attrape maladroitement une bouteille d’eau. Les démocrates l’ont aussitôt traité de «sénateur desséché», sans idées.
«Marco Rubio se laisse facilement déstabiliser, c’est son talon d’Achille, juge Manuel Roig-Franzia. A chaque fois qu’il est critiqué, il se met en posture défensive et finit par donner de la munition à ses opposants.» Accusé en 2010 d’avoir utilisé de l’argent du parti républicain pour ses dépenses personnelles, il s’est répandu en billets incendiaires dans les journaux.
Autistes. Autre faiblesse: son bilan. A part la réforme de l’immigration, ses quinze ans de carrière politique ne lui ont pas permis d’accomplir grand-chose. Ses seuls hauts faits: il a amélioré la prise en charge des enfants autistes en Floride et obtenu que le mois de septembre soit dédié aux victimes de lésions de la moelle épinière.
Marco Rubio a encore du chemin à parcourir avant d’accéder au Bureau ovale. D’autres jeunes républicains sont sur les rangs, comme l’ex-candidat à la vice-présidence Paul Ryan, le gouverneur de Louisiane Bobby Jindal ou Rand Paul. Sans oublier l’ex-gouverneur de Floride Jeb Bush, frère de George W. Bush. Les démocrates pourraient aussi lancer un Latino dans la course, comme le maire de San Antonio Julian Castro, ce qui diminuerait sensiblement son attrait auprès de cette population. Mais il y a six ans, personne ne pariait sur un jeune sénateur démocrate noir de l’Illinois…