REPORTAGE. Le plus célèbre mac du monde, impliqué dans le scandale du Carlton de Lille aux côtés de DSK, se raconte dans un livre. Nous l’avons rencontré.
Ne dites pas qu’il est proxénète, Dominique Alderweireld, il préfère qu’on le qualifie de taulier. Et pourquoi «Dodo la Saumure», ce surnom saumâtre, depuis trente ans? Parce que la solution saline permet de conserver les filets de maquereaux… On ne peut rêver mieux, comme carte de visite, pour un souteneur. Dodo (pour les intimes) nous attend sur le quai de la gare de Lille. Mais ses yeux, bleu clair, font plutôt penser à un requin.
Voyou truculent. Il aime les journalistes, surtout depuis qu’il vient de publier ses «Mémoires» aux Editions Denoël. On n’y apprend pas grand-chose, mais c’est truculent. Dominique Alderweireld est un voyou français de la vieille école, pittoresque et sympathique, un Dodo en voie de disparition. «Voyou, dans ma bouche, ce n’est pas péjoratif. Ce sont des gens de la pègre, du milieu.» Les jeunes, ceux qui «sont dans le shit», il ne les connaît pas. «Ce n’est plus le même monde, plus le même langage.»
Dodo est très reconnaissant aux médias de l’avoir rendu mondialement célèbre à l’occasion de la deuxième affaire DSK, dite du Carlton de Lille. La justice doit définir si les parties fines auxquelles participait l’ex-directeur du FMI relèvent de «complicité de proxénétisme» (interdit en France mais toléré en Belgique). La Saumure nie avoir jamais rencontré Dominique Strauss-Kahn. Et affirme qu’il ne savait pas que ses filles allaient au Carlton divertir le potentiel futur président de la France. Jade, l’une d’elles, a même fait le déplacement à Washington pour DSK. «Jade a dit à la juge d’instruction que j’avais donné mon accord tacite, mais ce n’est pas vrai.» Au passage, il l’égratigne: «Ce n’est même pas une très belle fille.»
Le parquet requiert un non-lieu. Dodo, lui, espère passer en cour d’assises. «Ça ferait vendre mon livre.» Autre lien indirect avec DSK, René Kojfer, dit Judas, l’organisateur des soirées du Carlton, est un proche de la Saumure. Et Béatrice Legrain, dite Béa, la régulière de notre hôte, a été abordée par l’ex-directeur du FMI de façon très cavalière dans les toilettes de L’Aventure, un restaurant parisien, en 2009. Elle avait décliné la pressante invitation.
Rap et baroque. Dans son 4x4 coréen, moteur Mercedes, la Saumure écoute du Cecilia Bartoli. «La musique, pour moi, s’arrête au XVIe.» Pourtant, il a fait une apparition dans un clip du rappeur Seth Gueko, cigare au bec. Au bar Low Cost, un de ses établissements, nous rencontrons Béa. Elle nous colle une bise, puis s’excuse: elle nous a pris pour un client. «On dort chez toi ou chez moi ce soir?» demande-t-elle à Dodo. Puis elle enchaîne sur une fille qui lui donne du souci. «La Flamande, ça ne va pas du tout, elle ne sait pas se tenir, on ne peut pas garder ça.» On lui demande comment c’était, quand elle a rencontré Dodo. «J’ai tout de suite vu que c’était quelqu’un d’ambitieux, ce qui est aussi mon cas.» Dans ce couple, on ne croit pas au romantisme. «Cette fiotte de Jean-Jacques Rousseau avait tort, le romantisme n’amène que des malheurs», assène Dodo.
Al Capone aux petits pieds. Il veut nous faire visiter ses établissements. Il en possède quatre. Mais il va en reprendre prochainement «deux ou trois. J’en aurai bientôt huit», conclut-il, difficile à suivre en calcul. Au préalable, il a prévu de faire quelques emplettes, pour aménager un bar dans une maison close.
Banlieue de Tournai, Belgique, on charge un «salon Kenya» en rotin dans le coffre du 4x4. Sur l’autoroute, une publicité pour «Papa Dodo, le professionnel de la vente de matelas». Rien à voir avec notre hôte. Quoique.
Reprenons depuis le début: «Au départ, je voulais être Napoléon. Ça n’a pas marché. Ensuite, j’ai été Al Capone, puissance moins dix.» Dans la famille Alderweireld, papa était comptable et maman avait une petite entreprise de ruban adhésif. Le frère, qui tient une galerie d’art, a «le sens des conventions». Comprenez qu’il n’est pas drôle. Dodo l’appelle, «mon enculé de frère».
La Saumure a trois filles. L’aînée travaille pour l’Etat français et s’occupe «d’une association qui donne du travail aux Maghrébins». Ils ne sont pas en très bons termes. Il faut préciser qu’elle a également le sens des convenances. «Pourtant, je l’ai eue avec une Corse, fille d’une grande famille de voyous…» Il s’entend mieux avec la cadette, une chargée de communication. Enfin, la petite dernière a 4 ans. «Je n’ai jamais voulu avoir d’enfants. C’est toujours les femmes qui les voulaient.»
Dans sa vie, il a exercé plein de métiers. Il a été mandaté pour liquider des entreprises. Sur sa carte de visite, on lit toujours «Défiscalisation, Patrimoine et Entreprise». Il a dirigé un réseau de machines à sous. Commencé à œuvrer comme souteneur il y a quarante-sept ans. Vendu des voitures dans les pays de l’Est. En Côte d’Ivoire, il a été catapulté «responsable de la construction en milieu rural» par un collaborateur du président Félix Houphouët-Boigny, entre 1979 et 1980. L’expérience s’est soldée par un bref séjour dans la prison de Yopougon; un lieu où «mieux vaut ne pas avoir d’hémorroïdes».
Philanthropie sexuelle. Il a plein de projets. Son donjon pour les hommes qui aiment faire le ménage déguisés en soubrettes n’existe plus, mais il va recréer «un établissement qui fera du SM». Il a la fibre philanthropique aussi. Il aimerait mettre sur pied une association d’aide sexuelle aux handicapés. «Il y a un créneau. Mais ce ne serait pas dans un but vraiment lucratif. Si je monte des affaires, c’est pour le plaisir de monter des affaires. Je vis avec 5000 euros par mois.» Problème, il ne trouve pas les filles de l’emploi. «Il ne faut pas qu’elles arrivent en faisant puputes et en montrant leur chatte, il faut de l’écoute.» Certes. «Le mieux serait des aides-soignantes.»
Et puis, il aimerait que les animaux, on les respecte, qu’on s’occupe de leurs droits aussi, parfaitement, pour qu’ils ne souffrent plus à l’abattoir. «Il y a un combat à mener là-dedans.»
A la chasse, il ne tue pas le gros gibier, mais les faisans. «C’est tellement con, un faisan, que ça ne me dérange pas. Je ne veux pas tuer des êtres intelligents.» Sauf un homme, dans une fusillade, en 1969.
Dodo la Bricole. Nous arrivons au magasin de bricolage. Au rayon étagères, il hésite. Donc c’est pour aménager un bar, disposer verres et bouteilles. Alors, rose, l’étagère? Non, Dodo, noir. Ça ira mieux avec le salon Kenya. «Vous avez raison.» Puis, halte dans une boutique de décoration pour charger des miroirs. «Et on dit que les proxénètes ne travaillent pas!» lâche-t-il. On essaie une pointe d’humour: «Vous êtes plutôt un décorateur d’intérieur, en fait…» Silence. On n’aurait pas dû.
On dépose les achats dans une maison peu avenante, sobrement appelée Le 36. Après l’effort, nouveau crochet au bar Low Cost. «Une coupette de champagne, allez, une coupette!» «Non, merci.» Dodo nous classe dans la catégorie des coincés. C’est calme. Quinze heures de l’après-midi. A la sortie, on croise le premier client de la journée. Un beau trentenaire. «Il y a de tout», explique le «taulier». «Des moches, des beaux.»
Pragmatique, il expose son point de vue sur la prostitution: «Si vous connaissez une demoiselle au béguin, ça vous coûte aussi cher de l’emmener au restaurant que de venir aux filles. Sans compter qu’avec une petite amie, vous n’avez pas d’obligation de résultat. Il faut se prostituer pendant deux heures de conversation, dire des conneries, pour l’emballer! Mieux vaut venir directement en maison, on est certain de son fait.»
Le problème, c’est le personnel. Dodo part prochainement visiter les communautés religieuses des Carpates, à la frontière moldave, pour embaucher. «Il faut des blondes. Elles travaillent mieux.» Il n’en peut plus «de ces femmes qui viennent d’Amérique latine et qui mesurent un mètre sur un mètre». Mais attention, il ne faudra pas que ces blondes providentielles soient «trop belles» non plus. «Les plus belles prennent leur cul pour le Panthéon. Les moyennes, elles vont en donner beaucoup plus.»
Mais la demande évolue. «La grosse tendance, pour les cinq prochaines années, ce sont les travestis non opérés, prophétise Dodo. Tous les hommes jouissent par la prostate. Il y en a plein qui, sans être homosexuels, veulent se faire sodomiser.» Sur ce, il demande à la serveuse de lui remettre «une coupette». Santé.
Et de reprendre la route pour aller visiter sa villa qu’il a transformée en maison close. Au rez, une fille nous salue en coup de vent parce qu’elle s’apprête à «passer sous presse». Son client sonne à la porte. Après la visite de la garçonnière du maître des lieux (sous son lit dépasse la crosse d’un fusil de chasse), cap sur Renaix, au Club Madame. La gérante, dite «La Voix des Ténèbres», est à l’hôpital. Dodo soupçonne qu’on lui vole de l’argent; il veut s’expliquer, rappeler qui commande.
Cap sur la Suisse. Après sept heures en sa compagnie, il nous ramène à la gare. Il parle de la Suisse avec envie. Il a tâté des prisons zurichoises. «Un palace. Cellule individuelle avec salle de bains, 42 chaînes de télé, promenade fleurie. Clientèle de banquiers, d’avocats. Personnel féminin… Après deux semaines de prison, je suis reparti avec un chèque de 1000 francs suisses, en dédommagement. Ils n’avaient rien à me reprocher.»
Récemment, il voulait monter une affaire à Genève, rue de Berne. «Quand j’y suis allé, j’ai vu que c’était le Bronx. Je me suis dit: ça ne va pas être possible. Moi qui ai connu la Suisse à l’époque où il n’y avait pas un papier par terre! En plus, on m’a dit que Genève, ça devenait un Etat bananier.»
A la place, il aimerait «aller aux sports d’hiver». Pas pour faire du patin à glace, de la luge ou du ski. Il souhaite ouvrir une boîte en station et cherche des investisseurs. Qu’est-ce qu’on en pense, hein, Gstaad, ce serait bien, non?
«Moi, Dodo la Saumure». Denoël, 173 p.