Reportage. Les débats européens autour de l’indépendance catalane et écossaise galvanisent les groupes autonomistes de Hawaii. Une convention constitutionnelle sera organisée en 2015 pour redéfinir le statut de la région.
Léon Sui n’est pas un ministre des Affaires étrangères comme les autres. Quand il s’envole pour le siège des Nations Unies à Genève ou à New York, cet Hawaiien aux racines chinoises voyage toujours en classe économique. Et dort systématiquement sur le canapé d’un ami.
Cette simplicité, il l’entretient mieux que sa vieille Volvo grise. Pour s’extraire de cette voiture, il doit descendre la fenêtre, tendre le bras à l’extérieur, saisir la poignée et ensuite en actionner le système d’ouverture.
Léon Sui, 66 ans, appartient au gouvernement du Royaume de Hawaii, un mouvement indépendantiste. «Nous cherchons à mettre fin à l’occupation américaine illégale de nos îles», tonne l’homme au visage usé par les ans. «Notre cause avance rapidement en ce moment, explique-t-il, tout en ouvrant son vétuste attaché-case beige pour en sortir une ribambelle de flyers. Les débats européens autour de l’indépendance catalane et écossaise ont galvanisé nos membres.»
Ces différents groupes protestent contre l’intégration forcée des îles hawaiiennes dans l’Etat américain le 12 août 1898. A l’époque, le président McKinley avait saisi la région pour y installer une base navale, Pearl Harbor. Il comptait s’en servir pour attaquer la colonie espagnole des Philippines lors de la guerre américano-hispanique. Les Etats-Unis imposèrent ensuite un programme d’américanisation forcée, interdisant à la population de parler sa langue et de respecter ses traditions. Ce n’est que dans les années 70 que les Hawaiiens ont commencé à prendre conscience de leur héritage culturel. Et que le mouvement indépendantiste a émergé.
Rétablir l’«Aloha’haina»
Quand Léon Sui rejoint un groupe de 40 personnes réunies dans une petite librairie pour y prendre la parole, il porte un t-shirt blanc avec l’inscription «Free Hawaii». «Nous sommes ici pour discuter des questions pratiques qui se poseront si l’indépendance nous est accordée», déclare-t-il. Certains suggèrent d’instaurer un gouvernement militaire. D’autres estiment qu’un royaume pourrait être brièvement reconstitué, avant de céder le pays à un gouvernement démocratique. Le ton monte, certains pleurent en prenant la parole.
Personne ne semble craindre les conséquences économiques de la fin de l’union avec les Etats-Unis. «Notre argent provient principalement du tourisme et de la nature», précise Léon Sui. Pour les Hawaiiens, le but de l’indépendance serait de pouvoir rétablir le règne de l’«Aloha’haina», un mode de vie en harmonie avec l’environnement.
Mais il reste encore beaucoup de détails à régler. «Notre débat sur l’indépendance est moins avancé que celui qui s’est déroulé en Ecosse ou qui se tient en Catalogne, explique Noelani Goodyear, une spécialiste du sujet à l’Université de Hawaii. Notre peuple a compris récemment que nous avions été jadis une véritable nation et que nous avons été victimes de plusieurs décennies de destruction culturelle. Les discussions sur l’indépendance n’ont pris leur envol que durant les cinq dernières années.»
Ces récriminations, Washington les prend très au sérieux. Les Etats-Unis disposent toujours de 11 bases et de 47 000 militaires sur ces îles, une force de frappe qui leur permet de régner sur le Pacifique. Durant l’été 2014, le Département de l’intérieur a organisé une série d’auditions pour savoir ce que pensait la population hawaiienne. Résultat: Barack Obama, lui-même originaire de l’archipel, a autorisé l’Etat de Hawaii à organiser une convention constitutionnelle début 2015.
La Maison Blanche privilégie un système de «nation au sein d’une nation», à l’image de celui mis en place pour les tribus amérindiennes. «Ils veulent nous transformer en sous-société américaine, grogne Léon Sui au milieu de la réunion. Nous avons vu ce que sont devenus les Indiens et ce n’est pas glorieux.»
Les militants préfèrent une autre voie: l’indépendance. «Nous souhaitons invoquer la charte des Nations Unies sur la décolonisation, d’où mes fréquents voyages à Genève et à New York», explique Léon Sui. D’autres membres souhaitent invoquer le droit de la guerre. «Techniquement, Hawaii est un pays qui a été occupé par une nation belligérante, comme le Luxembourg par l’Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale», précise le ministre de ce gouvernement fantôme.