Aïcha a 47 ans. Aïcha a cinq enfants. Deux de ses fils ont terminé un apprentissage avec succès. Un autre est mort en 2001. Aïcha vit à Erlinsbach, près d’Aarau. Ses deux filles sont intelligentes et fréquentent l’école à Aarau. Aïcha vit en Suisse depuis vingt et un ans. Avec son mari et ses fils, elle a fui le Pakistan. Parce qu’ils font partie d’une minorité musulmane d’Inde qui, à la manière des chrétiens, croit que le Messie est déjà venu.
Après des années d’attente, Aïcha et sa famille ont finalement vu leur statut de réfugiés reconnu. Il y a quelques années, le mari a fait un infarctus. Aïcha touche l’aide sociale, à l’instar de beaucoup de mères élevant seules leurs enfants, et fait des ménages à temps partiel. A ses yeux, c’est clair: «Je n’ai plus rien à voir avec le Pakistan, je veux devenir Suisse.»
Dans un premier temps, elle a échoué à l’examen d’allemand et d’instruction civique. Elle a appris et, à son deuxième essai, réussi l’examen de naturalisation. Mais le village a rejeté une deuxième, puis une troisième fois sa requête. Ce n’est que lorsque le canton insista sur le fait qu’avec ses enfants bien intégrés Aïcha remplissait objectivement tous les critères de naturalisation, que sa demande fut soumise une quatrième fois, fin juin, à l’assemblée de commune.
Ce qui se passa ce soir-là est une leçon. Pas de démocratie, mais de populisme. Par 124 voix contre 22, Aïcha a été dénaturalisée en bonne et due forme, exclue de la communauté villageoise.
Et voici quels furent les arguments proférés à l’assemblée de commune:
Reproche numéro 1: les filles ont manqué une fois la fête des écoles d’Aarau, le traditionnel cortège folklorique de mai, car leur frère se mariait ce jour-là. Pour les gens d’Erlinsbach, c’est évident: comportement non-suisse.
Reproche numéro 2: Aïcha s’était plainte auprès du comité du carnaval local, parce qu’elle ne trouvait pas drôle d’être la cible des moqueries du journal de carnaval. Devise: qui prétend devenir Suisse doit trouver drôles les blagues de carnaval.
Reproche numéro 3, le plus grave: Aïcha est récalcitrante, elle veut à tout prix devenir Suisse. Or, l’assemblée de commune l’a déjà refusée à trois reprises. Le peuple d’Erlinsbach ne veut pas d’elle. Point. Mais non, elle ne renonce pas, elle ne veut pas comprendre qu’on ne puisse pas obtenir de force le passeport rouge à croix blanche. Le maire d’Erlinsbach commente dans Blick: «Les citoyens n’apprécient pas qu’elle réessaie sans cesse.»
Ce n’est donc pas une blague si, dans ce quotidien, le maire d’Erlinsbach justifie comme suit le quatrième refus: «Les gens la trouvent revendicatrice.» Et en guise de preuve ultime qu’Aïcha ne mérite pas d’être naturalisée, l’élu UDC ajoute: «Elle ne dit pas bonjour dans la rue.» Adieu passeport suisse! Quant à nous, nous le savons désormais: les vrais Suisses saluent toujours dans la rue. Ou avez-vous un jour constaté que ce n’était pas le cas?