Enquête. La métropole est devenue l’un des principaux hubs technologiques des Etats-Unis, juste derrière San Francisco. Dans la Grande Pomme, les start-up ont pour thème la finance, la mode ou la publicité.
Julie Zaugg New York
L’atmosphère est celle d’une ruche studieuse dans cet espace de travail partagé du quartier de Flatiron, en plein Manhattan. Des hommes aux lunettes carrées sont assis côte à côte à de longues tables en bois, le nez dans leur laptop. D’autres s’affairent derrière des parois vitrées. Des grappes de gens discutent dans l’embrasure des portes en métal brut au look postindustriel. Coworkrs abrite une cinquantaine de start-up, au cœur de la Silicon Alley, le hub technologique new-yorkais.
«Le secteur est en plein boom, relève Reza Chowdhury, l’un des locataires de Coworkrs et fondateur d’un site consacré à ce hub, Alleywatch. New York a récemment dépassé Boston en tant que deuxième hub technologique des Etats-Unis, en termes d’investissements, après la Silicon Valley.» Rien que depuis le début de l’année, la métropole a attiré plus de 3 milliards de dollars de capital-risque.
Il s’agit plutôt d’une renaissance. Le mot Silicon Alley a été utilisé pour la première fois en 1995 dans une annonce d’emploi. Une série de start-up ont vu le jour à cette époque, notamment dans le domaine de la production de contenus et de l’e-commerce. «Avec l’éclatement de la bulle internet, suivi un an plus tard par les attentats du 11 septembre, ces entreprises ont disparu», raconte Alessandro Piol, venture capitalist et auteur du livre Tech and the City. La scène n’a commencé à rebondir qu’à partir du milieu des années 2000.
Premier grand coup, DoubleClick, une plateforme de publicité en ligne, a été rachetée par Google en 2008 pour 3,1 milliards de dollars. L’acquisition du site de microblogging Tumblr par Yahoo! en 2013 pour 1,1 milliard de dollars a cimenté le statut de New York comme une capitale de la «tech».
D’autres histoires à succès sont venues s’ajouter à ce palmarès, à l’image d’Etsy (e-commerce), Kickstarter (financement participatif), Buzzfeed (médias), Makerbot (impression 3D), Foursquare (géolocalisation) ou Shutterstock (vente de photos en ligne). Cette dernière a été cotée en Bourse l’an dernier. Son fondateur, Jon Oringer, est alors devenu le premier milliardaire de la Silicon Alley.
Pourquoi New York? La crise financière de 2007 a joué un rôle décisif. «Beaucoup d’ingénieurs travaillant pour des banques ont perdu leur emploi à ce moment-là, rappelle Alessandro Piol. Ils ont alors choisi de fonder des start-up.» Soucieux de relancer l’économie, l’ex-maire Michael Bloomberg, lui-même issu du monde de la tech, a activement promu ce secteur à coups de subventions, de rabais fiscaux et d’incubateurs. En 2011, il a annoncé la création d’un campus technologique à 2,1 millions de dollars sur l’île Roosevelt, sur l’East River, coordonné par l’Université Cornell et l’institut israélien Technion.
Pas de vivier d’ingénieurs
New York se distingue des autres hubs technologiques par sa taille, sa diversité et son statut de centre mondial de la finance, des médias, de la publicité et de la mode. Des industries auxquelles «les patrons de la Silicon Alley s’adressent en priorité. Et ils sont souvent eux-mêmes issus de ces secteurs», note Andrew Rasiej, président de la rencontre mensuelle NY Tech Meetup. On a ainsi vu émerger dans la métropole une multitude de start-up spécialisées dans la fintech (Lendoo, Learnvest, Betterment), l’adtech (AppNexus, Tremor Video, Mopub), la mode (Fab, Gilt, Zady) ou les médias (Vine, Instapaper, Aereo).
Mais il manque à la Silicon Alley certains des ingrédients qui ont fait la réussite de son grand cousin californien. «La Silicon Valley s’est nourrie du vivier d’ingénieurs produits par l’Université Stanford, relève Oliver Haugen, responsable du bureau Swissnex à New York. De même, Boston a profité de la proximité du MIT et de Harvard. Ici, il n’y a pas d’institution de cette envergure. Columbia, NYU, Yale ou Princeton ne jouent pas ce rôle.»
De plus, les possibilités de financement ne sont pas aussi abondantes qu’on pourrait l’imaginer. «Si la ville compte un certain nombre de firmes de micro-capital-risque et de business angels, il y a peu d’occasions de lever des fonds plus importants, de l’ordre de 30 à 50 millions de dollars, complète David Iskold, directeur de TechStars, un incubateur new-yorkais. Pour trouver ce genre d’argent, il faut aller en Californie.»
Autre handicap, New York n’a pas encore produit de Google ou de Facebook. «Or, précise Reza Chowdhury, les ex-employés de ces firmes représentent la relève, ce sont eux qui ont porté la seconde vague d’innovation en Californie.»
La Suisse veut une part du gâteau
Une foule bigarrée se promène entre les exposants, s’arrêtant un instant pour admirer une chaussette qui enregistre le pouls de celui qui la porte, une robe Akris garnie de diodes ou des sous-vêtements munis de senseurs pour prodiguer des caresses à distance. Dans un coin, un professeur de l’EPFL explique comment les nanotechnologies vont révolutionner les vêtements intelligents. Cet événement, organisé par la Suisse mi-septembre à New York, en pleine Fashion Week, témoigne de l’envie des Helvètes de prendre part à la Silicon Alley. En mai, c’est l’industrie zurichoise qui était mise en valeur dans le cadre d’une manifestation intitulée Zurich Meets New York. Afin de renforcer le leadership de la Suisse comme pôle mondial d’excellence dans la science, l’éducation et l’innovation, le réseau des ambassades scientifiques Swissnex a ouvert une antenne en 2013 à New York. Ses locaux se trouvent chez Coworkrs, un espace de travail partagé au cœur de la Silicon Alley. Une dizaine de start-up suisses sont déjà basées à New York, à l’image de Zkip-ster, qui propose des guest lists virtuelles, Livestream, une plateforme de streaming, Soshio, qui analyse les réseaux sociaux chinois, ou Appway, qui fait le lien entre les banques et leurs clients.
Louer un peu de luxe
Une robe fourreau Dolce & Gabbana au motif léopard pour 30 dollars? Une robe Kate Spade ornée de sequins pour 40 dollars? Ou alors un sac Moschino bleu ciel pour 35 dollars? Ce sont les prix pratiqués par Rent the Runway… pour louer ces pièces le temps d’une soirée.
La plateforme, créée en 2009, a aujourd’hui 5 millions de membres et héberge 250 designers de mode. La commande se fait en ligne et les vêtements arrivent dans deux tailles différentes. La start-up, qui a 311 employés, dit vouloir «réécrire les règles de la mode et redéfinir la propriété privée, en rendant le luxe accessible à tout le monde». Ses deux cofondatrices, Jennifer Fleiss et Jennifer Hyman, se sont rencontrées à la Harvard Business School. La première a commencé sa carrière dans l’événementiel. La seconde dans la finance.
La finance en groupe
Dans le monde de la finance, l’information vaut de l’or. Et ne se partage pas. Cette logique, Leigh Drogen (photo) a voulu l’inverser en lançant, début 2012, Estimize, une plateforme ouverte à tous qui regroupe des avis sur la performance des entreprises. «Nous avons 5000 contributeurs anonymes qui couvrent plus de 1000 sociétés. Ce sont des analystes, des traders ou des étudiants», détaille le New-Yorkais de 28 ans, qui a commencé sa carrière dans un hedge fund.
Les prévisions d’Estimize sont souvent plus précises que celles des analystes professionnels. Leigh Drogen pointe du doigt la courbe des actions de Michael Kors sur son ordinateur. La courbe bleue d’Estimize est légèrement en deçà. La ligne grise des analystes professionnels est loin en dessous. «Cette marque de vêtements, qui enregistre une croissance énorme, a tout intérêt à sous-estimer ses résultats et les analystes n’osent pas se détacher de ces prévisions erronées», détaille l’entrepreneur, qui emploie actuellement dix personnes. Estimize profite aussi d’un effet de masse. «Alors qu’Apple n’a que 42 analystes officiels, nous avons 400 contributeurs sur ce groupe. C’est le principe de base du crowdsourcing.
Un média pour les «milléniaux»
Un gif avec les noms des départements du gouvernement américain qui clignotent en temps réel à chaque fois que l’Etat dépense 300 dollars. Ou la guerre en Syrie racontée à travers le fil Instagram d’une jeune djihadiste. Ce sont deux des histoires publiées récemment par le site Mic, un média en ligne destiné aux «milléniaux». «Les moins de 30 ans ne se reconnaissent ni dans les journaux traditionnels, qui ne s’adressent pas à eux, ni dans les nouveaux médias numériques, qui font l’impasse sur l’actualité sérieuse», explique James Allen, porte-parole de cette plateforme.
Fondé en 2011, Mic est l’œuvre de Christopher Altchek, un ex-banquier et analyste politique pour la Maison Blanche, et de Jake Horowitz, un ancien de change.org. Le site attire 20 millions de visiteurs uniques par mois. L’accent est mis sur le multimédia, l’immédiateté et la possibilité de partager les articles sur les réseaux sociaux. Mic a une section entière consacrée aux questions d’identité (race, genre, etc.), «des thèmes qui préoccupent particulièrement la génération actuelle», selon le porte-parole.