Portfolio. Luc Chessex léguera ses archives au Musée de l’Elysée. Dans l’immédiat, l’institution consacre une rétrospective aux années cubaines du photographe lausannois, conquis par les idéaux castristes dans les années 60 et 70.
¡Revolución! C’est décidé: Luc Chessex léguera à terme ses archives à l’Etat de Vaud, qui lui-même les remettra au Musée de l’Elysée. Le photographe lausannois, 78 ans, se lancera auparavant dans un long labeur de classement de ses négatifs, tirages et fichiers, fruits d’une carrière amorcée au début des années 60 et toujours active aujourd’hui. La Loterie romande a accepté de confier 70 000 francs à Luc Chessex pour qu’il mène à bien ce travail d’archivage, indispensable à la conservation future de ses photos au Musée de l’Elysée. Lequel pourra ainsi compter sur un corpus d’images unique en Suisse, constitué de travaux effectués dans le monde entier pour le CICR, de reportages et essais visuels en Suisse, ainsi que d’un témoignage de grande valeur artistique et documentaire sur Cuba de 1961 à 1975. Et, dès le 4 juin, le Musée de l’Elysée présentera les photos cubaines de Luc Chessex. Enfin! La dernière exposition personnelle du photographe dans l’institution cantonale remontant à 1989…
Regard libre
En 1961, le jeune diplômé de l’école de photo de Vevey, qui s’ennuie ferme en Suisse, part en cargo à Cuba. Résolument à gauche, influencé par les articles de Sartre sur la revolución, Luc Chessex compte rester quelques mois sur l’île. Mais il y trouve rapidement du travail et s’y établit. Il marie son idéal à sa technique, qui n’en est justement pas une à ses yeux: la photo, pour lui, est une expression créative et culturelle, voire politique.
Luc Chessex collabore au Ministère cubain de la culture, à la revue Cuba Internacional et l’agence Prensa Latina qui l’envoie maintes fois en reportage en Amérique du Sud, où les déplacements du photographe sont facilités par son passeport suisse. Même s’il adhère en ces années-là aux idéaux de la révolution castriste, Luc Chessex garde sa conscience critique. Malgré ses commanditaires, il ne cède pas à l’imagerie de propagande, trouvant un équilibre entre son engagement et son regard libre.
Le photographe s’arrange pour mener à bien des travaux personnels, comme l’entrechoquement des icônes du Che et des publicités Coca-Cola, l’omniprésence du visage du Lider Máximo dans l’espace public ou encore un essai sur le statut de la femme cubaine, en marge du conditionnement idéologique qui prévaut sur place. Ce sont d’ailleurs ces quatre «C» (Castro, Coca, Che, Cherchez la femme) qu’exposera Luc Chessex au Musée de l’Elysée, avec beaucoup d’images inédites à la clé. Le propos est soutenu par deux livres, l’un groupant les photos de Castro, du Che et de Coca, l’autre consacré à son regard sur la femme dans l’Etat hypermachiste des barbudos. Sans oublier un DVD qui propose le film Quand il n’y a plus d’Eldorado (1980) réalisé par Claude Champion et Jacques Pilet, ainsi que des interviews récentes du photographe, y compris à La Havane. Luc Chessex retourne en effet régulièrement à Cuba, notamment pour apporter son témoignage de la révolution auprès des jeunes historiens.
Fabrication des mythes
Outre son intérêt documentaire, ce travail est celui d’un observateur à l’œil ouvert, jamais dupe de la fabrication de mythes qui s’active partout sur l’île. Le noir et blanc contrasté, précis, sans effet, sied à ce propos lucide, chaleureux, quelquefois ironique. Comme lorsqu’il met en abyme le blocus de Cuba par les Etats-Unis dans le rapprochement des effigies de Castro avec les pubs des fameuses boissons gazeuses.
A son retour à Lausanne en 1975 après avoir été renvoyé d’un Cuba de plus en plus sous influence soviétique, Luc Chessex n’infléchira pas son regard critique, qui n’oublie jamais d’être empathique. Une belle liberté qui a aujourd’hui valeur de leçon.
«Luc Chessex à Cuba», Musée de l’Elysée, Lausanne, du 4 juin au 24 août. www.elysee.ch
Luc Chessex
Né en 1936 à Lausanne, Luc Chessex s’établit à Cuba en 1961. Il y documentera le quotidien jusqu’en 1975, année de son retour en Suisse.
Ses reportages Swiss Life ou plus récemment De toutes les couleurs, consacré à la multiculturalité lausannoise, ont assis sa réputation de photographe engagé.