Porrentruy. En juin 1944, menacée par la Gestapo, la lauréate du prix Nobel de chimie passe la frontière incognito…
Paille ou gazon. A l’intérieur des murs fortifiés ou sur la pelouse au pied de la grosse tour Réfous, 38 mètres de guet protégeant la cité depuis le XIIIe siècle? Où était assise, reposant sur ses coudes, griffonnant quelques logarithmes dans un carnet, se reposant après des jours de marche effrénée dans les maquis, cette Parisienne de 47 ans, accompagnée de ses deux enfants de 17 et 12 ans? Seul un bulletin météo certifierait la version à garder. Qu’elle ait été couchée sur la paille d’un dortoir ou alanguie à l’air pur bénéfique pour sa tuberculose, cette femme distinguée pour son savoir, honorée dans les gazettes du monde entier intrigue un soldat en ce début du mois de juin 1944, au château de Porrentruy, haut lieu d’internement des réfugiés français.
A l’arrière du château, sur les hauts de la plaine dans la ferme Waldegg, les services de renseignement de l’armée n’ont pas été informés de son passage en Suisse. Le hasard a voulu qu’elle franchisse la frontière à Damvant, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Au petit matin, c’est le débarquement! Et bientôt, un afflux de réfugiés français – 20 000 – digne de l’exode de 1940. La petite histoire raconte qu’elle a été remarquée grâce aux «signes cabalistiques» qu’elle griffonnait. Sa passion pour les sciences, sa générosité (elle aurait donné des cours de physique par tous les vents), l’ont fait repérer. Le pays est ami, Dieu merci.
Exfiltrés par la résistance
Irène Joliot-Curie est Prix Nobel de chimie 1935. Ses parents sont Pierre et Marie Curie. Sa mère adorée, morte d’une leucémie aiguë en 1934, est la seule femme doublement nobélisée. Irène est mariée à Frédéric Joliot, qu’elle a rencontré à l’Institut du radium, dans le laboratoire de sa mère. Ensemble, ils ont découvert la radioactivité artificielle et forment un redoutable duo. Juste avant la guerre, l’équipe du Collège de France que dirige Frédéric découvre la fission nucléaire. C’est dans ce cadre-là qu’il y a menace sur le couple de chercheurs. Les puissances veulent maîtriser l’énergie nucléaire. Arrêté deux fois par la Gestapo, Frédéric Joliot, membre de la Résistance, entre en clandestinité complète fin mai 1944. Les époux séparés s’écriront sous des pseudonymes. Il est «Jean-Piere Caumont», elle est «Gabrielle».
En mai 1944, leur fille Hélène, intelectuellement brillante, tout comme ses parents, passe le bac. Elle le décrochera près de Montbéliard, où elle loge dans une famille homonyme. Irène, Hélène et le petit Pierre sont exfiltrés par des Francs-tireurs et partisans (FTP) dans la nuit du D-Day.
Victor Henry, préfet de Porrentruy et ancien commissaire à la SDN, en costume trois pièces, pochette blanche et raie sur le côté, les découvre tous les trois au château. Gentleman, il conduit la famille dans ses appartements de fonction à la préfecture. L’Hôtel de Gléresse, splendide hôtel particulier avec double porte cochère, abrite aujourd’hui les archives de l’ancien évêché de Bâle, rue des Annonciades. A l’intérieur, une entrée vaste, froide et pavée pour calèches, et une voûte en stuc. L’un des deux étages a accueilli Irène Joliot-Curie. Un jardin, des pommiers reinettes, des sapins, du mobilier d’été raffiné. Elle n’en a pas beaucoup profité. Le préfet a fait marcher ses relations. Un de ses amis, Daniel Cherpillod, industriel dans le sud du Jura, l’accueillera dans son chalet de Gstaad. L’Oberland deux mois avant la Libération. FD
Irène joliot-curie
La fille aînée de Pierre et Marie Curie naît en 1897 à Paris. En 1935, avec son mari Frédéric Joliot, elle reçoit le prix Nobel de chimie. Sous le Front populaire, elle est sous-secrétaire d’Etat. A 59 ans, elle meurt, comme sa mère, d’une leucémie.
A voir
Porrentruy
Chambres d’hôte
Entre château et préfecture, un logement de charme dans une maison façon tour de Babel sur cinq niveaux, décorée avec goût. Fabienne Rossi soigne les petits-déjeuners. Accueil douillet entre XIXe siècle et années 70.
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www.unangepasse.ch
Porrentruy
Circuit secret
Une clé électronique pour ouvrir huit cachettes à travers la ville. Et découvrir, au fond d’un cachot ou d’un caveau, un bout d’histoire fabuleux ou terrifiant. Les projections son et lumière, à huis clos, fascinent les enfants. Un petit côté Fort Boyard futé. Idéal par temps gris et menaçant.
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www.juratourisme.ch
Porrentruy
Hôtel-Dieu
Au musée du même nom, dans cet édifice baroque qui fut un hôpital tenu par des sœurs, deux expos évoquent le passage d’Irène Joliot-Curie. La pharmacie, sa marqueterie précieuse et ses 240 pots vertueux. Les photos signées Albert Perronne, mémoire de la ville, qui témoignent de 1944.
032 466 72 72
www.mhdp.ch
Sommaire:
L’enfance de Louis Chevrolet, entre pêche à la carpe et bénédiction de biquette
Irène Joliot-Curie, réfugiée chez le préfet
Béguelin, l’incarnation d’une liberté
La petite Gilberte, grande égérie de Courgenay