Automobile. L’inventeur des célèbres voitures américaines a passé sa jeune enfance entre Bonfol et Beurnevésin. Presque rien n’a changé depuis 1878.
Beurnevésin, 162 habitants. Il fait chaud ce dimanche de juillet, entre deux journées de gris. Les bottes de pluie collent aux mollets. On est à la frontière française, tout près de ce coin frais et reposant nommé Réchésy, dans le Territoire de Belfort où les Bâlois achètent des résidences secondaires un rien décaties, mais tellement bobos. Beurnevésin, c’est encore le village à la Suisse, le village paysan à l’ancienne, celui des travailleurs agricoles, des vieilles familles, pas des nouveaux riches à BMW.
Le manège de chevaux donne sur la route. L’odeur de foin mouillé est forte. Au giratoire, avant d’avaler la dernière borne pour la France, une minuscule station-service évoque les Etats-Unis, l’envie d’espace et de vitesse. De poussière soulevée plutôt que de flaques d’eau froide. Deux pompes à essence façon fifties et une colonne bancomat attendent les routards. Louis Chevrolet ferait le plein de sa Caprice Classic bleu ciel à toit blanc, banquettes en velours clair, ceintures de sécurité General Motors cliquant comme celles des avions. Il ferait le plein de super, une Caprice consomme lourd aux 100 «kil», il payerait avec son American Express et mettrait le cap sur la France. Il se dirait: «Beurnevésin n’a pas changé, ou si peu, depuis 1887.» Ça lui rappellerait son enfance. Le départ vers Beaune, l’exil transfrontalier voulu par son père horloger. Il avait 9 ans. Il n’est jamais revenu.
Louis Chevrolet, d’origine jurassienne par son père et sa mère, bien que né à La Chaux-de-Fonds le 25 décembre 1878, a donné son nom à l’une des plus mythiques voitures américaines. Une Chevrolet, comme une Cadillac, c’est une grosse bagnole aux allures de requin, un monstre de ferraille dont les pneus crissent dans les tête-à-queue entre policiers capés et malfrats bien outillés. C’est la voiture du lieutenant Kojak poursuivant des salopards. Louis Chevrolet, fils de Joseph Félicien Chevrolet et de Marie Anne Angéline Mahon, crée sa marque à Detroit en 1911 en s’associant avec le cofondateur de General Motors, un certain William Crapo Durant, dit «Bill».
Pilote casse-cou
Le Jurassien a 32 ans. Il est alors mécanicien, formé à Beaune chez un marchand de cycles, engagé à New York en 1900 chez De Dion-Bouton, puis chez Buick. Il est aussi un pilote de course casse-cou et réputé (3 ans sur un lit d’hôpital en 15 ans, quatre de ses mécanos tués à ses côtés). Il se brouille très vite avec Bill, lâche l’affaire, péclote. En 1929, avec la crise, son entreprise de construction de moteurs d’avion s’écrabouille. Il réintègre Chevrolet comme simple mécanicien. Il meurt en 1941 à 62 ans.
A Beurnevésin, il y a l’école de Louis-culottes courtes. Juste en face de la petite station-service! Sur la façade principale, une inscription datée 1840: «Laissez venir à moi les petits enfants». Jésus a donc accueilli Louis, qui a dû fréquenter l’établissement. Il vécut dans le village de 1882 à 1887, soit de l’âge de 3 à 9 ans, environ. Juste derrière l’école, sur une hauteur, se trouve l’église où ont dû être baptisés Berthe Léonie, Emile Arthur et Marthe Marie, les petits de la fratrie. Ce dimanche midi s’achève la messe célébrée par trois curés, dont le père Joseph, de Kinshasa, en séjour à Boncourt. Après les poignées de main, direction l’Hôtel-Restaurant de la Couronne, sur la route principale, pour une friture de carpe, spécialité locale, et sa salade croquante. L’hôtel existe depuis 1832. Il a pu accueillir le petit Louis, d’origine modeste, pour une occasion particulière, un banquet, une célébration.
Les Chevrolet se sont installés à Beurnevésin parce que la famille s’agrandissait. Ici, on est en terre Mahon, chez la mère. A la Couronne, un ancien maire de la commune croit connaître l’emplacement de leur maison, qui n’existe plus. Depuis sa chaise, devant la fenêtre, il montre un endroit au loin: «Ils habitaient en face du pâturage, devant ces nouvelles constructions.» C’est vague. C’est au bord d’un talus, à l’arrivée de la route de Bonfol.
Bonfol, 707 habitants
Les Chevrolet venaient de là. Après La Chaux-de-Fonds, probablement en 1879-1880, avec Louis bébé, ils se posent ici. Le village s’enorgueillit de cet illustre natif. Depuis le train venant de Porrentruy, on aperçoit le stade de foot qui porte son nom. Il n’y avait pas de gare à l’époque. Et pas de Chevrolet Impala ou Camaro pour tracer la route. Il fait bon aujourd’hui relier à pied Bonfol à Beurnevésin, découvrir sur le chemin les traditions villageoises. Un circuit improvisé entre les ex-voto de l’église Saint-Laurent, une statue barbue et chevelue au bord de la route et une chapelle dans les bois nous fait découvrir saint Fromond, protecteur des animaux, vénéré depuis le XVIIe siècle – le curé du village continue de bénir toute la ménagerie qu’on lui amène en procession, le lendemain de l’Ascension (poneys, chiens, tortues…). Cette année, une chèvre a dévoré la croix de l’évêque auxiliaire! Louis aurait-il fait bénir un chaton?
Pour terminer la balade, il faut partir aux étangs, les plus renommés de Suisse du point de vue botanique. Un lieu superbe, classé réserve naturelle depuis 1962. L’étang Monnier, dit du Milieu, où l’on plante cannes à pêche et chaises longues en toile, à l’ancienne. Les petits étangs Rougeat, aux nénuphars blancs ou roses, qui se succèdent comme autant de clairières dans la forêt lumineuse (et vierge de tout détritus), entre chênes et aulnes. On y rêve d’un déjeuner sur l’herbe, avec nappe à carreaux et pichets de sirop. Louis et ses parents ont pu aller en barque sur le grand étang du village, dit étang du Moulin, créé en 1497, asséché depuis. Force de la nature, Louis Chevrolet s’est enraciné ici pour mieux s’envoler. FD
Louis Chevrolet
L’inventeur de la voiture américaine Chevrolet est originaire de Bonfol. Né à La Chaux-de-Fonds en 1878, il suit ses parents dans le Jura puis en France. Il arrive à New York en 1900. C’est à Detroit qu’il lance sa marque, en 1911. Simple ouvrier, il meurt en 1941 dans la ville qui a fait sa gloire.
A voir
Beurnevésin
Hôtel de la Couronne
Dans cet hôtel tenu par la famille Comte, la table est prisée depuis 1832 pour sa friture de carpe servie avec une mayo relevée. Au menu, il y a aussi filets de perche, truite au bleu et totché. A l’étage, des chambres et un dortoir spartiate accueillent les randonneurs.
032 474 44 63
Beurnevésin
Eglise aux vitraux
Derrière l’école du XIXe siècle, l’église romane Saint-Jacques surplombe le village. Entre les pierres fraîches et les vitraux signés Hans Stocker, un des maîtres du genre, une pensée pieuse ne fait pas de mal. Au-dessus de l’autel, la voûte du Moyen Age offre en fresque les quatre évangélistes.
Bonfol
Table d’hôte
Alexa Cuenot, 36 ans, reçoit à domicile, dans la salle à manger de l’ancienne cure. Pour quatre à dix couverts réservés sur demande, des plats de saison, à partir de produits frais et régionaux. Une réception aux petits oignons… et le café au clair de lune.
032 474 43 06
www.saveurs-saison.ch
Bonfol
Hôtel des Trois Rois
Quand il fait soleil, c’est l’endroit pour siroter sa Romanette ou son pastis. Sur la place, sous le parasol, on dévore une des pizzas au feu de bois dépaysantes et bon marché: l’Ajoulote ou la Franc-Comtoise. On peut digérer à l’étage. La salle de bain est immense et royale.
032 474 51 34
Bonfol
Chapelle de Saint-Fromond
Dans les bois, la minichapelle de 1866 raconte l’histoire du guérisseur ermite, contemporain de saint Ursanne et de saint Imier au VIIe siècle, assassiné par deux vagabonds.
Bonfol
Céramiques
Felicitas Holzgang maintient vivace la tradition de la poterie, dans son atelier-boutique. Un musée, dans l’ancienne école, est ouvert de mars à octobre. Un dépliant contenant toutes les infos utiles et une carte de la région est disponible auprès de la commune.
www.bonfol.ch
Sommaire:
L’enfance de Louis Chevrolet, entre pêche à la carpe et bénédiction de biquette
Irène Joliot-Curie, réfugiée chez le préfet
Béguelin, l’incarnation d’une liberté
La petite Gilberte, grande égérie de Courgenay