Zoom. Beaucoup de jeunes Confédérés s’engagèrent aux côtés des belligérants. Mais leur nombre reste incertain.
Le mythe d’une farouche neutralité diffusé après 1945 a étendu son voile sur 1914-1918. Au début d’une guerre dont ils n’imaginaient pas l’insoutenable violence ni l’interminable durée, les Suisses ne pensaient pas échapper à la bataille. Le Conseil fédéral lui-même ne croyait pas à la capacité du pays à rester «un îlot neutre au milieu de la tempête». Dans un arrêté de 1912 resté secret (L’Hebdo du 2 janvier 2014), il se résignait par anticipation à devoir choisir son camp. Les problèmes d’approvisionnement créés par un encerclement de belligérants lui semblaient insurmontables.
Les Suisses envisageaient d’autant plus qu’ils seraient absorbés par la tourmente que le conflit commence par la violation de la neutralité de la Belgique par les troupes allemandes, un événement qui révulse l’opinion publique.
Choc de civilisation
Surtout, le conflit est très vite perçu comme un choc de civilisation qui ne peut laisser indifférent. L’écrivain franco-suisse Guy de Pourtalès l’a évoqué dans son roman La pêche miraculeuse. Paul, son héros, n’a pas été incorporé dans l’armée suisse à cause d’une ancienne blessure. Mais il ne peut se résoudre à rester en marge: «Pourquoi donc aller se battre, détruire un ennemi imaginaire, être détruit soi-même? En voulait-il à ces Allemands qui s’avançaient vers l’Ouest à la lueur des incendies? A ces Allemands, fils de Bach, de Mozart et de Wagner? Il ne leur en voulait pas en tant qu’hommes, mais en tant que pouvoir destructeur et soi-disant maître du monde. Quelque chose se dressait en lui pour leur barrer la route.»
A Paris, la réalité a devancé la fiction que signera de Pourtalès en 1937. Le Chaux-de-Fonnier Blaise Cendrars et quelques intellectuels lancent un appel aux amis étrangers de la France:
«L’heure est grave. Tout homme digne de ce nom doit aujourd’hui agir, doit se défendre de rester inactif au milieu de la plus formidable conflagration que l’histoire ait jamais pu enregistrer. Toute hésitation serait un crime.»
Cendrars sera blessé au combat, amputé du bras droit, une expérience qu’il racontera dans La main coupée.
Par idéalisme, héroïsme, ou sensibles à la propagande massive des belligérants, combien furent-ils, ces Suisses qui, comme Cendrars et de Pourtalès, décidèrent d’aller se battre? Même si quelques monuments aux morts rappellent leur existence, leur choix n’a guère été étudié par les historiens. Auteur d’une communication sur «Les Suisses dans les armées étrangères» lors d’un récent colloque au château de Penthes, Christophe Vuilleumier note qu’«ils auraient été 14 000 selon certaines sources, 6000 selon d’autres plus vraisemblables. Les premiers Confédérés à s’être engagés en France étaient ceux vivant sur place et souvent doubles nationaux, mais ils furent vite rejoints par des Suisses établis en terres helvétiques. Des Alémaniques décidèrent également de rejoindre les rangs de l’armée française.»
L’historien militaire Jean-Jacques Langendorf estime pour sa part le nombre de Suisses ayant rejoint les troupes de Guillaume II entre 7000 et 8000.
Avec la Légion étrangère, la France disposait naturellement d’une structure d’accueil pour les volontaires. L’Allemagne, elle, naturalisa les combattants qui s’enrôlèrent dans ses troupes.
Le phénomène fut tel que le Conseil fédéral songea en 1915 à légiférer pour empêcher les jeunes de s’engager, mais ce n’est finalement qu’en 1927 que l’interdiction de servir à l’étranger sera inscrite dans le Code pénal militaire. Cela explique que les volontaires de 1914-1918 n’aient pas été condamnés par les autorités comme le furent ceux qui participèrent aux brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, et que la Confédération ne réhabilita qu’en 2009.
Il faut encore noter que nombre de jeunes Suissesses partirent aussi en France comme infirmières.