Rencontre. Trois jeunes Lausannois multidiplômés lancent une nouvelle marque artisanale, brassée avec des malts et du houblon provenant du monde entier.
William Türler
On aurait pu croire, après l’arrivée de marques telles la Lausannoise, BFM, Trois Dames, les Fleurs du Malt ou Docteur Gab’s, que le marché de la bière artisanale allait commencer à saturer en Suisse romande. Le succès rencontré par la Nébuleuse prouve le contraire: lancée en début d’année par trois Lausannois diplômés de hautes écoles, elle a vu sa production passer de 700 à 7000 litres par mois en à peine un semestre.
«La part de marché de la bière artisanale se situe à environ 4% en Suisse, souligne Arthur Viaud, cofondateur. Aux Etats-Unis, ce chiffre atteint près de 20% alors qu’il n’existait aucune microbrasserie il y a une trentaine d’années. Cela laisse une bonne marge de progression.» De fait, plutôt que de s’affronter, les différents acteurs de la branche ont plutôt tendance à collaborer. La Nébuleuse et la Lausannoise partagent, par exemple, les mêmes locaux de production. Ce qui permet aux trois amis d’enfance que sont Arthur Viaud, Jérémy Pernet et Kouros Ghavami de limiter considérablement leurs frais d’investissement. «Cela ne sert à rien de se tirer dans les pattes, dit Arthur Viaud. Comme pour le vin, un amateur de bière artisanale n’est jamais captif. Il ne va pas s’approvisionner chez un seul producteur.»
En plusieurs versions
Distribuée dans différents bars lausannois «réceptifs» (comme les Artisans, le Saint Pierre, le Café du Pont et plus récemment la Grenette, bar éphémère situé à la place de la Riponne pour lequel les associés ont sorti une édition collaborative spéciale), cette nouvelle bière est vendue de 30 à 40% plus cher qu’une bière standard*.
«Nous voulons proposer un luxe abordable», résume Arthur Viaud, pour qui l’incrément de prix pour obtenir un produit de qualité reste minime par rapport à ce que l’on trouve parfois dans le domaine viticole.
La Nébuleuse se décline en plusieurs versions gustatives: la Stirling évoque les pale-ales américaines; légèrement épicée, la Namur Express tire son inspiration de la Belgique; quant à la Malt Capone, elle est fermentée avec du bourbon américain et des gousses de vanille. «Fabriquer de la bière artisanale, c’est comme cuisiner, souligne Arthur Viaud. Une même recette peut être appréciée par les uns et pas par les autres.»
Lors de leurs séjours à l’étranger, les trois amis ont eu l’occasion de tester ces différences de goût: ils ont passé notamment par King’s College London, l’Université de Cardiff et Swissnex Singapour avant de se lancer dans l’entrepreneuriat brassicole. Mais, à ce stade, l’export n’est pas leur priorité. Leurs projets immédiats visent plutôt à consolider leur base lausannoise. «Ce n’est pas le travail qui manque», résume Jérémy Pernet. Rentable depuis le mois dernier, la brasserie tourne actuellement au maximum de sa capacité de production.
Le phénomène des bières artisanales a démarré à la fin des années 90 avec des marques comme BFM et les Brasseurs, rappelle Christine Demen Meier, titulaire de la chaire food and beverage à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Aujourd’hui, on compte plus de 60 microbrasseries en Suisse romande. «C’est un succès indéniable, mais tout n’est pas si simple pour ces petites structures, dit-elle. Il faut atteindre une certaine taille critique pour répondre aux demandes du marché et sans cesse innover pour conserver un côté exclusif. Enfin, il faut savoir que des groupes comme Carlsberg, conscients de cette demande croissante, se mettent eux aussi à proposer des bières plus personnalisées, de meilleure qualité et en moins grandes quantités.»
* A Genève, la Nébuleuse est distribuée chez Bottle Brothers, rue Henry-Blanvalet 12, ainsi qu’à l’épicerie fine Héritage, avenue Krieg 7.