L’empire du Bien
Il arrive toujours un moment, au milieu de l’été, où j’en ai marre du soleil, de la plage et du farniente. Marre de l’Homo festivus, de son hédonisme à deux balles et de ses récits de vacances. Je me dis alors que Philippe Muray doit se retourner dans sa tombe, lui qui a si bien décrit l’avènement, à la fin du XXe siècle, de L’empire du Bien. Un monde désincarné où la positivité, la fête, l’hygiénisme et les bons sentiments font figure d’hégémons, au point que «la part d’ombre, le flou, le louche, le tortueux, l’ambivalent, la négativité» sont considérés comme des «crimes et des infirmités». Quel fut donc mon bonheur cette semaine de découvrir, sous la plume de Charles Poncet, une critique acérée de la solidarité moderne. Une idée d’apparence admirable qui consiste non seulement à donner à l’Etat le pouvoir de confisquer les richesses individuelles pour un usage incertain mais, surtout, nous pousse à «légitimer n’importe quoi: l’impôt confiscatoire, la prison pour qui s’y soustrait, le bannissement et les gémonies avec une persécution à l’étranger pour qui s’en va. Combattre ce nouveau Léviathan n’est pas un caprice de nanti, mais l’indispensable rappel que toutes les utopies débouchent un jour ou l’autre sur des formes tyranniques et celle-ci est en train de ne pas faire exception.»
Je vous l’accorde, Muray était un grincheux. Il n’y avait, selon lui, «pas la plus minime lueur d’espoir dans cette nuit électronique où tous les charlatans sont gris et où les marchands d’illusion voient la vie en rose sur le web». Je me demande d’ailleurs ce qu’il aurait pensé de Nabilla, la très ergonomique star des Anges de la téléréalité, qui a détrôné les auteurs classiques dans l’anthologie des citations célèbres grâce à son «allô, non mais allô quoi». Peut-être en aurait-il fait une syncope. Dans un élan d’intellectualisme estival, Jean-Pierre Greff, le directeur de la HEAD Genève, nous explique pourtant que Nabilla a réussi une prouesse linguistique puisque son simple «allô» lui a permis de communiquer avec le monde entier! «Auteurs et journalistes produisent quotidiennement nombre d’inventions rhétoriques d’un tout autre calibre, sans que cela ne leur vaille de notoriété particulière. S’agissant de la poupée du PAF, on arguera que dans une émission qui poursuit le vide absolu de la pensée, sa “saillie” a produit un écart proprement sidérant et un puissant signe de distinction.»
Dans L’empire du Bien, le Mal a été totalement éradiqué. Nous serions sortis de l’Histoire, des aventures du négatif. Sur ce point, Ueli Maurer semble en phase avec Philippe Muray, puisque le président de la Confédération a affirmé qu’il fallait tirer un trait sur le massacre de Tian’anmen. En oubliant ainsi le passé, il ignore du même coup l’occupation du Tibet, les exécutions massives, la revente des organes des condamnés et l’exploitation de la main-d’œuvre non qualifiée. La première explication à cet aveuglement serait, selon Jacques Neirynck, l’ignorance réelle ou simulée de l’intéressé. «La seconde, plus inquiétante, serait la séduction exercée par une dictature sur l’ancien chef de l’UDC. Un parti populiste flatte le peuple jusqu’à obtenir le pouvoir absolu pour s’y maintenir ensuite par la force et la terreur. La Chine communiste constitue donc un exemple et un prototype du capitalisme sans frein qui est l’idéal de l’extrême droite suisse.»
Muray avait beau être un intello, il devait aussi avoir des préoccupations très banales. La taille de son pénis, par exemple. Selon Patrick Morier-Genoud, qui s’est beaucoup intéressé à la question, un homme perd de 1 à 2 centimètres d’érection en vieillissant. «Et là, même si je ne suis pas obsédé par sa taille, je me suis quand même dit que j’allais continuer à tirer très régulièrement sur zobi, histoire de limiter quelque peu l’érosion.» Je suis sûre que tu souris, Philippe.
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La guerre du schiste
En interdisant l’exploitation du gaz de schiste en France, François Hollande cherche à satisfaire les Verts et EDF.
Guy Sorman
Au cours de son allocution du 14 Juillet, le président Hollande a confirmé son veto à toute exploitation du gaz de schiste en France. Pour justifier sa position, il a fait état de dégâts dans la nappe phréatique aux Etats-Unis, qui auraient été causés par cette exploitation. (…) En réalité, le principal inconvénient de l’exploitation par fracturation des roches est le bruit induit par les forages initiaux.
Ces forages, mauvais pour les oreilles, sont excellents pour l’économie: depuis le début de l’exploitation systématique en 2000, 800 000 emplois nouveaux aux Etats-Unis ont été créés par cette industrie, généralement bien rémunérés; un tiers du gaz américain provient des schistes, les Etats-Unis sont devenus autosuffisants en gaz naturel et commencent à exporter, les prix de l’énergie ont baissé, ce qui permet une certaine réindustrialisation. Cette exploitation des gaz de schiste a ressuscité l’économie d’Etats isolés ou stagnants, comme le Dakota du Nord, le Wyoming, la Virginie de l’Ouest, l’Arkansas, le Missouri.
En France, il se trouve que les principaux gisements exploitables se trouvent dans le Massif central: notre pays pourrait, à terme, devenir autosuffisant sans plus dépendre des importations de Russie et d’Algérie. Pourquoi ne pas se mettre à l’école américaine plutôt que de la nier? François Hollande, ignorant? Peut-être pas. En s’abritant derrière le faux prétexte américain, il satisfait deux lobbies puissants: les Verts et EDF.
Pour les Verts, le gaz de schiste est devenu un épouvantail idéologique, bien que ce gaz polluerait moins que le pétrole et serait moins dangereux que les déchets nucléaires. EDF? La compagnie dépend de l’énergie nucléaire et l’exporte. S’il apparaissait que le gaz naturel était une alternative économique, le lobby nucléaire – un Etat dans l’Etat – perdrait son influence politique et économique. (…) François Hollande s’est donc rangé dans cette alliance bizarre du nucléaire et des Verts en agitant – c’est classique – l’épouvantail américain.
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Quiproquos et usurpations de père en fils
Quand on s’appelle Schwander, on nous attribue des actes et des paroles qui ne sont pas les nôtres…
Knut Schwander
Je me souviens de mon père (Marcel Schwander, journaliste et traducteur, ndlr) qui n’en croyait pas ses yeux, lorsqu’il a découvert les kilos de fiches le concernant au moment où la police fédérale a rendu public le contenu de ses tiroirs. Ce qui l’a peut-être le plus glacé, c’était qu’une partie de ces fiches le confondaient avec un autre Schwander (bravo, les 007 helvétiques!) et qu’elles lui attribuaient donc les activités et les paroles d’un autre!
Aujourd’hui nous sommes tous fichés. Pas par la police fédérale, du moins pas à ma connaissance, mais sur le Net: lorsque je tape mon nom sur Google, je découvre à quel point ma vie et mes activités s’y trouvent répertoriées. Bien sûr,mil y a aussi des photos. Et figurez-vous qu’apparemment, ces photos se retrouvent dans pas mal de cuisines du pays… des cuisines et des offices de restaurants.
Pensez donc, le type du GaultMillau (pour ceux qui n’auraient pas lu la présentation de ce blog, je m’occupe de ce guide en Suisse romande), on ne veut pas le louper quand il débarque. (…) Aucun restaurateur ne veut voir publier que son poisson est trop cuit, sa viande dure comme du bois, ses légumes avachis… ce qui peut néanmoins arriver dans les meilleures maisons: un moment d’inattention du chef peut suffire. Donc, on avertit l’équipe de service: «Quand ce con-là ramène sa fraise, on le bichonne! Compris?»
Et là, tout le monde se demande quelle est la stratégie pour rester anonyme. J’aimerais bien vous raconter que je ne sors jamais sans puiser dans ma malle à costumes, sans me faire façonner un faux nez par «Q», qui me doterait d’une fourchette intelligente, capable d’analyser ce qu’il y a dans mon assiette… Mais je n’ai pas le talent d’un Louis de Funès et encore moins le support d’un 007, fût-il helvétique.
Et surtout, on ne le répétera jamais assez, le GaultMillau est un guide de BONNES adresses. Son but n’est pas de répertorier les fautes et de traquer les erreurs, mais de révéler des talents et d’inciter les gens à sortir. C’est pourquoi, lorsque je vais au restaurant, je réserve sous mon nom. Et croyez-le ou pas, c’est parfois dans les établissements où je sais que ma photo est épinglée à la sortie de la cuisine, direction salle à manger, que les choses se passent le moins bien. (…)
Côté clients, de petits malins réservent sous mon nom, ou clament haut et fort qu’ils travaillent pour le GaultMillau et qu’«il ne faudra pas vous étonner de voir votre note dégringoler après ce que vous m’avez servi». Un type de phrase que je ne me permettrais jamais de tenir. Décidément, de père en fils, on nous attribue des activités et des paroles qui ne sont pas les nôtres!