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La chronique de Jean-François Kahn: frappes au Proche-Orient: silence, on répare les dégâts

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Jeudi, 9 Octobre, 2014 - 05:54

Il y a quelques mois, vous en souvenez-vous, il était question de frapper la Syrie. Pourquoi? Pour aider la rébellion en désarticulant l’appareil militaire du régime de Bachar al-Assad. Lequel était très concrètement soutenu par le Hezbollah aux ordres de l’Iran tête de pont de «l’axe du mal».

Or, à quoi assiste-t-on aujourd’hui? A des frappes militaires. Contre qui? Surprise: contre les rebelles islamistes syriens, avec l’accord tacite du régime de Bachar al-Assad qu’on a préalablement prévenu, dans l’espoir d’obtenir le soutien de l’Iran et, pourquoi pas, un renfort du Hezbollah.

Quand a-t-on assisté à un aussi rapide et aussi radical retournement de situation et d’alliance?

On fera remarquer que les rebelles syriens ne sont plus les mêmes. Qu’ils ont mal tourné?…

Mais c’est totalement faux. Oui, c’est vrai, tout a commencé dans la foulée des révolutions arabes par un vaste soulèvement civil, d’essence démocratique, contre un système cynique et dictatorial. Ce soulèvement, il aurait fallu le soutenir à ce moment-là. Ne serait-ce que pour faire oublier que Bachar al-Assad fut, un temps, notre chouchou au point d’être l’invité d’honneur d’un défilé du 14 Juillet. Mais voilà: l’insurrection syrienne fut peu à peu confisquée, puis militarisée, d’abord par l’Arabie saoudite, ensuite par le Qatar et la Turquie, qui ont, afflux de djihadistes à l’appui, financé et armé les groupes islamistes les plus implacables et les plus fanatiques. Ceux-ci, la dynamique aidant, se sont alors, peu à peu, imposés sur le terrain (al-Nosra, filiale d’al-Qaida et ses alliés d’abord, puis l’Etat islamique), et ont totalement marginalisé les petits groupes de l’opposition armée dite «modérée», dont la direction vient, au demeurant, d’être dissoute.

Lorsque les frappes occidentales contre Bachar al-Assad furent envisagées, en septembre 2013, la France poussant à la roue, la rébellion armée syrienne avait déjà, pour l’essentiel, territorialement s’entend, basculé dans le camp islamiste. Ses offensives contre les enclaves kurdes avaient commencé dès novembre 2012 et, quand Paris fit parvenir des armes à une fraction rebelle «acceptable», les islamistes radicaux s’en emparèrent manu militari. Si nous avions lancé ces frappes, les islamistes djihadistes, que nous combattons aujourd’hui et qui contrôlaient déjà 30% du pays, se seraient illico emparés au moins d’un autre tiers.

Notre alignement sur le Qatar nous a incontestablement conduits à ne prendre acte de la situation qui nous affole qu’avec un peu plus d’un an de retard. On admettra que j’ai tenté, à plusieurs reprises, de le souligner dans ces colonnes. Mais il était très difficile, hélas, de se faire entendre.

L’action militaire actuelle – dangereuse mais légitime – a donc, avant tout, pour objectif de réparer les dégâts provoqués par nos erreurs et nos aveuglements d’hier.

Réparer les erreurs, et donc les dégâts: n’est-ce pas, en fait, ce qui caractérise aujourd’hui toutes nos initiatives?

Pourquoi nous faut-il réintervenir en Irak? Pour réparer les conséquences absolument catastrophiques de l’intervention lancée par George Bush, qui a contribué à incendier l’ensemble de la région.

Pourquoi envisage-t-on de se réimpliquer en Libye en proie au plus indescriptible chaos? Pour réparer les conséquences tout aussi catastrophiques de notre calamiteuse intervention dans ce pays.

Et l’on pourrait remonter plus loin dans le temps:

al-Qaida est, en partie, l’œuvre de l’Occident puisque Ben Laden – comme Saddam Hussein d’ailleurs avant lui – fut un temps porté à bout de bras par la CIA.

Par rapport à ce monstre qu’est «l’Etat islamique», nous jouâmes également les docteurs Frankenstein: avons-nous mis en garde la Turquie, qui n’a cessé de favoriser l’émergence de ce gang criminel, alors même que ce pays est membre de l’Otan? Avons-nous tenté de regrouper l’opposition syrienne laïque et démocratique, dont une bonne partie avait refusé de basculer dans l’action armée? Non! Nous l’avons lâchée! Au moment où le Qatar mettait sa force de frappe financière et propagandiste au service, non pas des fous de Dieu mais des fous du diable, que faisions-nous? Nous lui offrions l’organisation de la Coupe du monde de football.

Résultat: nous en sommes réduits, aujourd’hui, à réparer des erreurs que, piteux, nous ne reconnaissons même pas.

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