Zoom. Dans un ouvrage à paraître, un banquier helvétique explique sous pseudonyme comment la complexité des opérations financières induite par l’informatisation a perverti le système bancaire. Et comment elle pourrait le réparer.
Juin 2011, Jonathan McMillan travaille pour une grande banque zurichoise, dans la division chargée du contrôle des risques. Ce jour-là, il détecte quelque chose de bizarre. Ses recherches l’amènent à repérer une énorme erreur de calcul dans le système informatique censé examiner l’activité des traders de son établissement. Une catastrophe pouvant survenir à tout instant, il avertit immédiatement sa hiérarchie.
Trop tard: l’une des affaires de fraude financière les plus importantes de l’histoire éclate les mois suivants à Londres. Un trader de la banque a perdu le contrôle de ses opérations et causé un trou de plusieurs milliards de dollars dans le chiffre d’affaires. Jonathan McMillan est tout de suite envoyé sur la scène du crime pour étudier les excès commis. Il doit reconstituer ce qu’il s’est passé pour éviter que des abus ne se reproduisent. «J’ai énormément appris sur les dysfonctionnements du système bancaire en très peu de temps, raconte-t-il. Bien plus qu’en plusieurs années de travail.» Ses investigations confirment les doutes qu’il rumine depuis plusieurs années. Le monde bancaire est gangrené par une complexité incontrôlable, des prises de risques indues et, surtout, une opacité extrême.
Au lendemain de cette expérience, le Suisse se lance dans la rédaction d’un livre qui sortira à la fin de ce mois: The End of Banking – Money, Credit, and the Digital Revolution, publié sous le pseudonyme de Jonathan McMillan et corédigé avec un auteur issu du monde académique. Le banquier ne veut pas révéler son identité pour éviter d’entrer en conflit avec l’établissement.
Son ouvrage dénonce l’informatisation, principal coupable des dérives du système bancaire actuel. Avant les années 70, le fonctionnement d’un établissement était relativement simple. Celui-ci acceptait des dépôts et accordait des emprunts. L’ère numérique a permis de complexifier ce fonctionnement: «Les banques ont pu transformer une série d’emprunts en produits financiers toxiques, très vite et à un coût minime, grâce à l’informatique», précise Jonathan McMillan.
Une pratique qui a réduit à néant les tentatives des Etats pour réglementer le secteur bancaire. «A chaque fois que le gouvernement introduisait une nouvelle règle, les banques trouvaient le moyen de la contourner en apportant d’infimes modifications à leurs produits financiers. Une manière de fonctionner qui a été rendue possible par la numérisation du système», explique-t-il. L’informatique a en outre permis l’émergence du shadow banking, une nébuleuse peuplée d’intermédiaires financiers proposant des crédits à hauts risques. L’illégalité de ceux-ci était dissimulée par les montages complexes dont ils faisaient l’objet.
Des plateformes de prêts
Si l’informatique a perverti la finance, elle pourrait également la sauver, selon Jonathan McMillan. Il propose que les banques cessent d’émettre du crédit et de s’occuper des dépôts d’argent. Ces fonctions seraient reprises par des plateformes de peer-to-peer lending, comme The Lending Club. Des plateformes qui permettent à une multitude de participants d’accorder des prêts de taille minimale à d’autres membres du réseau (10 000 personnes prêtant un franc à une seule personne, par exemple), qui leur reversent un intérêt. Le risque présenté par le débiteur est calculé en analysant son historique de remboursement.
Mieux encore, remplacer les monnaies physiques par des monnaies numériques, comme le bitcoin. Le principe offrirait non seulement la possibilité de se passer des établissements bancaires, mais il donnerait aussi les moyens aux banques centrales d’exercer une influence à la hausse ou à la baisse sur les prix, sans avoir recours aux mécanismes actuels qui consistent à attribuer des crédits aux grandes banques. «Les institutions centrales pourraient distribuer un salaire inconditionnel (une somme fixe identique pour tous, ndlr), ce qui augmenterait la masse totale d’argent en circulation et aurait un impact sur les prix, tout en profitant à la population plutôt qu’aux banques.» Et Jonathan McMillan de conclure: «Ces solutions ont déjà été essayées dans le monde réel et fonctionnent très bien.»
«The End of Banking – Money, Credit, and the Digital Revolution». De Jonathan McMillan.