Trajectoire. La légende du hip-hop de 44 ans est également à la tête d’un véritable conglomérat économique. Une fibre entrepreneuriale qu’il a développée lorsqu’il vendait du crack dans les rues de Brooklyn.
Julie Zaugg New York
Jay-Z est l’artiste hip-hop le plus connu de sa génération. Il a non seulement écoulé 67 millions d’albums sur le plan mondial, mais il a aussi placé plus de disques en tête du Top 50 qu’Elvis Presley. Et, toujours sous ses airs taciturnes, ce natif de Brooklyn âgé de 44 ans dissimule également un gigantesque empire économique. Celui-ci comprend une marque de vêtements (Rocawear), une chaîne de sports bars (40/40), un gastropub au cœur de Chelsea (The Spotted Pig) et une chaîne de cosmétiques pour peaux noires (Carol’s Daughter).
Sans oublier une multitude de partenariats, avec des marques comme Budweiser, HP, Reebok ou Samsung. On retrouve même son nom sur une montre Audemars Piguet. Cet entrepreneur autodidacte, qui compte parmi ses amis le financier Warren Buffett, a en outre facilité la venue à Brooklyn du tout nouveau centre sportif Barclays Center et de l’équipe de basket des Nets, dans lesquels il détenait une part minoritaire jusqu’à l’automne dernier. Forbes estime sa fortune à 520 millions de dollars.
Le sens des affaires
«Jay-Z a révolutionné le lien entre le hip-hop et l’argent, estime Travis Gorsa, un sociologue de l’Université Cornell qui donne un cours sur le hip-hop. Avant, les artistes gagnaient leur vie en vendant leurs albums. Lui, il utilise ses disques comme un produit d’appel pour écouler les produits – vêtements, baskets, cognac, notamment – associés au style de vie promu par sa musique.» Il a même cherché à déposer un copyright sur le nom de sa fille, Blue Ivy, née en 2012.
Dans son autobiographie, Decoded, le mari de Beyoncé raconte comment, un jour à la fin d’un concert, il s’est rendu compte que tout le monde dans le public portait la même marque obscure de vêtements que lui, Iceberg. «J’ai compris que nous influencions directement leurs ventes, écrit-il. Nous avions donné une histoire à la marque. Le hip-hop transforme tout ce qu’il touche, lui prêtant ses valeurs de subversion, de débrouillardise, d’audace et même de danger.» Il décide alors de lancer sa propre ligne de vêtements, Rocawear, en 1999. Aujourd’hui, elle rapporte près de 700 millions de dollars par an.
Ce flair pour les affaires, Jay-Z l’a développé alors qu’il s’appelait encore Shawn Carter. Elevé avec ses trois frères et sœurs par une mère célibataire, il a grandi dans une cité de Bedford-Stuyvesant, l’un des quartiers les plus mal famés de Brooklyn. Il n’a pas terminé l’école, préférant passer son temps à vendre du crack dans la rue ou à participer à des combats de MC’s. «Il s’est toujours perçu comme un entrepreneur, même quand il trafiquait de la drogue, indique Christopher Jackson, l’éditeur de son autobiographie. L’épidémie de crack des années 80 et 90 a permis à toute une génération de jeunes de se faire pas mal d’argent et d’apprendre, sur le tas, à faire des affaires.»
Garder le contrôle
Ce parcours de vie l’a aussi rendu farouchement indépendant. «Il n’a jamais voulu être un simple salarié, souligne Christopher Jackson. Il a toujours voulu conserver le contrôle sur sa carrière et être rémunéré à sa juste valeur pour son travail.» Lorsque le mythique label Def Jam lui propose un contrat en 1995, il refuse, préférant créer sa propre maison de disques – Roc-A-Fella Records – avec deux amis. «Je n’ai jamais eu besoin d’obtenir l’approbation des gardiens du temple de l’industrie car, dès le début, je suis arrivé dans le jeu comme un entrepreneur», développe-t-il encore dans son autobiographie.
En 2008, il a conclu un partenariat inédit avec l’organisateur de concerts Live Nation, qui lui a fourni 150 millions de dollars pour monter une agence, appelée Roc Nation, qui gère la carrière d’artistes comme Rihanna, Shakira ou Kylie Minogue et, depuis avril 2013, de stars du basket ou du baseball. «Les artistes noirs ont de tout temps été expropriés de leur musique par des hommes d’affaires blancs, glisse Christopher Jackson. Le parcours de Jay-Z représente une sorte de vengeance face à cette exploitation.»