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Neuchâtel série d'été: Cézanne, un séjour neuchâtelois par temps de cochon

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Jeudi, 31 Juillet, 2014 - 05:50

Gorges de l’Areuse. Le maître d’Aix a planté son chevalet près de Champ-du-Moulin. Mais jusqu’ici, qui le savait? Histoire d’une aquarelle mal titrée et d’un passionné parti sur les traces du maître.

C’est l’aquarelle R 458, détenue par la Galleria Nazionale d’Arte Moderna à Rome. Elle figure les gorges de l’Areuse, mais les Neuchâtelois eux-mêmes l’ignorent. Il faut dire que le tableau a été longtemps catalogué sous le vague titre de Rochers et passage. Tout récemment, grâce aux recherches de Raymond Hurtu, membre de la Société Paul Cézanne, il a changé de nom: Les gorges de l’Areuse depuis la passerelle de Cuchemanteau.

On y va. On arrive en train (ou en voiture) depuis Neuchâtel à Champ-du-Moulin, site vert magnétique prisé des amateurs de mariages champêtres. On passe devant l’Hôtel de la Truite et sa salle des fêtes Heimatstil fraîchement rénovée. On s’engage, en direction du lac, sur le sentier qui longe la rivière, pour une des plus charmantes promenades que l’on puisse faire dans le canton (deux heures jusqu’à Boudry). Un délice de fraîcheur moussue et romantique, et, dans les jours qui suivent une bonne pluie, une rivière gonflée à bloc qui prend des airs d’Iguaçu miniature et vous cloue le bec de son boucan. Les spécialistes d’hydrologie vous expliqueront que l’Areuse est, à cause de la porosité du Jura alentour, un cours d’eau hypersensible aux précipitations.

La passerelle de Cuchemanteau est la deuxième sur le chemin, à un quart d’heure de Champ-du-Moulin. Elle forme un Y sur le côté gauche. Il faut le savoir, car depuis ce mois d’août 1890 où Cézanne y posa son chevalet, elle a été rénovée et agrandie.

On s’y engage, on cherche le point de vue du peintre et… hormis le grand rocher vertical sur la gauche, on ne reconnaît rien. Raymond Hurtu rêve-t-il? Comment diable a-t-il pu faire un lien entre l’aquarelle R 458 et ce coin de pays neuchâtelois?

On rentre, on empoigne son téléphone, on obtient une réponse: «Le paysage a beaucoup changé, dit l’ami de Cézanne. La rivière, à cet endroit, a subi toutes sortes d’aménagements. Les rochers à droite du tableau, par exemple, ne sont plus là. En revanche, ils existent toujours sur de vieilles cartes postales que j’ai retrouvées, qui rappellent l’aquarelle de manière frappante et qui ne peuvent avoir été photographiées que depuis cette passerelle.» Elémentaire, mon cher Watson.

Sachant que Cézanne avait séjourné à Neuchâtel en 1890, Raymond Hurtu, ex-prof de dessin parisien propriétaire d’une maison dans le Jura, a donc mené dans la région, dix ans durant, des investigations dignes d’un polar. Les cartes postales de brocante lui ont fourni de précieux indices. L’une d’elles, par exemple, montre un peintre ayant posé chevalet et parasol devant le château de Colombier: «Ce pourrait être Cézanne lui-même! Car depuis l’emplacement exact choisi par l’artiste sur la carte postale, il a aquarellé le château.» Œuvre R 345 du catalogue. Quoi d’autre? L’aquarelle R 317, qui montre le débarcadère de Cortaillod: «Pour y aller, il a pris le bateau navette depuis Neuchâtel, j’ai retrouvé les horaires…» Les archives météorologiques ont parlé elles aussi: Raymond Hurtu peut vous affirmer que durant les deux mois du séjour de Cézanne à Neuchâtel, soit août-septembre 1890, «il a fait un temps épouvantable».

Au fil des événements

L’enquêteur a peiné car les documents à disposition étaient rares: «On n’a aucune lettre commentant ce voyage. Comme Cézanne était brouillé avec Zola, il n’écrivait plus à personne…» Au bout du compte, voilà le fil des événements tel que Raymond Hurtu l’a reconstitué*: Paul Cézanne, sa femme Hortense et leur fils Paul passent trois mois en Suisse en 1890. Ils viennent de Franche-Comté, où les a appelés la liquidation d’une succession. C’est Hortense, surtout, qui aime la Suisse. Cézanne lui-même semble moins chaud. «En fait, précise Raymond Hurtu, ce peintre solitaire fuit la ville pour les berges du lac et les environs.» Colombier, Cortaillod, les gorges de l’Areuse. La maître a 51 ans: «C’est sa période classique, la plus belle.» Même si aucun chef-d’œuvre célèbre ne naîtra du périple helvétique. La faute au mauvais temps, sûrement.

A Neuchâtel, la famille séjourne à l’Hôtel du Soleil, aujourd’hui disparu. La suite du voyage en Suisse passera par Berne, puis Fribourg, où catholiques et anticléricaux se battent jusque dans la rue. Là, le peintre, «dans un mouvement d’humeur contre sa famille», plante femme et enfant et saute dans un train pour Genève. L’incident trouvera un dénouement diplomatique, mais le fond de l’affaire, c’est que Cézanne en a marre des hôtels et veut rentrer chez lui à Aix. Ce qu’il fera, tandis que Paul et Hortense poursuivront leur voyage à Paris.

Hortense qui adorait jouer aux cartes, le soir, dans les salons d’hôtels. C’est probablement, pense Raymond Hurtu, en observant ces scènes durant son voyage en Suisse que Cézanne a mûri le projet de la série qu’il entame à son retour. Elle s’appelle Les joueurs de cartes et elle fera un carton, un siècle plus tard, sur le marché de l’art. Finalement, c’est Hortense qui avait raison: ce voyage à Neuchâtel était une bonne idée.

* Le fruit des recherches de Raymond Hurtu a été récemment mis en ligne par la Société Paul Cézanne: www.societe-cezanne.fr


Paul Cézanne
Né en 1839 à Aix-en-Provence, mort dans la même ville en 1906, Cézanne est un peintre impressionniste à part, considéré comme le grand précurseur du cubisme. Paysagiste magistral, il a surtout peint la Provence. Parmi ses œuvres les plus célèbres: La montagne de la Sainte-Victoire, et la série des Joueurs de cartes.


A voir

Gorges de l’Areuse
La dernière passerelle

En continuant la descente de l’Areuse vers Boudry, à environ une heure de Champ-du-Moulin, on découvre la plus récente des passerelles sur la rivière, inaugurée en 2002: une merveille de sculpture ondulante en bois signée Geninasca-Delefortrie.

Champ-du-Moulin
L’Hôtel de la Truite

C’est un restaurant, où l’on mange le poisson frais du vivier. Récemment restauré, il est redevenu une très bonne adresse. Trois chambres d’hôtes accueillent les dormeurs dans une maison un peu plus loin.
032 855 11 34
www.la-truite.ch

Champ-du-Moulin
La salle des fêtes

Une mention à part pour ce pavillon orné de fresques Heimatstil, juste à côté du restaurant. Elle aussi restaurée depuis l’an dernier, la salle peut accueillir jusqu’à 300 personnes dans un décor de conte de fées. Location au restaurant (voir ci-dessus).

La Presta
Les mines d’asphalte

Depuis Champ-du-Moulin, on peut reprendre le train en direction du Val-de-Travers pour visiter les spectaculaires mines d’asphalte et manger du jambon cuit dans l’asphalte. Un site unique en Europe. Attention : arrêt La Presta sur demande.
032 864 90 64
www.val-de-travers.ch

Môtiers
La Maison de l’absinthe

Encore quelques minutes de train et vous êtes à Môtiers, bourg de tous les charmes, où vous serez parmi les premiers visiteurs de la Maison de l’absinthe, inaugurée début juillet dans un magnifique immeuble du XVIIIe.
032 860 10 00
www.maison-absinthe.ch

Môtiers
La Grange
Un joyau exotique à quelques pas de là: le Musée d’art aborigène australien La Grange, au château d’Ivernois, qui accueille la formidable collection de la Fondation Burkhardt-Felder.
032 861 35 10
www.fondation-bf.ch


Sommaire:

Cézanne, un séjour neuchâtelois  par temps de cochon
Corinna Bille, enfance d’été sur lac de Bienne
Artaud apprend à dessiner à Neuchâtel
infatigable Andersen  sur le chemin des Brenets

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Lea Kloos / Keystone / Photomontage L’Hebdo
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