Yves Le Maner, l’historien qui a supervisé la réalisation du nouveau mémorial en Artois, détaille les raisons de la présence de Suisses sur le monument.
Pourquoi une telle diversité de pays, en particulier au sein de la Légion, dans ce coin de l’Artois en 14-18?
Cela tient aux différentes nations de la Légion étrangère. Nous trouvons, par exemple, du côté des Turcs et des Russes des combattants juifs qui s’intègrent dans l’armée de la République française, perçue comme le pays de la liberté. Il y a des gens qui viennent pour l’aventure. D’autres ont une affinité intellectuelle avec la notion de «grande nation». Le monde est alors très idéaliste. Dans le cas de la Suisse, compte aussi la tradition de l’engagement militaire du pays depuis Marignan.
Dans «La main coupée», Cendrars parle des «Français de l’extérieur» en évoquant les Canadiens, les Belges et les Suisses. Comment comprendre cette expression?
La langue française est un des éléments structurants de la nation et de la francophonie. Cendrars, qui était un grand connaisseur du français, a sans doute voulu évoquer l’idée d’une fraternité mondiale à travers la langue.
Une bonne cinquantaine de noms de combattants suisses figurent sur le mémorial international. C’est tout autant, par exemple, que les Népalais engagés dans l’armée britannique des Indes?
Non, les Népalais, qui étaient des gurkhas, c’est-à-dire des combattants professionnels, sont bien plus nombreux sur le monument. Ils sont plusieurs centaines. Dans la même proportion que les Suisses, on trouve des Espagnols, et des Italiens avant l’engagement de leur pays aux côtés des Alliés. Il y a une remarquable diversité humaine dans la Légion étrangère qui s’incarne dans la présence des combattants suisses.
Quels pays ne s’attendrait-on pas à voir sur le mémorial?
Il y a des Brésiliens qui ont traversé l’Atlantique pour venir combattre auprès des Alliés. Le cas le plus impressionnant est celui des Australiens. Leur pays n’a envoyé au front pendant la guerre de 14-18 que des soldats volontaires: 400 000 hommes sont venus se battre en Europe, sur une nation de 4 millions. Ils ne pouvaient pas rentrer chez eux en permission. C’est un cas très fort, qui a d’ailleurs aidé à la constitution de l’identité nationale de l’Australie.
Vous inscrivez les noms de plusieurs dizaines de Suisses sur un monument international alors même que la Suisse questionne son destin avec l’Europe. En tant qu’historien français, qu’est-ce que cela vous inspire?
C’est la meilleure preuve de l’universalité des cinq continents, riches de populations diverses, qui ont, chacune, leurs propres talents et compétences. Elles sont pourtant toutes venues se battre dans des conditions atroces ici même. Inscrire les noms de leurs représentants bout à bout est un moyen de les unifier. C’est le propre des nations d’aspirer à l’égalité quand elles structurent ou restructurent leur identité.