IMMORTALITE. Le milliardaire russe Dmitry Itskov veut créer un avatar robotique qui servirait de réceptacle à son cerveau. Ce qui lui permettrait de devenir immortel. Il prévoit de mettre cette technologie à disposition de tout un chacun d’ici à 2045.
Dmitry Itskov ne paie pas de mine. Son teint est pâle. Les traits de son visage sont peu marqués, presque comme ceux d’un bambin. Le pas hésitant, il monte sur la scène du Global Forum 2045, une conférence organisée mi-juin à New York. «Je parle mal, lance-t-il à son audience de 800 personnes. Je ne ferai pas long.» Malgré ses airs de souris grise, le Russe de 32 ans se trouve à la tête d’un des projets les plus mégalomaniaques du XXIe siècle: il veut percer le secret de la vie éternelle. «L’immortalité n’est plus un fantasme: nous sommes à deux doigts d’y parvenir, dit-il, sans même un brin de folie dans la voix. Et c’est pour cela que nous sommes réunis ici aujourd’hui.» Les scientifiques, les hommes d’affaires et les technophiles dans le public applaudissent. La majorité avec enthousiasme, d’autres par politesse.
L’homme se trouve derrière un groupe nommé Initiative 2045. L’objectif de cette organisation lancée en 2012 est clair: rendre les humains immortels grâce à la création d’avatars robotiques. «Nous voulons développer des androïdes, comme dans le film Avatar, et y télécharger notre esprit, explique de sa voix robotique Dmitry Itskov. Nous serions alors capables de vivre plusieurs centaines de milliers d’années, voire de devenir immortels.»
Le Russe est aujourd’hui à la recherche d’argent et de soutien: il veut créer plusieurs laboratoires sur la planète pour faire aboutir son projet. Celui-ci s’échelonne en quatre étapes, durant lesquelles différents types d’avatars seraient développés. Le premier, prévu pour 2020, serait un robot aux traits humains commandé à distance par une personne en chair et en os dont le cerveau serait relié à des capteurs, comme dans le film de James Cameron. Les versions suivantes, prêtes en 2025 et 2035, permettraient de greffer son cerveau sur l’androïde. L’organe entier puis, dans un second temps, uniquement les données qu’il contient. La dernière étape a pour but de s’affranchir complètement de toute existence matérielle, en remplaçant l’androïde par un avatar holographique. Il serait disponible en 2045.
Appui d’éminences scientifiques. Les idées de Dmitry Itskov paraissent folles, dignes de la plus pure science-fiction hollywoodienne. Pourtant, le Russe a rallié autour de son projet une série de personnalités qui donne une crédibilité jamais vue auparavant à ce genre de projets. Des éminences scientifiques comme Marvin Minsky, un spécialiste en intelligence artificielle du MIT, George Church, un professeur de génétique et pionnier de la génomique à Harvard, et José Carmena, un professeur de neuroscience à l’Université de Berkeley, qui développe des prothèses contrôlées par le cerveau, ont participé à la conférence. D’autres membres du monde high-tech, comme Ray Kurzweil, le directeur de l’ingénierie de Google, Martine Rothblatt, une pionnière de l’impression 3D d’organes, et Peter Diamantis, le célèbre homme d’affaires qui se trouve à l’origine des vols touristiques dans l’espace, étaient également présents. Absent lors de la conférence, le dalaï-lama soutient officiellement Initiative 2045.
La conférence de juin à New York avait pour but d’exposer les avancées scientifiques qui soutiennent les thèses du groupe. Le Japonais Hiroshi Ishiguro, professeur de robotique à l’Université d’Osaka, a présenté des androïdes qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des êtres humains. Sir Roger Penrose, un mathématicien de l’Université d’Oxford, a expliqué comment il était possible de télécharger la conscience dans un cerveau électronique à l’aide de la physique quantique. Ken Hayworth, un ancien chercheur de Harvard aujourd’hui à la tête d’une fondation qui travaille sur la préservation du cerveau, a développé un concept radical: il compte se suicider pour préserver son cerveau. «Mon esprit serait alors intact, précise-t-il. Et je pourrais simplement attendre que la technologie nécessaire existe pour le télécharger dans un avatar.» Il s’agissait là de la deuxième conférence d’Initiative 2045 – la première a eu lieu à Moscou en 2012. Le lieu de la prochaine n’est pas encore connu. Le Russe s’intéresse notamment à Genève. «Plusieurs scientifiques suisses nous ont vanté les avantages de la ville, nous sommes en train d’y réfléchir», dit Dmitry Itskov.
Le Russe n’est pas un scientifique, loin de là. En 1999, il a créé un empire médiatique en ligne, New Media Stars, en compagnie de Konstantin Rykov, un ancien camarade de classe à la Plekhanov Russian Academy of Economics. Ils sont aujourd’hui millionnaires, certains disent milliardaires.
C’est en 2005 que l’homme a décidé de partir à la quête de l’immortalité: «Je regardais mon ordinateur portable, dans le vide. Et je me suis projeté dans le futur: j’étais riche, mais je me sentais vide. J’avais besoin de quelque chose de plus profond. Ma vie ne pouvait pas s’arrêter là.» La réflexion débouchera sur la création d’Initiative 2045.
Composante spirituelle. Son projet d’immortalité contient aussi une composante spirituelle: «Une fois immortels, sous forme robotisée, nous n’aurons plus besoin de nous soucier de questions matérielles. Nous pourrons nous concentrer sur des problèmes plus importants, comme chercher à comprendre quelle est notre place dans l’Univers.» Cela permettra aussi d’éradiquer la pauvreté dans le monde, selon lui. Car la création de ces avatars ne se limitera pas à une poignée d’élus: «L’immortalité sera démocratisée. Si elle ne l’était pas, personne n’accepterait un tel projet. Les gens protesteraient et se révolteraient.» Les avatars du professeur Hiroshi Ishiguro coûtent aujourd’hui 300 000 dollars. Mais ils ne coûteraient que quelques milliers de dollars s’ils étaient produits en série.
Dmitry Itskov est-il un doux rêveur ou un pionnier visionnaire? Richard Walker, le représentant de Blue Brain, un ambitieux projet de l’EPFL qui cherche à recréer un cerveau synthétique – et qui fascine Dmitry Itskov –, n’y croit pas: «Des affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires. Et il ne les présente pas. Ici, à Lausanne, nous allons être capables, dans dix ans, de simuler quelques secondes d’activité cérébrale. Et Dmitry Itskov cherche à créer, dans trente ans, des avatars sur lesquels implanter notre conscience… Je suis très, très sceptique.»
Absurdité optimiste ou non, le nombre de scientifiques, d’hommes d’affaires et de technophiles qui se penchent sur la question de l’immortalité explose. «Il y a quelques années, je faisais partie des seules personnes à m’intéresser à ce sujet, se souvient Aubrey de Grey, un chercheur britannique qui travaille sur l’arrêt du vieillissement des cellules humaines depuis les années 90. Aujourd’hui, il y en a bien plus. Cet engouement est dû aux récentes avancées technologiques: nous avons désormais les moyens de parvenir à l’immortalité.» Ce pionnier de la vie éternelle est convaincu que le premier homme qui vivra mille ans est déjà né.
HISTOIRE
La science de l’immortalité
Les scientifiques ont de tout temps cherché à percer le secret de l’immortalité. Les premiers essais datent de 2500 av. J.-C.: un papyrus retrouvé en Egypte contient une recette pour une crème qui permet de rester jeune à jamais. En l’an 320, un alchimiste chinois nommé Ge Hong rédige un traité nommé le Baopuzi, dans lequel il donne la recette d’élixirs magiques prodiguant la vie éternelle.
Au XVIe siècle, Francis Bacon, l’inventeur de la science moderne, publie un livre appelé The History of Life and Death or The Prolongation of Life, qui présente des conseils pour devenir immortel. Il prône par exemple le port de caleçons longs, ce qui permettrait de vivre plus longtemps. Convaincu que la neige peut conserver un corps, il en fourre une poule, espérant prolonger sa vie.
En 1914, le biologiste russe Elie Metchnikoff estime que les humains se font empoisonner par leurs bactéries intestinales. Et boit du lait caillé pour en limiter la quantité dans son propre estomac. A la même époque, le chirurgien franco-russe Serge Voronoff implante, lui, des morceaux de testicules de singes dans le scrotum d’hommes pour augmenter leur espérance de vie et dynamiser leurs performances sexuelles. Il aurait opéré plus de 300 personnes en l’espace de cinq ans. En Autriche, Eugen Steinach réalise des vasectomies pour qu’«au lieu de donner vie à des enfants, les vieillards se donnent la vie à eux-mêmes». Ces théories ont toutes été prouvées erronées.