Rencontre. Débarqué en trombe au Mondial de Paris, rendez-vous de l’industrie française de la voiture, le patron de Renault-Nissan en a profité pour faire l’éloge du nouvel Espace. En évitant de parler sur scène des véhicules électriques, dans lesquels le groupe a investi 5 milliards d’euros. L’occasion, ensuite, de faire le point avec lui sur cet enjeu «aux problèmes multiples».
Texte et Photos Luc Debraine Paris
Il est un des plus influents capitaines d’industrie du monde, incarnation même du capitalisme contemporain. Et de méthodes de management – mélange d’écoute à tous les niveaux et de décisions sèches – qu’il appliquera peut-être un jour au Liban, son pays d’origine, s’il décidait de se tourner vers la politique. Carlos Ghosn, 60 ans, est le patron depuis 2001 de l’Alliance Renault-Nissan: 300 000 employés, 8,3 millions de véhicules vendus l’an dernier et une position de numéro quatre mondial.
Alors que l’industrie française de la voiture se remet à peine d’une grave panne des ventes, Carlos Ghosn débarque jeudi 2 octobre au pas de course au Mondial de l’automobile à Paris. Le salon biennal, le plus fréquenté du monde avec 1,2 million de visiteurs, est l’écrin privilégié de Renault et de PSA Peugeot-Citroën. Le stand de Renault est le plus vaste, le plus spectaculaire aussi avec ses collines artificielles et ses globes lumineux qui montent et descendent du plafond.
Soudain, devant une foule compacte de journalistes, le nouveau Renault Espace déboule sur scène. L’Espace, le genre automobile inventé par le constructeur au losange il y a trente ans, longtemps symbole des familles nombreuses, mais actuellement laissé sur le bas-côté des statistiques de ventes. Le nouveau véhicule, anguleux, plutôt massif, s’arrête pile devant l’estrade constellée de centaines de flashs. Carlos Ghosn, petit, nerveux, en sort fissa pour vanter la nouvelle génération de cette «icône». Elle n’est plus un «monospace», terme démodé, mais un «crossover» qui unit les architectures du break pratique et de la berline statutaire.
Costume gris anthracite, cravate bleu nuit, manches de chemise brodées avec ses initiales, Carlos Ghosn fait l’éloge de la nouvelle venue. Pas trace, sur scène, des véhicules électriques dans lesquels l’Alliance Renault-Nissan a investi 5 milliards d’euros. Dans un coin, un prototype, pardon, «démonstrateur» selon le jargon maison, vient d’être dévoilé. L’Eolab revendique 100 avancées technologiques et le soutien de l’argent de l’Etat français pour afficher une consommation d’un litre aux 100 km. Tout se passe comme si Renault, déçu par les faibles ventes de ses voitures électriques, cherchait une autre direction, celle de l’ultrabasse consommation grâce à l’union de l’essence et de batteries lithium-ion. Drôle de communication.
Mais l’occasion d’en avoir le cœur net arrive peu après la présentation de l’Espace, lors d’une table ronde à laquelle L’Hebdo a été invité en présence speedée de Carlos Ghosn.
Renault présente au Mondial de l’automobile un futur véhicule hybride rechargeable à basse consommation. Est-ce à dire que vous renoncez à votre effort sur les voitures électriques?
N’allez pas penser que nous réfléchissons à une technologie au détriment d’une autre. Nous avons dit que nous allions prendre le leadership des voitures électriques. Cela ne signifie pas que nous fermons la porte à d’autres solutions, comme les voitures hybrides rechargeables, ou l’amélioration des moteurs à essence et diesel. Notre démonstrateur Eolab, ici au Mondial de l’automobile, montre que Renault explore la direction du véhicule hybride à bas coût. Le futur s’ouvre sur des technologies multiples, sans exclusives.
Pour quelles raisons?
Ces solutions techniques sont plus ou moins pertinentes selon les réglementations, la fiscalité ou les primes incitatives à l’achat d’une voiture propre dans un pays particulier. Ces lois et taxes exercent une grande influence sur la promotion d’une technologie plutôt que d’une autre. C’est bien pour cette raison que nous avons en Europe un taux de motorisations diesel compris entre 60 et 70%. Alors que cette même proportion est négligeable aux Etats-Unis ou au Japon, qui ont plutôt tendance à promouvoir les véhicules électriques. Dès lors, nous cherchons dans plusieurs directions technologiques à la fois, pour s’adapter aux cadres légaux et fiscaux en vigueur. Nous pensons que les gouvernements pousseront de plus en plus les solutions à zéro émission. Ce qui se passe en Chine en est la parfaite illustration. Son gouvernement se bat contre la menace d’un déficit, mais il continue sa promotion des véhicules électriques. C’est le signe d’une volonté ferme de promouvoir des technologies propres.
Mais êtes-vous satisfait de vos ventes de voitures électriques chez Renault et Nissan?
(Tendu.) On me pose toujours cette question! Si vous me demandiez si je suis satisfait des ventes du Nissan Qashqai, je répondrais toujours non, même si elles sont excellentes! (Il finit par sourire.) Non, je ne suis pas heureux de ces ventes électriques. Nous attendons beaucoup mieux. Nous allons encore mettre de l’argent dans cette technologie, sans attendre un retour sur investissement. Le cas des véhicules électriques est très compliqué. Il ne dépend pas que des voitures en elles-mêmes. C’est un produit très spécifique. Il requiert par exemple une approche volontariste dans la vente. Vous comprenez qu’un vendeur est plus intéressé à négocier un véhicule traditionnel qu’une propulsion électrique. Il en vend beaucoup plus et en tire davantage profit. Nous devons lutter contre cette tendance.
Et les clients?
Une personne intéressée par une voiture électrique est toujours positivement impressionnée par le véhicule. Mais elle demandera toujours: «Où sont les bornes de recharge? Je sais que je ne parcours que 10 kilomètres par jour, mais comment faire si je veux partir en week-end?» Les insuffisances actuelles en matière d’infra-structure électrique sont un problème pour nous. Il n’est pas le seul. Mais aucun de ces problèmes ne représente un handicap majeur. Prenez le cas des Etats-Unis. Aujourd’hui, Nissan y est le premier constructeur de voitures électriques. Or, 80% de nos ventes électriques se concentrent sur seulement quatre villes: Atlanta, San Francisco, Los Angeles et Seattle. Et un tiers de ces 80% est le seul fait de la ville d’Atlanta.
Atlanta?
Oui, absolument, pas du tout San Francisco ou même la Silicon Valley, comme on aurait tendance à le penser. Cette ville dispose simplement d’une excellente infra-structure de bornes de recharge. Nous avons vendu 1000 Nissan Leaf à Atlanta au mois d’août! Ce qui nous encourage à penser que nous réaliserons bientôt les mêmes ventes à New York, Boston ou Chicago et ailleurs. Ce n’est qu’une question de temps.
Mondial de l’automobile, Paris, jusqu’au 19 octobre.
Carlos Ghosn
Né en 1954 au Brésil, d’origine libanaise, ce polytechnicien formé en France a mené l’essentiel de sa carrière chez Renault. Il a conduit l’alliance avec Nissan avant d’en prendre la tête en 2001.