Décodage. Un nouveau modèle émerge, très populaire auprès des adolescents. Que révèle-t-il de notre société et de notre érotisme?
Pour réussir dans l’industrie du hip-hop, si vous êtes une femme, un argument de poids: des fesses proéminentes. Coup sur coup, la très populaire chanteuse Nicki Minaj et la starlette Kim Kardashian (épouse du rappeur Kanye West) ont sorti l’artillerie lourde. La première sur la pochette de son nouveau single, Anaconda, la seconde, comme à son habitude, en mettant en scène sa vacuité dans des selfies et une séance photo sur une plage thaïlandaise au printemps dernier. Deux assistants avaient pour tâche de déposer du sable sur son précieux postérieur, que l’on dit assuré pour 21 millions de dollars.
Corps impossibles
Nous assistons à l’émergence de nouveaux canons de beauté, massivement diffusés par la culture hip-hop. Un héritage de la black music et de la blaxploitation, ce cinéma afro-américain né des années 70? Cette beauté «noire» d’aujourd’hui est tout de même très «claire» (donc plus acceptable par le marché). Soyons clairs: il ne s’agit pas d’avoir de grosses fesses. Il faut en plus qu’elles soient aussi consistantes que les pectoraux de Kellan Lutz, nouvel Hercule de Hollywood. Des fesses de mamma mais infantiles, candides comme des joues de bébé. Le tout accompagné de cuisses fines, d’une taille étranglée et d’une poitrine généreuse. Un corps «impossible», probablement le fruit de la chirurgie «esthétique» (malgré les démentis des dames en question, radiographies à l’appui). Une croupe qui nécessite des injections répétées, une attention de tous les instants.
Il y a eu, dans l’Antiquité, la Vénus callipyge. Une image codifiée, maintes fois reprise, dans laquelle la déesse de l’amour, soulevant son péplos pour regarder ses fesses, les dévoilait aux spectateurs. Une Minaj ou une Kardashian ont mis la barre plus haut. Il faudrait chercher du côté de Rubens, ou des statuettes de la fertilité du néolithique, pour trouver quelque chose de semblable. Or, chez le peintre flamand, la chair s’effondre (c’est la graisse baroque). Quant aux déesses de la fertilité, elles arboraient un ventre proéminent. Les fesses hyperboliques de 2014 rappellent plutôt les architectures vestimentaires des robes du XIXe siècle, les célèbres faux culs, notamment ceux que l’on appelait «strapontins». Aujourd’hui, les armatures métalliques ont été remplacées par des implants. Les baleines sont intérieures.
Assises politiques
Pourquoi cette surenchère? L’hyperféminité est avant tout là pour rassurer les mâles sur leur statut, dans une société «mouvante». Dans le monde du hip-hop, impossible de confondre les femmes et les hommes, aussi caricaturaux les uns que les autres. Peut-on se réjouir alors d’une féminité qui ose s’imposer et ébranler le cadre trop rigide de la beauté occidentale? Un étendard qui dirait la revanche des soumis, des exclus du capitalisme blanc et sexiste? En un mot, ces fesses sont-elles politiques? Nicki Minaj, la Lady Gaga noire, diablement intelligente, a cette habileté. Faisons-lui crédit. Après tout, les paroles de ses chansons affichent sa liberté sexuelle. «Ces fesses, vous ne les aurez pas», nous dit-elle en substance. En campant le cliché de la «bombasse», elle se l’approprie, et en montre le ridicule. C’est un pied de nez au désir des machos qui voudraient en faire un objet.
Kim Kardashian, en revanche, a fait de son postérieur son principal argument de «vente». A force de le prendre pour une lanterne, elle finira soit par dégonfler, soit par éclater, comme le crapaud de la fable. «Tu les trouves jolies, mes fesses?» demandait Brigitte Bardot dans Le mépris. Oui, encore plus lorsqu’elles sont spirituelles.