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Là-haut sur l’alpe, dans les pas des déclencheurs d’avalanches

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:52

Reportage. Chaque année, les Remontées mécaniques suisses organisent, à Andermatt (UR), une formation pour le minage des pentes enneigées. Bienvenue dans le monde des explosifs.

«La peur et l’argent sont deux choses que je ne connais pas!» A 24 ans, Pascal Zürcher, paysan et fils de paysan, est un solide gaillard qui tutoie les 190 centimètres. Il est 12 h 45 ce dernier mercredi de novembre et le Bernois qui, l’hiver, travaille comme employé de remontées mécaniques à Engstligenalp, sur le domaine skiable d’Adelboden, finit de siroter son café. La pause de midi est bientôt terminée et les choses sérieuses vont commencer pour les 32 participants, dont deux femmes, au cours «explosifs neige et avalanches» dont il fait partie. Déclencher artificiellement des avalanches permet de sécuriser les pistes et d’éviter des catastrophes.

Organisée par les Remontées mécaniques suisses (RMS), cette formation se déroule à la caserne d’Andermatt, au Centre de compétences du service alpin de l’armée. Elle dure cinq jours et coûte 2030 francs pour les collaborateurs des 264 entreprises de remontées mécaniques qui font partie des RMS, et 1000 de plus pour les autres, soit des employés de communes ou autres services forestiers. Pour la première fois, une dizaine de journalistes sont conviés à suivre une journée de cours.

Tâter de l’explosif

Après deux jours et demi de théorie, les apprentis dynamiteurs vont enfin mettre la main à la pâte. Sur les tables d’une des vastes salles de théorie du bâtiment 8 trônent de volumineuses saucisses emballées dans une toile jaune orangé. En grosses lettres noires, un avertissement: «EXPLOSIFS, ne pas avaler». Mieux vaut être prudent. Non loin trônent d’autres bâtons d’explosifs, plus longs et fins. En tenue de ski et concentrés, les élèves, jeunes pour la plupart, suivent attentivement les explications de l’un des formateurs. L’homme s’exprime en dialecte alémanique du Lötschental. De quoi corser l’exercice? Même pas, à observer les jeunes gens qui l’entourent. Etonnamment, aucune expression de perplexité ne s’inscrit sur leur visage. Ils répondent d’ailleurs rapidement aux questions posées. Sur leur laine polaire et leur pantalon, des inscriptions brodées détaillent leur provenance: Aletsch Arena, Arosa Lenzerheide, Adelboden-Lenk. Beaucoup de domaines skiables alémaniques sont représentés.

A l’aide de ruban adhésif bleu et de câbles, les apprentis exploseurs relient les charges entre elles. Pius Henzen, leur moniteur, profite du fait que leurs mains sont occupées pour faire travailler leur cerveau. Il leur demande la liste des éléments qui ne font pas bon ménage avec les détonateurs. Chacun en cite un. «L’humidité», «le frottement», «les coups», «le feu ou les étincelles». Suit une petite session de calcul mental pour estimer la bonne longueur de la mèche d’allumage. Sachant qu’il faut laisser un minimum de nonante secondes à celui qui jette l’explosif pour aller se mettre à l’abri, quelle doit être la longueur minimale de la mèche? Un des participants applique la sacro-sainte formule qui se résume assez simplement: multiplier par 2 puis diviser par 3. Le nombre de secondes désirées (soit 90) multiplié par 2 donne un résultat (180) qu’il faut diviser par 3. Le résultat est donc 60 centimètres…

Sept mille mètres par seconde

De l’autre côté de la salle, un groupe suit les explications de Curdin Vicenti, patrouilleur grison, «de l’Engadine», précise-t-il. Il montre comment encorder un explosif, histoire de le remonter à la surface si, juste après l’avoir lancé, il s’est enfoncé trop profondément dans la neige poudreuse. Le moniteur explique également comment il faut procéder lorsque la charge – elle pèse de 1,5 à 4 kilos lors de minage à la main – n’explose pas. «Il faut attendre quinze minutes, enlever la mèche et en remettre une autre. Certains détonateurs ont un défaut de fabrication. Lorsque je vais miner des avalanches, j’ai toujours des explosifs de rechange avec moi.»

Le moniteur grison montre encore les entrailles d’une des mèches d’allumage. Elle est remplie de poudre blanche. Sa vitesse de combustion? «Sept mille mètres par seconde. La vitesse varie selon les explosifs. Celle des engins utilisés lors de guerre est de 3500 à 4000 mètres par seconde.» Le domaine skiable de Corvatsch, où Curdin Vicenti est chef des engins d’entretien des pistes, n’utilise pas moins de 1,5 tonne d’explosifs par année quand la neige est abondante. Si elle se fait plus rare, 600 kilos suffisent.

Mourir sous une avalanche

De fait, de 2004 à 2013, 224 personnes ont été tuées dans des avalanches survenues en Suisse. La majorité des victimes, soit 120 personnes, pratiquait du snowboard ou du ski de randonnée. La deuxième catégorie la plus touchée, soit 64 personnes, est celle des skieurs ou des snowboardeurs qui pratiquent le hors-piste. Durant ces dix ans, seuls deux skieurs ont trouvé la mort, emportés par une avalanche qui a atteint les pistes de ski. Plus tôt dans la matinée, Alexander Stüssi, chef de la division Droit et ressources des Remontées mécaniques suisses, exposait des cas de décès par avalanches, qui ont donné lieu à un arrêt du Tribunal fédéral. A quatorze ans d’intervalle, une avalanche a tué deux personnes au même endroit, soit au Rothornbahn à Zermatt, sur une piste sécurisée. Les deux fois, la piste aurait dû être fermée.

«Dans le premier cas, c’est le directeur des remontées mécaniques qui aurait dû endosser la responsabilité d’un accident. On dit souvent qu’il ne lui arrive rien, mais ce n’est pas le cas. C’est lui qui est chargé d’organiser la sécurité.» De fait, dans la première affaire, il a été condamné à une amende de 1000 francs. Dans le deuxième accident, c’est le responsable de la sécurité des pistes qui a été condamné, pour homicide par négligence, à cent vingt heures de travail d’utilité publique. Expert pour la sécurité des pistes aux RMS et responsable du cours donné à Andermatt, Ueli Frutiger a travaillé sur le domaine skiable de la Petite Scheidegg; il a été chef des pistes et du sauvetage durant vingt-trois ans. Il sait bien les différences de vue qui peuvent exister entre un responsable de la sécurité et un directeur de remontées mécaniques. «Si un directeur pousse à ouvrir des pistes qui peuvent présenter un danger, la situation peut devenir très difficile à gérer.»

Il est temps de passer à la pratique. Casque sur la tête, skis dans les mains, appareil détecteur de victimes d’avalanches dans la veste et explosifs dans le sac à dos, les élèves se dirigent vers un premier télésiège, puis un deuxième qui les emmène à Gütsch, à 2344 mètres d’altitude. Les 32 aspirants au permis fédéral d’emploi d’explosifs sont répartis en sept groupes. C’est Pascal Zürcher et ses trois camarades qui serviront de cas d’école aux journalistes, eux-mêmes accompagnés par deux formateurs supplémentaires et trois collaborateurs des RMS. On ne rigole pas avec la sécurité.

Une procédure à suivre

Le solide Bernois sort les explosifs du sac. L’exercice commence par une série de questions, un dialogue entre le patrouilleur chargé de déclencher une avalanche et le moniteur jouant le rôle du collègue qui travaille à la station de départ des remontées mécaniques. «Est-ce que les pistes sont fermées et ont été contrôlées?» demande Pascal Zürcher. «Oui, les pistes sont fermées et ont été contrôlées», répond le moniteur. «La situation n’a pas changé?» interroge le patrouilleur. La réponse est claire: «La situation n’a pas changé.» Cette façon de dialoguer, en répétant les propos entendus, ne permet aucune équivoque.

Pascal Zürcher a accroché une longue cordelette aux explosifs pour pouvoir remonter la charge à la surface au cas où celle-ci s’enfoncerait trop dans la neige. Ce qui ne risque pas d’arriver: ce mercredi, la couche est lourde, mouillée. La mèche est allumée, les explosifs sont lancés, le jeune homme demande calmement à toute la troupe de se mettre à l’abri. Les novices reculent et pressent le pas, inquiets et quelque peu abasourdis par la cool attitude des habitués qui, eux, finissent de discuter non loin de la pente qui va bientôt exploser.

Montre en main, le patrouilleur bernois avertit: encore dix secondes. Tout le monde pose un genou à terre. Tiens, une prière spontanée à 2344 mètres? Ueli Frutiger explique: «S’accroupir, se faire tout petit, cacher un peu sa tête sont une réaction naturelle. Il est également conseillé de se boucher les oreilles et d’ouvrir la bouche pour compenser la pression.» L’explosion enfin. Elle fait trembler le sol et vibrer tout le corps. La sensation est désagréable, même dans un cadre idyllique. Elle prend aux tripes. De petits paquets de neige retombent non loin des patrouilleurs et de leurs accompagnants. Dans la montagne, d’autres explosions retentissent. Les exercices vont bon train. Au suivant! Un autre apprenti dynamiteur s’apprête à faire sauter une charge de… 7 kilos. Mêmes gestes, mêmes précautions, mêmes paroles échangées, même laps de temps pour s’éloigner de l’explosif qui promet une belle secouée. Au fait, c’est par où la sortie?…

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Urs Flueeler / Keystone
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