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Les deux visages de la collecte de fonds pour l’humanitaire

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Jeudi, 21 Août, 2014 - 05:58

Enquête. Les employés d’une société mandatée par des ONG critiquent leurs conditions de travail. Des corrections ont été exigées pour améliorer la situation.

Salaires peu élevés. Heures supplémentaires à tout va. Pression intense. Corris serait-elle prête à tout pour arriver à ses fins? Cette société, qui sous-traite la collecte de fonds pour la plupart des organisations non gouvernementales (ONG) en Suisse, détient une réputation peu compatible avec l’identité bénévole, humanitaire ou militante de ses mandataires. En cause, les conditions de travail imposées à ses employés. Des méthodes discutables qui auraient été récemment revues. Vraiment? A en croire les jeunes collaborateurs, la situation n’est certes plus aussi mauvaise qu’auparavant. Mais ils sont encore nombreux à déchanter après quelques jours passés à battre le pavé.

Un rôle intenable

Romain* est hors de lui. En ce début de juillet, il entame son troisième jour en tant que dialogueur, ce poste qui consiste à trouver de nouveaux adhérents et fonds. Un rôle qu’il ne va pas jouer longtemps. «C’est infernal, ils ne relâchent jamais la pression. Les pauses sont rarissimes et les journées peuvent se prolonger tant que tu n’as pas obtenu ton quota quotidien de cinq signatures. Si nous ne remplissons pas cet objectif, nous sommes rapidement hors-jeu.» Las, Romain démissionne au bout d’une semaine. Céline* a elle aussi renoncé à son poste après quelques jours seulement. «Au-delà de la pression, je ne supportais pas l’image que cela me renvoyait de moi-même. Je me suis engagée pour défendre des ONG, pas pour vendre des aspirateurs. Or tout tourne autour de l’argent. Nous sommes par ailleurs poussés à viser un public cible, ce qui, soyons honnêtes, revient souvent à de la drague. Dans ces conditions, je préfère travailler à la Migros, vendre du fromage et être en paix avec ma conscience.»

Bien qu’elles ne soient pas les premières, ces récentes critiques surprennent. Car elles ne coïncident pas avec les mesures fraîchement exigées à Corris. «Nous avons lancé, en juillet 2013 et en collaboration avec d’autres ONG, une discussion intense avec la direction de Corris au sujet des conditions de travail», note Stella Jegher, membre de la direction de la section suisse d’Amnesty International. «De nouveaux contrats ont ainsi pu être introduits au mois de juin dernier.» Amélioration au niveau de l’emploi du temps, rémunération des heures supplémentaires, possibilité d’obtenir un contrat de durée indéterminée après trois mois. «Corris a fait contrôler la compatibilité de ses nouvelles normes par un spécialiste du droit du travail externe et indépendant, assure la porte-parole d’Amnesty International. Nous leur faisons donc confiance. Nous continuerons toutefois à suivre attentivement les modalités qui leur sont imposées.» Tant mieux. Car le risque pour les ONG de voir leur image se ternir par la faute de campagnes de collecte contestables existe. Mais qu’importe. Les organisations s’y résignent. Et acceptent l’écart qui se dessine entre les causes qu’elles défendent et la récolte de fonds. Un recul indispensable qu’il n’est cependant pas toujours évident d’afficher.

Une certaine distance

Accepter que la recherche de membres en face à face relève davantage du marketing que du militantisme est en effet le défi majeur auquel la plupart des recruteurs sont confrontés. «Les personnes qui sont là pour des principes, humanitaires ou autres, et pour défendre une cause, sont celles qui tiennent le moins longtemps», confirme Julien*, ancien employé de Corris. Arrivé de France il y a deux ans, ce jeune homme de 22 ans est aujourd’hui chef d’une équipe de dialogueurs de Greenpeace. Il adore son métier, qu’il décrit comme «la profession la moins routinière du monde». Mais il l’admet, «c’est de la vente, rien d’autre».

Les dialogueurs de Greenpeace sont toutefois dotés d’un statut clair. «Au sein de notre organisation, le poste de recruteur est reconnu comme un métier en tant que tel. Nous recevons un salaire fixe, n’avons pas de quota minimum et portons le blason de l’organisation, tout en restant distincts des militants.» Même procédé chez Médecins sans frontières (MSF) qui, elle aussi, confie ses collectes de fonds à des recruteurs engagés à l’interne. «Nous avons toutefois recours aux services de Corris pour la recherche d’emplacements», clarifie Laurent Sauveur, directeur de la communication et de la recherche de fonds pour MSF.

Un business comme un autre

Plutôt que de dénier la facette de «sale boulot» du street fundraising, Corris ne devrait-elle alors pas jouer la carte de l’honnêteté? Reconnaître qu’il s’agit d’un outil de marketing, contradictoire aux valeurs humanitaires mais indispensable à la récolte de fonds? Car ce n’est plus un secret pour personne. La collecte de dons est devenue à son tour un business. Experte en la matière, Corris a bien grandi depuis sa création en 1995. Elle compte une soixantaine de collaborateurs internes fixes et environ mille employés temporaires au service externe. Forte de ses multiples mandats, elle monopolise aujourd’hui la quasi-totalité de ce marché florissant.

Un milieu qui prospère, mais pour combien de temps? «Les villes arrivent à saturation, répond Julien*. Les communes nous autorisent à installer nos stands, mais toujours aux mêmes endroits. Les passants prennent l’habitude de nous voir et il est difficile de trouver de nouveaux adhérents.» Résultat, Greenpeace a récemment réduit ses actions de collecte en ville d’une par semaine à une par mois.

La sursollicitation de la population ne devrait pourtant pas mettre un terme à ce moyen de financement et de recrutement. La nécessité pour les ONG de revendiquer leur indépendance à l’égard des pouvoirs publics en fait un enjeu stratégique qui ne saurait disparaître ainsi. «Il s’agit, selon les organisations, d’un outil majeur ou en tout cas intéressant, développe Laurent Sauveur. Nos résultats ont certes baissé, mais, en comparaison avec d’autres pays, le face-à-face a encore de belles années devant lui.» A condition que les intéressés veillent à ce qu’il reste, ou redevienne, un atout propre à valoriser l’image de marque des ONG.

* Prénom d’emprunt

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