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John Kerry l’effet spécial K

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Jeudi, 31 Juillet, 2014 - 05:59

Portrait. Depuis une dizaine de jours, John Kerry se débat inlassablement pour amener Israël et le Hamas à signer un cessez-le-feu durable. Et démontre sa capacité à mobiliser, tant en Europe qu’au Moyen-Orient. De par son engagement et son style, qui se démarquent de ceux de Hillary Clinton, s’imposera-t-il comme le meilleur diplomate que les Etats-Unis aient connu depuis Henry Kissinger?

Clément Bürge New York

Il se démène, John Kerry, mais rien n’y fait. Toute négociation d’un cessez-le-feu entre Israël et Gaza n’est pas parvenu jusqu’ici à freiner l’escalade de la violence et le nombre de morts. Des combats qui se sont encore intensifiés après la trêve humanitaire du samedi 26 juillet et la suspension du conflit imposée le lundi par les Etats-Unis à Israël, qui n’aura duré que quelques heures malgré les appels incessants à un cessez-le-feu immédiat et durable de l’ONU ainsi que de nombreux Etats. Depuis une dizaine de jours, le chef du Département d’Etat, chargé des Affaires étrangères, enchaîne infatigablement voyages, visites et entretiens pour trouver une solution à ce conflit.

Déjà au lendemain de sa nomination à la tête de la diplomatie américaine, John Kerry s’était battu vaillamment sur le dossier israélo-palestinien. A partir de mars 2013, il s’était ainsi lancé dans un vaste processus de réconciliation entre les deux pays, caractérisé par une approche originale. Il a par exemple employé des consultants de McKinsey pour effectuer une analyse du tissu économique palestinien. Et a promis un plan de relance économique de 4 milliards de dollars si un accord était trouvé entre les deux parties – la promesse la plus généreuse faite aux Palestiniens depuis les accords d’Oslo, en 1993.

Au final, Benyamin Netanyahou avait accepté de réaliser le plus grand nombre de concessions dans l’histoire de son pays, comme la libération de 78 prisonniers palestiniens qui étaient enfermés depuis l’époque des accords d’Oslo. Encore plus crucial, il a approuvé que les négociations territoriales se fondent sur les frontières de 1967. Les représentants palestiniens ont aussi lâché du lest, par exemple en n’exigeant pas le gel des colonies israéliennes avant de parlementer. «Sans John Kerry et sa persévérance, cela ne se serait jamais produit», estime David Rohde, spécialiste de la politique étrangère américaine auprès de Reuters.

L’arrivée de John Kerry en Israël illustre le rôle qu’il joue au sein de l’administration de Barack Obama: il est celui qui redynamise la politique étrangère américaine comme peu de ses récents prédécesseurs l’ont fait. Celui en qui le président peut aveuglément faire confiance pour gérer les situations les plus folles aux quatre coins du monde.

L’homme parfait

A première vue, l’ancien sénateur a l’air plutôt maladroit. Son nez longiligne, ses petits yeux de marmotte et sa taille de géant – 1 m 93 – lui donnent un air de Dingo. Il ne s’agit pas de sa seule ressemblance avec l’ami canin de Donald et de Mickey. John Kerry, lui aussi, a une tendance à commettre des gaffes. N’a-t-il pas inventé par erreur le nom d’un pays, le «Kirzakhstan» (une contraction entre le Kirghizstan et le Kazakhstan), lors d’un discours? Au-delà de ces déficiences, il dispose certainement du profil le plus adapté pour devenir l’un des plus grands secrétaires d’Etat de l’histoire.

Depuis sa plus tendre enfance, John Kerry a baigné dans un environnement international. Fils d’un diplomate, il passe son enfance à faire le tour du monde, étudiant même, à l’âge de 11 ans, à l’Institut Montana, une petite école privée près de Zoug. Il parle le français, avec un accent prononcé, mais français quand même.

A 23 ans, il s’engage en tant que volontaire au sein de la marine américaine et il est envoyé en 1968 combattre au Vietnam. Un acte qui lui a donné une légitimité sans égale aux Etats-Unis. «Il connaît la guerre, la réalité du terrain, et il a eu le courage d’y aller», raconte Michael Hunt, historien de la politique étrangère américaine. Au lendemain du conflit, John Kerry critique cette guerre inutile, que lui rappellera tant l’Irak, des années plus tard. Une dénonciation qui le met sur le devant de la scène politique avant même d’avoir 30 ans.

L’homme arrive alors au Sénat en 1985. Et il préside le Comité des affaires étrangères entre 2009 et 2013. «Il voyageait plusieurs mois par année, notamment en Europe, relève Richard Gowan, directeur associé du Centre de coopération internationale à l’Université de New York. Sa connaissance des hommes d’Etat étrangers est excellente.»

Pour Michael Hunt, John Kerry partage plusieurs traits avec l’un des plus brillants diplomates de l’histoire américaine: Henry Kissinger. «Ils ont le même côté cosmopolite, une bonne connaissance du monde et de l’ambition. Ils sont tous deux d’excellents négociateurs.» Autre ressemblance, les défis qu’ils doivent affronter: «Dans les années 70, Henry Kissinger gérait les conséquences de la guerre du Vietnam et un pouvoir américain prétendument sur le déclin. John Kerry se retrouve dans la même situation, en s’occupant de la gueule de bois militaire irakienne et afghane et des forces américaines limitées.»

L’atout principal de John Kerry tient à son capital politique. «Il se trouve sur le devant de la scène depuis des décennies, il était candidat présidentiel en 2004, il s’agit littéralement d’une star», explique David Rohde. En plus de cela, John Kerry, 71 ans, n’a plus rien à perdre. «C’est son dernier mandat, analyse le journaliste. Il peut prendre tous les risques qu’il souhaite.» Une situation radicalement différente de celle de sa prédécesseur, Hillary Clinton, qui n’a jamais véritablement cessé d’être en campagne en vue de l’élection présidentielle de 2016.

Et l’homme dispose maintenant d’une plus grande marge de manœuvre que cette dernière lorsqu’elle occupait son poste: lors de son second mandat, Barack Obama a décidé de moins se focaliser sur la politique étrangère pour mieux se concentrer sur les affaires internes du pays, laissant ainsi John Kerry libre de prendre des initiatives. Hillary Clinton, perçue alors comme une rivale du clan Obama, se faisait davantage contrôler par l’administration.

Une Politique étrangère redynamisée

Depuis son arrivée au sein de l’administration Obama, John Kerry n’a eu de cesse de redynamiser la politique étrangère américaine. Et avec une réussite certaine. L’un de ses plus grands succès s’est déroulé récemment, en juin dernier, en Afghanistan, quand l’élection présidentielle a débouché sur une impasse. Le candidat Abdullah Abdullah accusait Ashraf Ghani, dauphin de Hamid Karzai et prétendu vainqueur de l’élection, d’avoir dérobé plusieurs centaines de milliers de bulletins de vote. Kaboul était alors en proie à des manifestations. D’anciens seigneurs de guerre menaçaient de reprendre les armes. Le pays se trouvait de nouveau au bord de la guerre civile.

John Kerry est arrivé. Les conseillers de Barack Obama l’avaient pourtant prévenu: toute intervention américaine ne ferait qu’empirer la situation. Le chef du Département d’Etat les ignora. Il connaissait bien les hommes au cœur de cette affaire. Il était en contact avec eux depuis 2009 déjà, à l’époque où il se trouvait à la tête du comité chargé des Affaires étrangères au Congrès.

John Kerry avait un plan, simple et clair: organiser un nouveau décompte sous surveillance internationale des 8 millions de bulletins de vote. La nuit du 10 juillet, John Kerry a réuni tous les acteurs de l’élection à l’ambassade des Etats-Unis. Ashraf Ghani et Hamid Karzai ont accepté le plan. Ne restait plus qu’Abdullah Abdullah. Le démocrate allait devoir faire appel à toutes ses capacités de persuasion.

«Je te demande cela en tant qu’ami, fais-moi confiance», lui a dit John Kerry. Il lui a parlé de sa vie de militaire au Vietnam, de son élection présidentielle ratée en 2004. Il lui a rappelé que 8 millions d’Afghans avaient voté, et cela malgré les menaces des talibans. «Nos soldats ne sont pas venus se battre et mourir en Afghanistan pour que cette élection rate», a encore insisté le secrétaire d’Etat. A 9 heures du soir, un accord était trouvé.

Un négociateur hors pair

La créativité du secrétaire d’Etat l’a aussi mené à utiliser une petite ville européenne, Genève, pour relancer des négociations cruciales. «On le sent à l’aise à Genève, presque plus qu’à Washington, commente Richard Gowan. Il aime la vieille Europe. Il sentait que Genève pouvait l’aider.» John Kerry s’est ainsi rendu au siège européen des Nations Unies plusieurs fois – dix fois très exactement – pour désamorcer les autres crises majeures du moment, la Syrie et l’Ukraine.

Pourquoi la ville du bout du lac? John Kerry avait la sensation que l’endroit était le meilleur pour mener des négociations avec son homologue russe, Sergueï Lavrov. «Il s’est dit qu’il pourrait ranimer un vieux fantôme de la diplomatie américaine», explique le professeur. La ville reste un symbole des relations russo-américaines durant la guerre froide. Dwight Eisenhower y avait rencontré Nikita Khrouchtchev en 1955 pour apaiser les tensions après la mort de Staline. «Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev y ont tenu leur première rencontre», rappelle encore Richard Gowan. Genève était la seule ville où les deux superpouvoirs ont pu se réunir lors de la seconde moitié du siècle passé.

John Kerry a aussi cherché à exploiter un autre atout à Genève: son incroyable talent de négociateur. En face-à-face, il tient tête aux personnalités les plus puissantes de la planète. Une spécialité qui le distingue d’Hillary Clinton. «Elle menait une diplomatie plus atypique, plus orientée autour du soft power et de la promotion des droits des femmes, précise Klaus Larres, un historien qui s’est penché sur les secrétaires d’Etat à l’Université de Caroline du Nord. Quant à John Kerry, il vient d’une lignée de diplomates plus traditionnelle. Plus protocolaire aussi.»

Cette différence de style se retrouve aussi dans leurs priorités géographiques: Hillary Clinton était une des artisanes du «pivot vers l’Asie» de l’administration Obama et passait ainsi plus de temps dans cette partie du globe, contrairement à John Kerry, qui s’est pour l’instant concentré sur des zones d’influence plus classiques, comme l’Europe et le Moyen-Orient.

Une préférence qui l’a amené à se focaliser sur les relations avec la Russie. Des relations pour lesquelles il a su faire valoir ses atouts de négociateur. Lorsqu’il a rencontré Sergueï Lavrov à Genève, John Kerry a ainsi charmé l’homme d’Etat, surnommé pourtant le Ministre du non. Appartenant à la même génération, les deux partagent une passion pour le football, un style de diplomatie à l’ancienne et aiment se charrier gentiment. Tout le contraire de ses rapports avec Condoleezza Rice, que le Russe appréciait provoquer.

Ces océans à sauver

La diplomatie genevoise de John Kerry a aussi connu quelques succès. En septembre 2013, John Kerry et Sergueï Lavrov y ont signé un accord portant sur le retrait à 90% des armes chimiques en Syrie. Puis, en mars dernier, les deux hommes ont conclu un autre accord à Genève, sur le désarmement des séparatistes prorusses établis dans l’est de l’Ukraine. Le secrétaire d’Etat américain a même réussi à obtenir une convention intérimaire sur la question du nucléaire iranien.

Certains diront que cela n’est pas assez: après des mois de négociations, Israël et le Hamas sont de nouveau en guerre. Et les crises ukrainiennes et syriennes ne sont de loin pas résolues. Mais, compte tenu de la gravité des circonstances, le secrétaire d’Etat américain a certainement cherché à en tirer le meilleur. «Dans chacune des crises, les cartes que John Kerry pouvait jouer étaient très mauvaises, que ce soit en Syrie, en Israël ou en Ukraine», analyse Ian Bremmer, président de l’Eurasia Group, une firme d’analyse de risque politique. Une situation symptomatique d’un monde de plus en plus multipolaire, où l’influence américaine est plus faible qu’autrefois.

L’homme a trouvé, depuis, un autre combat à mener: les océans. John Kerry, un marin amoureux de la mer dès son plus jeune âge, a multiplié les initiatives pour les sauvegarder, devenant le premier secrétaire d’Etat de l’histoire à s’intéresser aux questions environnementales. Un combat qui a culminé lors d’une conférence organisée en juin par son département en compagnie de la star Leonardo DiCaprio. John Kerry a alors annoncé l’établissement d’une des plus grandes zones de protection marine de l’histoire américaine.


John Kerry

1943 Naît à Aurora, dans le Colorado, d’un père diplomate et d’une mère infirmière.
1962 Etudie à l’Université Yale.
1966-70 Rejoint la marine américaine. Il est envoyé au Vietnam et obtient le grade de lieutenant.
1985 Elu au Sénat (Chambre haute) en tant que représentant démocrate du Massachusetts.
2004 Perd l’élection présidentielle contre George W. Bush. Il choisit le jeune Barack Obama pour donner le discours clé de la Democratic National Convention.
2008 Soutient la candidature de Barack Obama au détriment de Hillary Clinton dès le début des primaires démocrates.
2009 Nommé président du Comité des affaires étrangères du Sénat.
2012 Appuie de nouveau Barack Obama lors de la campagne présidentielle.
2013 En janvier, nommé à la tête du Département d’Etat américain.

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