Trajectoire. Le nouveau président du Conseil italien a l’intention de secouer son pays et de séduire l’Europe. Pour y arriver, il compte aux Affaires étrangères sur une ministre de 41 ans plutôt novice en politique: Federica Mogherini. Walter Mayr
«Allons au bar», propose d’entrée la ministre. Aussitôt dit, aussitôt fait: Federica Mogherini, chevelure blonde et collier de perles discret, s’approprie une table et décoche un sourire au serveur. Diplômée en sciences politiques, mariée, deux enfants, elle dirige la diplomatie italienne depuis février. Il y a trois semaines, on parlait d’elle pour succéder à Catherine Ashton au poste de cheffe de la diplomatie de l’UE.
Elle a beau compter deux ans de plus que son patron, Matteo Renzi, elle reste néanmoins la plus jeune ministre des Affaires étrangères d’Italie depuis le comte Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini. «Normal, dit-elle, on ne peut pas exiger d’une part un changement de génération et, de l’autre, une expérience professionnelle de quarante ans.» Jeune, féminine, factuelle, Federica Mogherini incarne ce que l’infatigable réformateur Renzi veut réaliser pour extirper la politique italienne de sa paralysie. Aux élections européennes de mai, les Italiens ont été 40,8% à lui faire confiance. Parmi les sociaux-démocrates du Parlement européen, les Italiens forment désormais le groupe le plus fort.
Depuis février, Federica Mogherini essaie de montrer que Matteo Renzi n’a pas pris de risque en tablant sur elle, que c’est à tort qu’on l’a qualifiée d’immature pour le poste: «Immature? Pour une femme de mon âge, c’est un compliment.» Même si Renzi est fier d’avoir constitué un gouvernement respectant scrupuleusement la parité hommes-femmes, elle ne se considère pas comme une créature de quotas. Depuis le 1er juillet, quand Rome a repris la présidence tournante de l’UE, elle s’investit pour trouver des réponses au succès croissant des partis eurosceptiques, des remèdes à la tragédie des réfugiés en Méditerranée, des recettes contre les conflits au Moyen-Orient.
Comme n’importe qui
La ministre italienne soigne depuis longtemps ses contacts avec les démocrates américains, ce qui ne plaît pas à tout le monde: dans un éditorial, le Corriere della Sera lui reproche son «obamisme» et une diplomatie molle. Mais elle se rebiffe: «Nous défendons les mêmes positions que les Etats-Unis. La politique d’austérité doit s’accompagner d’une flexibilité accrue pour permettre la croissance.» On ne saurait en tout cas lui reprocher de manquer d’énergie: à peine installée dans son bureau de la Farnesina, elle s’était déjà entretenue avec Catherine Ashton, John Kerry, Sergueï Lavrov et Laurent Fabius sur l’Ukraine, la Libye, la Syrie et l’Afghanistan. La photo où on la voyait poser à côté de Yasser Arafat a depuis longtemps disparu de son blog, de même que ses critiques à l’encontre de Matteo Renzi à fin 2012: «Il ferait bien de prendre des leçons en matière de politique étrangère.»
Fille du réalisateur de cinéma Flavio Mogherini, elle a d’abord milité dans les rangs de Sinistra giovanile, contre l’apartheid, la discrimination des femmes et l’armement nucléaire. Dès 2003, elle a travaillé dans l’appareil du parti, section affaires étrangères, puis a été élue députée en 2008 sur la liste du Parti démocratique. Elle tente de poursuivre une vie simple et n’hésite pas à se promener dans son quartier de Prati, proche du Vatican, «comme n’importe qui». En voyage de travail, elle opte pour la classe économique et se contente, en guise de repas, du piteux sandwich au fromage emballé de cellophane: «J’essaie de changer aussi peu que possible ma vie.» Reste à voir si elle saura servir d’exemple à la Farnesina, le siège des Affaires étrangères construit par Mussolini, avec ses 6 kilomètres de couloirs, ses 1300 pièces, ses ambassadeurs immensément mieux payés que leurs collègues européens mais un budget qui maigrit comme peau de chagrin.
© «Der Spiegel»
Traduction et adaptation Gian Pozzy
Federica Mogherini
Née le 16 juin 1973, diplômée en sciences politiques, la jeune femme a milité au sein de Sinistra giovanile avant d’être élue députée en 2008 sur la liste du Parti démocratique. Le 22 février dernier, elle est nommée ministre des Affaires étrangères du gouvernement Renzi.