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Fiscalité des entreprises: les vrais gagnants de la réforme

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:59

Décodage. Pour garder un régime attractif pour les multinationales, le Conseil fédéral veut baisser le taux d’imposition pour toutes les entreprises. Les principaux bénéficiaires économiseront des dizaines de millions. Même s’ils n’avaient rien demandé.

Yves Genier et François Pilet

La réforme de la fiscalité des entreprises va rapporter des dizaines de millions chaque année à Swisscom, Migros et Coop. Les réductions fiscales accordées à ces entreprises, pour ne prendre que le trio de tête des plus gros bénéficiaires, se monteront à près de 200 millions de francs par an si le projet présenté par le Conseil fédéral voit le jour, comme prévu, en 2019.

Ne cherchez pas cette information dans le «rapport explicatif» de 172 pages publié par le Conseil fédéral, le 19 septembre dernier, qui détaille les conséquences de la réforme de la fiscalité des entreprises. Elle n’y figure nulle part.

Les recherches de L’Hebdo le confirment pourtant: une baisse à 16% du taux moyen d’imposition sur le bénéfice correspond à une ristourne annuelle de 75 millions de francs rien que pour Swisscom. De même pour Migros et Coop, qui verront leurs ardoises fiscales fondre de 30 millions de francs chacune, au bas mot. Le groupe Raiffeisen et la Banque cantonale vaudoise économiseront également plus de 30 millions de francs. «Cela permettra aux entreprises bénéficiaires de réaliser des profits plus élevés», observe Edgar Brandt, fondateur de la société d’audit homonyme à Genève.

Détail piquant: ces sociétés n’avaient jamais réclamé de baisse d’impôts. «Depuis vingt ans que je travaille dans l’entreprise, le niveau des impôts sur le bénéfice n’a jamais été un thème de discussion», reconnaît Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom.

Les pressions de l’Union européenne et de l’OCDE ont rendu cette réforme indispensable: contraint de mettre fin à la pratique des rabais fiscaux offerts jusqu’ici par les cantons aux multinationales, le Conseil fédéral a choisi d’adopter un taux d’imposition unique, qui devrait se situer à 16% en moyenne au lieu des 21% actuels, d’ici à 2019. Ce tarif, qui pourra varier selon les cantons (Genève et Vaud visent des taux voisins de 13%), s’appliquera à toutes les entreprises, quels que soient leur provenance ou leur type d’activité.

Vases communicants

Conséquence: la facture des sociétés internationales augmentera, et celle des sociétés suisses diminuera. Ce jeu de vases communicants provoquera une perte de rentrées fiscales estimée à 3,5 milliards de francs, qui devra être compensée par des économies dans les budgets de la Confédération et des cantons.

Dans cette nouvelle équation fiscale, les entreprises se rangent en trois catégories. La première – celle des perdants – regroupe les multinationales étrangères disposant d’un siège en Suisse comme Procter & Gamble ou Starbucks. Elles devront dire adieu aux statuts spéciaux dont elles pouvaient profiter jusqu’ici, pour rejoindre le nouveau taux ordinaire.

Seconde catégorie: les sociétés suisses très actives à l’exportation, à l’image de Nestlé ou de Bobst. Elles en profiteront, mais seulement de manière limitée. Pour elles, le taux d’imposition en Suisse n’est qu’un facteur parmi d’autres, puisqu’une part souvent importante de leurs bénéfices est taxée dans d’autres juridictions, à des taux différents.

La troisième catégorie est celle des gagnants. Elle réunit les grandes entreprises suisses, actives principalement sur le marché intérieur. Pour elles, le régime ordinaire d’environ 21% s’applique jusqu’ici pleinement, et le passage à un nouveau taux de 16% aura des conséquences sonnantes et trébuchantes.

Les PME peuvent aussi être rangées parmi les gagnants, avec un bémol toutefois. Beaucoup de petites entreprises de moins de 40 ou 50 employés ne paient en effet que très peu, voire pas du tout d’impôts sur le bénéfice. «Peu d’entreprises de cette taille réalisent des bénéfices substantiels», complète Edgar Brandt.

Trio gagnant

Au final, le trio de tête des plus grands bénéficiaires de la réforme est donc, dans l’ordre des chiffres d’affaires: Swisscom, Coop et Migros. Suivent des entreprises comme l’importateur de voitures Amag, le distributeur Manor ou des sociétés de construction comme Implenia ou Ammann Group. Les banques principalement actives en Suisse, comme Raiffeisen ou les établissements cantonaux, en profiteront aussi largement.

Il est possible d’estimer de manière précise le montant des économies fiscales dans le cas des entreprises cotées en Bourse (ce n’est pas le cas d’Amag, de Manor ou d’Ammann Group, par exemple) en se basant sur leurs résultats de 2013. Il suffit d’additionner le bénéfice net aux impôts payés, puis de diviser le total par le montant des impôts. Le résultat correspond au taux d’imposition effectif. Des retouches peuvent ensuite être apportées selon la situation propre à chaque entreprise.

Ainsi, pour Swisscom, «une baisse du taux d’imposition de 5% correspondrait à une réduction de la charge fiscale annuelle d’environ 75 millions de francs», indique Christian Neuhaus, confirmant les estimations de L’Hebdo. De même, Migros estime que sa charge fiscale se réduirait d’environ 30 millions de francs, passant de 175 à 145 millions.

Coop indique n’avoir «pas encore pu analyser les réglementations prévues en détail», et n’a pas souhaité s’exprimer. Selon nos estimations, la manne apportée par la réforme atteindrait 39 millions de francs par an.

Cadeau cantonal

Parmi les principaux bénéficiaires du secteur bancaire figurent le groupe Raiffeisen et la Banque cantonale vaudoise (BCV). Pour la première, le pactole se monterait à environ 35 millions. «Nous sommes en train d’en analyser les conséquences, il est encore trop tôt pour nous prononcer là-dessus», indique sa porte-parole Sylvie Pidoux.

Deuxième établissement cantonal du pays, la BCV serait le principal bénéficiaire dans cette catégorie puisque, du fait de son statut, sa consœur zurichoise ne paie pas d’impôts sur le bénéfice. En 2013, la BCV avait versé 89 millions de francs d’impôts, ce qui correspond à un taux effectif de 23%. Or, cadeau supplémentaire, le gouvernement vaudois a déjà fait savoir qu’il prévoyait de faire passer le nouveau taux non pas à 16%, mais à 13,7%, dans le but de conserver son attractivité pour les sièges de multinationales. Une telle réduction représenterait plus de 42 millions de francs d’économie d’impôts pour la BCV.

«Le projet final au niveau fédéral et les dispositions d’application dans le canton n’ont pas encore été adoptés, et il est trop tôt pour se prononcer en détail sur les effets de cette réforme», indique son porte-parole, Jean-Pascal Baechler. La banque insiste toutefois sur le fait «qu’une éventuelle diminution du montant des impôts ne bénéficierait pas à la BCV, mais à ses actionnaires, notamment le canton, qui l’est à hauteur de 67%».

Même une banque tournée vers l’étranger pourrait en bénéficier. Julius Bär, l’un des plus grands établissements de gestion de fortune du pays, pourrait économiser quelque 26 millions de francs d’impôts. Interrogée, la banque s’est plongée dans ses calculs mais n’a pas confirmé, ni infirmé, l’estimation de L’Hebdo.

Vive les niches

Les entreprises ne bénéficieront pas uniquement de la baisse du taux moyen d’imposition de leurs bénéfices. Si le Conseil fédéral a dû céder sur les statuts spéciaux, il s’est bien gardé de toucher aux autres niches fiscales existantes. La réforme permettra même d’en ajouter de nouvelles.

Ainsi, les sociétés disposant de beaucoup de capital investi, par exemple dans leur parc immobilier, pourront déduire de leur bénéfice des intérêts théoriques. La société se verra ainsi récompensée pour avoir investi dans ses propres murs plutôt que de distribuer cet avoir à ses actionnaires. «Les bénéficiaires devraient d’abord se recruter parmi les entreprises familiales et les groupes horlogers», affirme Jacques Kistler, responsable fiscalité chez Deloitte.

Avantage supplémentaire: elles n’auront plus à payer le droit de timbre lorsqu’elles augmentent leur capital.

Les entreprises suisses pourront continuer, comme aujourd’hui, de comptabiliser des réserves latentes qui échapperont à l’impôt. Sauf si ces actifs sont vendus avec bénéfice. Le maintien de ce système visera «surtout les sociétés étrangères qui s’établiront en Suisse, puisque les entreprises indigènes bénéficient déjà de ce système», ajoute Jacques Kistler.

Enfin, les sociétés holdings pures, celles dont l’unique raison d’être est de collecter les profits de leurs filiales, ne devront plus payer d’impôts sur les gains qu’elles perçoivent. Cette mesure est destinée à leur permettre d’accroître leur bénéfice, et donc leurs dividendes, qui pourront ainsi être davantage taxés lors de leur distribution. Pour Jacques Kistler, cette mesure «doit favoriser les holdings basées en Suisse».
 


Pour les banques: des pertes déductibles

Le projet de réforme fiscale fait une fleur très importante aux grandes banques. La déduction des pertes, aujourd’hui limitée à sept ans, deviendra illimitée.

Ad vitam æternam. Si le projet voit le jour comme prévu, d’ici à 2019 les banques pourront déduire de leurs impôts leurs pertes passées, sans aucune limite de temps. Dans le régime actuel, ces déductions sont limitées à 7 ans, ce qui ne leur permet généralement pas de les écluser en totalité.

En théorie, ce changement s’applique à toutes les entreprises. Dans la pratique, les grandes banques en sont les principales bénéficiaires. Du fait de leur garantie d’Etat implicite, elles sont en effet les seules à pouvoir accumuler des pertes par dizaines de milliards sans faire faillite. Cinq ans après la crise des subprimes, UBS et Credit Suisse disposent encore aujourd’hui, à elles deux, des réserves accumulées de plus de 10 milliards de francs de pertes à faire valoir sous forme de réductions fiscales. Les deux banques ne paient plus d’impôts en Suisse depuis des années grâce à cela, au grand dam du fisc de Zurich. Or le délai de sept ans approche, et elles ne parviendront pas à écluser toutes ces pertes passées avant l’échéance. Désormais, cette limite ne sera plus un obstacle. Evidemment, ce chèque ne sera valable que sur les milliards de pertes de la prochaine crise financière. FP


Pharmas: Impôts réduits pour les brevets

Les entreprises possédant des droits de propriété intellectuelle seront moins taxées sur les revenus tirés de leurs découvertes. Nul besoin que celles-ci soient trouvées
ou développées en Suisse.

La «licence box», ou «boîte à brevet», est l’une des grandes innovations de la réforme. Elle permet de taxer à taux réduit les revenus tirés de la propriété intellectuelle tout en restant compatible, en principe, avec les règles de l’OCDE.

«La version proposée est plutôt étroite. Elle ne permet pas de réduire les impôts des revenus tirés des marques», relève l’avocat Pierre-Marie Glauser, de l’étude Oberson à Lausanne, et professeur de droit fiscal. Aussi, ce sont avant tout les sociétés détentrices de brevets qui en bénéficieront: les groupes pharmaceutiques comme Novartis et Roche, les entreprises de technologie médicale comme Medtronic ou des sous-traitants industriels comme Tornos.

Nul besoin toutefois que le brevet ait été enregistré en Suisse ni développé dans le pays. Il suffit que la société le maîtrise, soit par une «contribution déterminante», soit qu’elle en maîtrise les droits exclusifs. Mais aucune contrainte géographique n’est incluse dans le projet. Un médicament développé aux Etats-Unis par une entreprise domiciliée en Suisse peut ainsi faire l’objet d’un dégrèvement.

«Il n’est pas encore certain que l’OCDE accepte ce modèle de licence box», tempère cependant Pierre-Marie Glauser. L’organisation se penche actuellement sur la version britannique, dont la Suisse s’est fortement inspirée. Une validation sonnerait ainsi comme une forme d’approbation internationale. YG

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