Zoom. Le distributeur romand innove avec des services adaptés à l’e-commerce. Son nouveau propriétaire, Valora, préfère vendre des petits pains pochés.
Une nouvelle page se tourne dans l’histoire de la presse romande. Le réseau de kiosques Naville, fruit d’un rapprochement avorté entre l’éditeur romand Edipresse de la famille Lamunière et le groupe de presse français des Lagardère, il y a vingt-cinq ans, a finalement été vendu à l’alémanique Valora.
Les Lamunière avaient cédé l’entreprise familiale à l’éditeur zurichois Tamedia en 2010, tandis qu’Arnaud Lagardère, en quête de liquidités, a choisi de se séparer de l’ensemble de ses activités de distribution de presse dans le monde. Avant de lâcher Naville, le groupe Lagardère avait d’abord dû trouver un acquéreur pour les librairies Payot, considérées comme une «excroissance stratégique» en Suisse romande. L’affaire a été conclue en juin dernier, et la suite de l’opération n’a pas traîné.
Fondé en 1905 à Olten sous le nom de Schweizer Chocoladen und Colonialhaus, aujourd’hui établi à Muttenz, près de Bâle, Valora est un groupe international de distribution présent en Allemagne, en Autriche et en Suisse alémanique, notamment avec les marques K Kiosk et les magasins Avec. En comptant les franchisés, il a réalisé un chiffre d’affaires de 3,4 milliards de francs en 2013, soit dix fois plus que Naville et trois fois plus que Tamedia.
Ces dernières années, Naville et Valora ont adopté des stratégies différentes – et même opposées – pour compenser la chute inexorable des ventes de journaux dans leurs kiosques. Le groupe romand, qui compte 175 points de vente et assure la livraison de 1200 kiosques indépendants, a misé sur sa présence sur l’ensemble du territoire pour développer de nouveaux services adaptés à l’ère du commerce électronique. Le système pick up, drop off, par exemple, permet aux utilisateurs de sites de vente en ligne de recevoir leur commande dans le kiosque de leur choix. Nespresso, La Redoute et Bongenie, ainsi, y ont déjà recours. Selon Jean-Yves Leroux, directeur de Naville, ce genre de services connaîtrait un «très grand succès en Suisse romande».
A cette offre aux particuliers s’ajoutent d’autres services, destinés aux professionnels, par lesquels Naville se transforme en sous-traitant logistique pour d’autres entreprises. «Des marques qui disposent de centres logistiques à l’étranger, par exemple en France, peuvent nous mandater pour distribuer leurs produits dans leurs magasins en Suisse, explique Jean-Yves Leroux. Nous nous chargeons du dédouanement et des stocks et livrons directement aux magasins.» Ce système repose sur le fait que les camionnettes de Naville sillonnent chaque jour l’ensemble de la Suisse romande pour livrer presque 1400 kiosques.
Valora, de son côté, ne prend plus cette peine. En août dernier, le groupe alémanique a cédé sa division Valora Services, qui assurait la livraison à 5000 points de vente en Suisse et au Luxembourg. L’activité a été reprise par le groupe indépendant PVG. Son directeur et associé majoritaire, Thomas Kirschner, est devenu du coup le premier distributeur de presse en Suisse alémanique.
Comme Naville, Valora avait aussi développé des services de pick up, drop off appelés Päckli Punkt, ainsi que ses activités de logistique pour professionnels. L’opticien Visilab, par exemple, y a recours pour livrer des lentilles de contact en Suisse alémanique. Mais Valora a également cédé cette activité au groupe de Thomas Kirschner.
Valora a justifié cette cession par la volonté de se concentrer sur son activité de loin la plus rentable: la vente de bretzels dans les gares et les centres-villes. Depuis le rachat des boulangeries helvético-allemandes Ditsch (basée à Mainz) et Bretzelkönig (à Emmenbrücke), la marque de petits pains pochés au bicarbonate est devenue le joyau de la couronne de Valora. Dépassant déjà les 100 millions de francs, les ventes gonflent à vue d’œil chaque trimestre. Surtout, la marge bénéficiaire des bretzels (14,5%) est dix fois plus élevée que celle des activités de distribution (1,4%).
De nouvelles possibilités
Valora a-t-il l’intention de se séparer à terme des activités de distribution aux kiosques indépendants aujourd’hui opérées par Naville? Par exemple en les cédant à Thomas Kirschner? Le groupe de Muttenz n’a pas souhaité répondre. «Il ne serait pas sérieux de s’exprimer aujourd’hui sur l’avenir des activités de distribution», indique sa porte-parole, Stefania Misteli. De son côté, le directeur de Naville se veut rassurant. Il promet que, même si le groupe alémanique a choisi de s’en séparer, le Romand conservera ses activités de livraison aux kiosques indépendants et continuera de développer ses offres logistiques innovantes. Et il n’est pas question non plus de forcer les Romands à manger des bretzels.
«Comme elle l’était avec Lagardère, Naville restera romande, tempère Jean-Yves Leroux. L’entreprise y jouit d’une très belle notoriété, elle est très bien implantée dans le tissu local et le restera encore de nombreuses années», promet-il. Le développement du commerce électronique et des services logistiques se poursuivra, assure-t-il. L’arrivée du groupe de Thomas Kirschner ouvre même de nouvelles possibilités, estime le directeur de Naville: «Cela a tout son sens de travailler à trois dans ce domaine.»
Et question snacks de gare, les Romands seront servis. Naville a scellé un partenariat avec le géant américain du sandwich Subway pour ouvrir plusieurs restaurants. De quoi regretter les bretzels de Valora? Difficile à dire.
1375 Le nombre de kiosques livrés quotidiennement par Naville, dont 175 sont en marque propre.
14% La marge bénéficiaire des ventes de bretzels par Valora.
1,4% La marge de la division Retail de Valora.