Enquête. La concurrence fait rage sur le marché lucratif des petites annonces coquines. L’éditeur du «Matin» vient de lancer un nouveau portail, mais se heurte aux géants du secteur. Les prostituées n’ont que l’embarras du choix et affûtent leur stratégie marketing.
Angela de Fribourg pourrait en parler pendant des heures. Cette «superbe, fabuleuse blonde» à la «très belle poitrine naturelle» connaît tous les ressorts des petites annonces érotiques. Chaque jour, comme des centaines d’autres prostituées en Suisse romande, Angela organise sa stratégie selon la technique que les spécialistes du marketing appellent le «cross media» et qui consiste à utiliser au mieux les synergies des médias imprimés et de l’internet pour obtenir le maximum de visibilité.
Elle compte les appels reçus, le nombre de clients et mesure l’efficacité des canaux publicitaires en utilisant des numéros de portable différents pour chaque annonce. «Aujourd’hui, toutes les filles font ça», rigole Angela.
Depuis le mois de juin, Angela et ses consœurs peuvent ajouter un nouveau site à leurs campagnes publicitaires. Il s’agit de sexup.ch, le portail de petites annonces érotiques du groupe Tamedia Publications romandes, éditeur du Matin, de 24 heures et de la Tribune de Genève, notamment.
Jean-Paul Schwindt, son directeur ventes et marketing, explique que le groupe de presse souhaite répliquer la stratégie qu’il a déjà adoptée avec succès pour les annonces immobilières avec le site homegate.ch, les offres d’emploi avec jobs.ch ou les automobiles avec car4you.ch.
L’éditeur veut profiter de sa force historique sur le marché des petites annonces érotiques publiées dans les pages du Matin pour créer un portail internet spécialisé, qui, espère-t-il, rapportera plus et comblera la baisse inexorable du lectorat du quotidien. «Comme homegate.ch ou jobs.ch, sexup.ch cultive sa marque et son identité propre», note Jean-Paul Schwindt. Le site se présente comme «la référence en Suisse romande pour toutes les escorts, belles femmes, salons de massage et transsexuelles». Mais dans cette percée sur le marché des annonces érotiques sur l’internet, le groupe Tamedia se heurte à une myriade de concurrents bien installés.
Révolution sexuelle
Comme dans tant d’autres secteurs, les technologies de l’information ont bouleversé le plus vieux métier du monde, en mettant directement en contact l’offre et la demande, en supprimant des intermédiaires et en faisant baisser les prix. C’est le cas pour les petites annonces érotiques sur l’internet, trente fois moins coûteuses que dans la presse, et qui permettent à Angela de Fribourg de trouver des clients sans dépendre d’un salon.
En Suisse romande, sexup.ch vient se frotter aux deux poids lourds du marché: le site indépendant spécialisé sex4u.ch et le site généraliste de petites annonces anibis.ch, fondé par un informaticien de l’EPFL en 2001 et racheté huit ans plus tard par le groupe Ringier (propriétaire de L’Hebdo).
Par le nombre d’annonces et par sa notoriété, anibis.ch est un leader incontesté en Romandie. Y compris sur le créneau des annonces coquines. Sa section «érotique» en abrite 45 000, ce qui en fait la troisième catégorie la plus fournie après les automobiles (122 000) et l’immobilier (80 000).
Anibis étant conçu comme un site d’annonces généraliste, les publicités pour des prestations sexuelles ne diffèrent pas dans la forme des annonces pour le matériel informatique ou les voitures d’occasion. Il est possible de passer une annonce gratuitement, ou de payer entre 16 et 24 francs par semaine pour la faire apparaître en tête de liste.
Si elle intéresse tant les éditeurs comme Tamedia ou Ringier, c’est que l’affaire est lucrative. D’après nos estimations, Anibis réaliserait un chiffre d’affaires de plus de 20 000 francs par mois avec sa seule catégorie «Escort», qui compte plus de 400 annonces payantes sur un total de 3695.
Par sa forme, son fond noir et ses fiches détaillées qui comprennent des galeries de photos et la liste précise des prestations, le site sexup.ch de Tamedia s’inspire de l’autre grand nom des petites annonces de charme en Suisse romande, sex4u.ch. Ce site spécialisé, qui existe depuis plus de dix ans, représente le côté sombre du «business».
Son patron, Gilles Celotti, a eu affaire à la justice plus souvent qu’à son tour. Poursuivi pour usure, faux dans les titres et infraction à la loi sur les armes, le Vaudois de 45 ans a été condamné plusieurs fois à des peines avec sursis. Lors du dernier procès en date, il avait assuré ne tirer qu’un revenu très modique de son site. Juridiquement, celui-ci est opéré par une société enregistrée à Victoria, aux Seychelles, avec une succursale à Montreux. Gilles Celotti n’a pas répondu à nos demandes d’entretien. Sex4u héberge quelques centaines d’annonces, certaines gratuites et d’autres payantes, entre 20 et 150 francs par semaine.
Sexup.ch est encore loin derrière ses concurrents. Trois mois après son lancement, il héberge moins de 200 annonces. Sur le plan des fonctionnalités, le site de Tamedia ne va pas aussi loin que Sex4u, qui permet aux internautes de laisser des «j’aime» et des commentaires pour chaque annonce, dans la tradition des réseaux sociaux. Des icônes indiquent les commodités disponibles, comme un parking proche, la climatisation ou un logo spécial «personnes âgées bienvenues».
Rien n’est gratuit sur sexup.ch. Le tarif normal est à 49 francs, et l’annonce «prémium» placée en haut de liste coûte 99 francs par mois. Ces montants laissent tout de même deviner un chiffre d’affaires prometteur d’environ 10 000 francs par mois. A cela s’ajoutent les annonces publiées chaque jour dans Le Matin sous la rubrique «Matin plaisirs», qui comprend une centaine d’annonces, la plupart richement illustrées. Celles-ci sont facturées au minimum de 72 francs par jour. Comptez 20 francs en sus pour la photo et encore 20 francs pour un fond rose.
A ce tarif, les deux pages et demie quotidiennes que publie Le Matin rapportent moins de 10 000 francs par édition, soit un montant bien inférieur à celui d’une page de publicité traditionnelle. L’avantage pour Tamedia est d’y faire la promotion de son site.
Angela de Fribourg et Valentine de Bulle, habituées de Sex4u et d’Anibis, font partie des premières utilisatrices de Sexup. Valentine résume: «Anibis marche très bien, mais cela ne sert à rien de payer 16 francs pour apparaître en haut.» Même payantes, les annonces sont vite englouties sous les suivantes, et «la version gratuite apporte déjà assez de clients», se félicite la «fabuleuse blonde» fribourgeoise.
Travailler dans la journée
Ce qu’apprécie le plus Angela dans l’offre de Tamedia, c’est de pouvoir passer ses annonces en même temps sur l’internet et dans l’édition papier du Matin. Les annonces sur le web apportent des clients toute la journée, mais surtout le soir. «Les gens lisent le journal le matin, observe Angela, ce qui me permet de travailler dans la journée, comme je le préfère.»
Angela confie une subtilité du marketing coquin: alors que les photos sont un passage obligé pour les annonces sur l’internet, elle préfère ne pas en mettre dans Le Matin. «Les annonces avec photo apportent des dizaines de coup de fil, mais les clients ne viennent pas, explique Angela. Ils veulent juste entendre la voix.» Curieusement, une annonce sans photo lui apporte plus de clients. Angela continuerait volontiers de dévoiler ses stratégies publicitaires, mais voilà que son deuxième téléphone se met à sonner.
Certifié conforme?
Sur le Net, tout est affaire de confiance. Les sites de petites annonces de charme redoublent de créativité.
C’est une des grandes règles du commerce électronique: l’internaute doit pouvoir juger sur pièce avant de conclure. Qu’il s’agisse d’un appartement en sous-location, d’une caravane d’occasion ou d’une prestation sexuelle tarifée: une galerie d’images bien fournie est indispensable pour sceller l’affaire.
Le nouveau portail sexup.ch et son concurrent sex4u.ch le savent mieux que personne. Pour rassurer leurs visiteurs, les deux sites permettent d’apposer un logo «Certifié» ou « Conforme» sur les photos, genre tampon officiel. Que recouvre cette promesse? Pas grand-chose, en réalité.
Jean-Paul Schwindt, directeur marketing de Tamedia Publications romandes et responsable du site sexup.ch, reconnaît que le logo «Conforme» n’a pas beaucoup à voir avec l’authenticité des images mises en avant par ses clientes. «Ce logo indique que la personne qui a passé l’annonce s’est rendue dans un de nos guichets, explique Jean-Paul Schwindt. Cela signifie que l’annonce n’est pas anonyme.» Le concurrent sex4u.ch est plus explicite dans son affirmation, indiquant sur son site que «par ce logo, le vendeur de sex4u certifie que les photos sont originales et que l’annonce reflète la réalité». Les administrateurs du site ne disent pas comment ces images sont «certifiées», mais se montrent très fermes envers les internautes qui se permettent d’en douter sur le forum qui accompagne les annonces. «Si l’annonce contient le logo, alors c’est la réalité», affirme un des administrateurs, qui précise: «Cela fait partie de la nouvelle philosophie de sex4u.ch!»
Angela de Fribourg, qui passe ses annonces sur les trois grands sites romands, explique que les photos sont souvent l’occasion d’arnaques. Certains prestataires peu scrupuleux font miroiter à leurs clientes des books professionnels. Angela en a fait l’expérience avec un prétendu photographe qui lui a facturé 700 francs pour des images «horribles». «Il n’a pris que des clichés de mes fesses, ce qui ne m’apportait pas les clients que je recherchais.» Elle a finalement corrigé le tir avec son iPhone.
Les photos, peu ressemblantes, sont aussi un problème pour les clients. «Quand les clients découvre que la fille n’est pas jolie, ils sont souvent gênés et n’osent pas repartir», s’apitoie Angela.
Le sexe tarifé à l’heure numérique
Analyse. L’internet a rendu la vente et l’achat de prestations sexuelles plus faciles et plus sûrs. Peut-être les gouvernements censeurs devraient-ils cesser d’interdire l’industrie de la prostitution? Le survol mondial du magazine «The Economist».
A Berlin, la nouvelle application Peppr fournit la liste des prostituées les plus accessibles, avec leurs photos, leurs prix et leurs particularités physiques. En échange d’une taxe de 5 à 10 euros, les candidats peuvent organiser une rencontre. Peppr œuvre ouvertement en Allemagne, puisque la prostitution et sa publicité sont légales mais, même là où elle ne l’est pas, l’internet a transformé le commerce du sexe. Depuis toujours, prostituée et client aimeraient avoir des renseignements l’un sur l’autre avant de passer à l’acte: les clients veulent en savoir plus sur la qualité des services, les travailleurs et travailleuses du sexe sur les risques qu’ils ou elles prennent.
Les sites et applis spécialisés permettent désormais à l’information de circuler entre acheteur et vendeur, si bien qu’il est plus aisé d’embrasser la profession du sexe et moins risqué d’y travailler. Les pages web permettent aux professionnelles du sexe de faire leur pub et de fixer les rendez-vous en ligne; les commentaires des clients permettent à d’autres d’y aller en toute confiance. Même aux Etats-Unis, où la prostitution est illégale partout, sauf au Nevada, le sexe commercial a fait son entrée en ligne: pour contourner la loi, les serveurs sont localisés à l’étranger, les sites évoquent le «divertissement», leur contenu est de la «fiction», les utilisateurs recourent à des pseudonymes.
La quantité de données ainsi mises en ligne permet donc d’analyser cette partie moins connue du business du sexe, celle qui se déroule à l’abri des regards. Et l’on constate qu’il s’agit là d’une activité étonnamment similaire aux autres activités de services. Les caractéristiques personnelles des prostituées et le type de services qu’elles proposent influencent les prix qu’elles demandent; les spécialités de niche valent une surtaxe; le recours à l’Internet permet d’assouplir les horaires de travail et de se passer d’intermédiaires.
Profils documentés
Un site internet du genre AdultWork permet aux prostitué(e)s, qu’ils/elles soient indépendant(e)s ou travaillent en maison close ou pour une agence, de créer des profils à l’aide desquels les clients peuvent entrer en contact. Ces derniers font leur tri en fonction de l’âge, de la taille des seins, de l’origine ethnique, de l’orientation sexuelle et du lieu des ébats. Ils auront soigneusement vérifié le type de prestations offertes et les prix y afférents. D’autres sites rassemblent les commentaires de clients sur le genre, le prix et la qualité des services proposés. Sur le site britannique PunterNet, les clients décrivent la prise de contact, la rencontre, la personne. Et choisissent de recommander ou non.
Nous avons analysé 190 000 profils de professionnelles du sexe trouvés sur un site à vocation internationale (vu qu’il est américain, il refuse d’être cité et un avertissement sur sa page d’accueil affirme que tout n’est que fiction). Chaque profil comporte les critiques exhaustives de la clientèle. Les données remontent jusqu’à 1999, mais nous avons utilisé pour chacun des profils les données les plus récentes. Celles-ci concernent 84 villes de 12 pays, la plupart aux Etats-Unis, le reste dans des pays riches. Comme le site se concentre exclusivement sur les femmes, notre analyse ne tient pas compte des prostitués mâles, que l’on estime à un cinquième de la force de travail.
La tendance la plus saisissante est la chute du tarif horaire ces dernières années (voir graphique «Les prix chutent»). La crise financière qui a démarré en 2007-2008 est sûrement une explication. Vanessa, une escort-girl anglaise à temps partiel, constate qu’il peut se passer des semaines sans que son téléphone sonne: les hommes voient le sexe tarifé comme un luxe et c’est l’une des dépenses à laquelle ils renoncent en premier; même quand elle propose des rabais, les clients se font plus radins. Le tarif horaire d’une escort à Cleveland (Ohio), où le chômage a grimpé à 12,5%, s’est effondré.
Les immigrées cassent les prix
L’immigration massive est une autre cause de la chute des prix: quand le marché commence à saturer, les immigrées sont les premières à se louer au rabais. En Allemagne, les prix se sont fortement réduits depuis l’ouverture de l’UE aux pays de l’Est, plus pauvres. Sally, une escort-girl anglaise en préretraite qui exploite une maison close où des femmes mûres proposent leurs services, affirme que les Anglaises peinent à trouver du travail face à toutes ces Européennes de l’Est qui sont prêtes à sabrer les tarifs.
L’inexpérience est une autre raison de la chute des prix: les néophytes de la profession tendent à sous-estimer leurs services. Maxine Doogan, prostituée américaine et fondatrice de l’Erotic Service Providers Union, a fait ses armes sous la férule d’une femme mûre exerçant au Nevada, qui lui a enseigné quels services étaient standards, lesquels constituaient des extras et à quels tarifs il ne fallait pas déroger. A l’époque où Maxine s’est lancée, les services standards (sexe vaginal, fellation) valaient 200 dollars l’heure, l’équivalent de 395 dollars aujourd’hui. Mais la plupart des débutantes, dit-elle, ne demandent que 200 dollars de nos jours ou proposent des extras, parfois dangereux comme le sexe oral sans préservatif, sans tarifer le supplément approprié.
Le passage au marketing en ligne a probablement stimulé l’offre en attirant davantage d’autochtones dans la profession. Des femmes plus instruites et plus attrayantes, aux projets familiaux et professionnels assurés, sont plus enclines à entrer en matière depuis que la galipette payante est programmable en ligne. Le sexe «indoor» est plus sûr que dans la rue, et un appartement de location est plus discret qu’un bordel, de sorte qu’il y a moins de risques que la famille et les amis identifient la nouvelle source de revenus.
Cela dit, un vaste changement sociétal est de nature à réduire la demande – et donc les prix. Il est plus facile que par le passé de trouver du sexe à l’amiable, sans attaches: des applis telles que Tinder facilitent les rencontres à la sauvette; les sites comme Ashley Madison et Illicit Encounters favorisent l’adultère. Il y a moins de célibataires frustrés et moins d’hommes mariés condamnés à recourir à la prostitution.
Prestations particulières
Comme dans d’autres secteurs de l’économie, les clients qui demandent un service de niche payeront plus. Les travailleuses qui proposent le sexe anal ou les fessées gagnent en moyenne horaire 25 à 50 dollars de plus.
Le physique compte beaucoup. Les clients dont nous avons analysé les commentaires apprécient manifestement le stéréotype de beauté occidentale: mince sans être maigre, blonde, poitrine généreuse (voir tableau «L’apparence compte»). Les cheveux décolorés valent moins que de beaux longs cheveux blonds mais plus que toute autre couleur. Pour celles qui ont été peu dotées par Mère Nature, les implants mammaires sont un utile investissement. Entre des seins maigrichons et des bonnets D, le tarif grimpe de 40 dollars: autrement dit, une chirurgie plastique à 3700 dollars commence à être rentable au bout de 90 heures. Le fait que 12% des femmes soient décrites sur le site comme à la fois athlétiques, minces et aux seins richement pourvus (bonnet D) suggère que nombre d’entre elles ont choisi cette option.
Les tarifs varient également en fonction de la race et de la nationalité. Ce qui vaut une prime ici peut valoir une pénalité là. Selon nos pointages dans quatre grandes villes américaines et à Londres, les Noires gagnent moins que les Blanches. Mais à Kuala Lumpur, les Noires demandent très cher, tandis qu’à Singapour c’est le cas des Vietnamiennes. Et à Dubaï, ce sont les Européennes qui empochent le plus. Les marchés locaux trahissent d’autres bizarreries encore: une heure en compagnie d’une escort à Tokyo est bien moins chère qu’à Londres et New York, alors même que le coût de la vie est plus élevé au Japon. Peut-être parce que les prostituées qui se louent aux étrangers en anglais n’offrent pas les coûteux services que d’autres réservent à leurs compatriotes, y compris bain moussant et massages raffinés.
Diplômes appréciés
Les diplômes de hautes écoles permettent eux aussi de stimuler les tarifs. Une étude universitaire américaine a montré que, pour une semaine donnée, les prostituées diplômées gagnaient en moyenne 31% de plus que les autres. Il semble que les diplômées ne soient pas prêtes à travailler n’importe quand et considèrent leur activité sexuelle comme un appoint mais, en revanche, quand elles se mettent au turbin, elles voient plus de clients et plus longtemps. Ces clients tendent à être plus âgés et requièrent des traitements plus longs.
Pour les prostituées, le site internet remplit en partie les fonctions d’un poste de travail. Les forums en ligne remplacent la machine à café: les femmes y échangent des conseils sur les gageures quotidiennes que comporte le métier du sexe. Une des questions les plus débattues sur un forum concerne la marque de draps qui supporte le mieux les lavages fréquents. Une maman écossaise demande comment s’y prennent d’autres prostituées pour conjuguer leur activité professionnelle et les soins à leur enfant, vu que les rendez-vous sont souvent pris au dernier moment, trop tard pour trouver une baby-sitter. Les femmes qui envisagent d’entamer une carrière dans le sexe demandent souvent l’avis de leurs aînées dans le métier.
Bon nombre de celles qui contribuent à de telles discussions ont d’autres emplois, souvent à temps partiel, et font l’éloge d’une source de revenus stable et d’une ligne innocente à insérer dans son CV. L’une d’elles dit que son travail d’escort lui permet d’offrir à sa fille les leçons de musique et de danse qu’elle ne pourrait pas assumer avec son job «normal». Certains maris et copains connaissent les activités accessoires de leur femme ou copine, d’aucuns jouent même un rôle de manager, de chauffeur ou de garde du corps.
Les travailleuses du sexe s’exposent à de sérieux risques de viol, d’agression ou de maladies transmissibles. Mais sur ce plan aussi, l’internet facilite les choses. Les forums leur permettent d’échanger des conseils. En Grande-Bretagne, Ugly Mugs exploite une base de données en ligne où les prostituées peuvent vérifier noms et numéros de téléphone des clients. Aux Etats-Unis, American Blacklist permet de signaler des hommes qui se comportent mal ou refusent de payer.
Indépendance professionnelle
L’internet permet aux prostituées de ne plus dépendre d’intermédiaires, maisons closes ou agences, souteneurs et autres mères maquerelles. Un certain nombre de femmes décident donc de travailler de façon autonome. «C’est gagner en indépendance», explique Ana, une masseuse érotique hispano-américaine qui vend son savoir-faire aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Mais c’est aussi consacrer plus de temps, d’efforts et de compétence au marketing. «Il faut un bon site web, beaucoup d’excellentes photos. Il faut apprendre à optimiser le moteur de recherche», ajoute-t-elle.
D’autres prestataires de services préféreront avoir un manager ou un assistant pour s’occuper des rendez-vous et des réseaux sociaux. Eros.com, un site proposant un annuaire international de ces dames, permet aux prostituées d’informer leurs clients si elles sont disponibles à l’instant même. Mais cela implique de s’asseoir devant l’ordinateur à tout bout de champ, ce qui est une corvée.
En attendant, diverses formes de prostitution traditionnelle souffrent. Aux Pays-Bas, entre 2001 et 2010, le nombre de sex clubs avec patente s’est réduit de plus de moitié. Une bonne partie de ce déclin serait à mettre au compte de la promotion du sexe en ligne.
Pour tous les gouvernements, cette évolution rend l’industrie du sexe plus difficile à contrôler et à réglementer, que ce soit pour des raisons pratiques ou morales. Sur la Toile, vendeurs et acheteurs de prestations sexuelles sont plus à l’abri et plus mobiles que dans les maisons closes et autres salons de massage. Il y aura toujours des gens qui préféreront, pour une raison ou une autre, louer les services d’une prostituée plutôt que de se passer de sexe ou de chercher une partenaire dans un bar. Comme le sexe tarifé est plus discrètement disponible en ligne, la clientèle va fatalement augmenter. Du côté des prestataires, une plus grande prise de conscience fait que les travailleuses et travailleurs du sexe ne sont pas tous exploités. Mais la grande discrétion qui règne sur ces sites signifie aussi que la stigmatisation perdure. L’internet a bouleversé une quantité d’activités. Le plus vieux métier du monde ne fait pas exception.
© The Economist Newspaper Limited
Traduction et adaptation Gian Pozzy