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Gaza ou la fabrique moderne de dystopie

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Jeudi, 31 Juillet, 2014 - 05:58

Plaidoyer. L’auteure n’est autre que la reine de Jordanie, Rania, d’origine palestinienne. On appelle dystopie l’antonyme de l’utopie, la contre-utopie, soit une société imaginaire organisée de telle manière qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur.

Rania Al Abdullah

Les sociétés dystopiques sont décrites dans des pages de romans tels que Hunger Games, de Suzanne Collins, ou Divergent de Veronica Roth. Ils nous donnent un aperçu de sociétés perverties, d’où la liberté et la justice ont disparu; où les privations sont un mode de vie; où la vie n’est pas essentielle. Ces romans nous demandent d’imaginer une société où les gens sont poussés aux limites de ce qu’ils peuvent endurer – et où ils sont souvent tués s’ils n’y parviennent pas.

Mais ce n’est que de la fiction, n’est-ce pas? La dernière page tournée, c’est fini.

Faux.

L’histoire la plus dystopique de notre temps n’est pas une œuvre de fiction. C’est un endroit bien réel peuplé de gens bien réels.

C’est Gaza. Le lieu de vie le plus terrible du monde.

Un lieu où des gens tiennent tête à la pauvreté, à la violence, aux préjugés, à l’intimidation, à la faim, au manque de soins de santé et de liberté de mouvement, à l’emprisonnement, au chômage généralisé, à l’insécurité, à une surveillance incessante, à la privation des biens essentiels, au désespoir, à une éducation défaillante, à l’isolement forcé, au mépris des droits de l’homme, à la douleur de perdre des proches aimés. Gaza, 1,8 million d’habitants, tient tête à tout ça, tous les jours. Sous le regard d’une communauté internationale largement indifférente.
Femmes, enfants, nourrissons. Vieux, handicapés. Innocents. Ils tiennent tête chaque jour à toutes ces injustices parce que, depuis huit ans, ils ont existé – pas vécu – sous le siège imposé par Israël.

Un Palestinien de 17 ans incarcéré dans une prison israélienne a décrit la misère que les Gazaouis endurent tous les jours: «C’est comme être l’ombre de ton propre corps, vissé au sol, incapable de t’en échapper. Tu te vois gisant là, mais tu ne peux pas remplir de vie ton ombre.»

En deux mots: une mort lente.

A moins d’avoir vécu jour après jour cet assiègement et ces assauts suffocants, il est impossible d’imaginer le désespoir qu’endurent les Gazaouis. N’oubliez pas: 70% de la population de Gaza est formée de réfugiés.

Je ne peux pas espérer, par ces simples mots, rendre justice à leur souffrance.

Imaginez que vous êtes emprisonné dans une bande de terre stérile, longue d’environ 40 kilomètres et large de 6 à 12 kilomètres. Imaginez que vos enfants ont besoin de soins médicaux urgents que les cliniques de Gaza ne peuvent assurer. Jour après jour, vous attendez au passage frontière sans savoir si, aujourd’hui, vous et votre enfant serez autorisés à passer pour quêter les soins dont vous avez besoin.

Imaginez que vous donnez naissance à des enfants alors qu’il n’y a pas d’accès à l’eau, que l’évacuation des eaux usées est déficiente et que l’électricité ne marche qu’à peine la moitié du temps. Imaginez que vous dépendez des colis de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés, pour maintenir votre famille en vie.

Et imaginez maintenant que les gens de Gaza vivent en plus sous des bombardements quotidiens.

Plus d’un quart des tués, ces dernières semaines, étaient des enfants. Des centaines d’autres ont été mutilés ou sont orphelins. Des dizaines de milliers de familles sont brisées ou déplacées.

Imaginez-vous assis à la table familiale avec vos proches: on vous donne quelques minutes pour évacuer votre maison avant qu’elle ne soit bombardée. Les missiles rasent votre logis. Les photos irremplaçables de vos grands-parents ont disparu. Les dessins que vos enfants faisaient, petits, sont détruits, vos papiers d’identité sont perdus, votre histoire personnelle est effacée.
Imaginez encore que vous tentez de sauver des vies à l’hôpital malgré la pénurie d’équipements médicaux et des instruments rouillés. Vos chaussures pleines de sang collent au sol. Puis l’hôpital est bombardé.

Gaza est en situation de traumatisme.

Tout ce que les habitants de Gaza veulent, c’est ce que chacun de nous veut. La possibilité de vivre une vie normale, dans la dignité et la sécurité, et de construire un avenir dans lequel les enfants pourront prospérer, rêver et se réaliser. Il doit leur être permis de le faire.

Il faut d’abord un cessez-le-feu, mais ce n’est pas la seule solution. Nous ne pouvons permettre le retour à un statu quo infernal, à la lutte quotidienne pour survivre. Il faut que suive rapidement un effort général, voué à rendre la vie aux ombres de Gaza. Il faut ouvrir les points de passage, reconnaître les droits, garantir la liberté, réparer les infrastructures, rétablir les relations commerciales, équiper les écoles, restaurer les hôpitaux, soigner les blessures. L’espoir doit fleurir. (…)

Allons-nous rester à l’écart et regarder tandis que sont jetées sous nos yeux les bases cruelles d’une dystopie moderne? Ou notre humanité commune nous unira-t-elle pour nous inciter à agir et sauver les gens de Gaza? En les sauvant, nous nous sauverons.

© The WorldPost/Global Viewpoint Network Traduction Gian Pozzy

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