Passé la gigantesque manifestation française en défense de la liberté, la tornade des émotions continue de tournoyer, elle s’éloigne un peu mais elle est encore là et, comme celle de la météo, elle paraît chercher sa direction.
Il y en a une qui se dessine. La guerre! Tant de voix la réclament.
Mais que veut-on dire par là? Garder les yeux ouverts, affiner les méthodes de renseignement, renforcer la coopération internationale, punir durement les criminels? Cela va sans dire. C’est affaire de droit et de police.
La guerre, c’est le piège du simplisme. Elle définit des camps: la civilisation chez nous, la barbarie chez les autres. On a beau se défendre de l’amalgame entre islamistes et musulmans: il est déjà là, même non dit, dans les têtes.
On peut imaginer le programme. Imiter les Américains et permettre, comme le Patriot Act, de se donner la possibilité de suspendre les libertés. Espionner tout le monde. Enfermer pendant des mois des suspects sans jugement. Créer des mini-Guantánamo.
Rétablir la peine de mort? Avec la guillotine sur la place publique?
Répandre dix mille, cent mille policiers-soldats dans les villes et les banlieues. Avec diable sait quels effets. Au risque de renforcer le sentiment de rejet des jeunes à la peau et au look suspects. Quitte à glisser vers une forme larvée de guerre civile.
Ou alors déclencher une offensive militaire de plus? Au Yémen? Multiplier les drones tueurs quitte à faire, comme c’est déjà le cas, des milliers de morts innocentes?
Fantasmer sur l’idée d’expulsions en masse? L’agitateur Zemmour a joué avec cette idée en rappelant qu’après tout deux millions de Français ont dû quitter l’Algérie, et des millions d’Allemands ont dû abandonner des territoires dans l’est européen où ils vivaient depuis des siècles. Dès lors, pourquoi ne pas chasser les Arabes?
Les va-t-en-guerre, aujourd’hui, n’en sont pas là. Mais les escalades belliqueuses commencent toujours par de grandes et braves tirades puis conduisent, on l’a vu, à des désastres imprévus.
Alors quoi faire? D’abord, maîtriser ses nerfs, retrouver un regard froid. Comme l’a fait la Norvège après l’attentat de cet extrémiste de droite qui, en 2011, a tué 77 jeunes innocents. Le discours et l’action des autorités furent à la fois fermes et apaisants.
Premier constat: les tueurs de Paris ont été endoctrinés, soutenus, mais par ailleurs, ils ont fait preuve, notamment dans leur fuite, d’un amateurisme qui fait douter d’une organisation cohérente.
Affirmer qu’une pieuvre islamique est en guerre contre l’Occident, c’est laisser déraper l’analyse. Ce sont nos peurs aussi qui donnent un poids formidable à ces poignées d’assassins. Trois d’entre eux ont fait descendre dans la rue plus de trois millions de Français. Une ribambelle de dirigeants internationaux, dont beaucoup détestent la presse libre, la trouille au ventre parce que menacés aussi, ont défilé bras dessus bras dessous. Les médias ont diffusé une profusion d’images où ces cinglés font leur propagande. Ce qu’ils cherchaient!
Comment agir au-delà des mesures de sécurité? Ce n’est pas de l’angélisme mais du réalisme que de prôner une politique d’intégration, de dialogue, d’éducation dans les quartiers où les jeunes musulmans errent sans perspective et sont tentés de se réfugier dans une religion dévoyée. On pourrait commencer par interdire l’importation d’imams venus des foyers du mal, du Golfe choyé par ailleurs. Former les prêcheurs ici.
Tenter aussi le dialogue avec les faiseurs d’opinion musulmans dans l’espoir que l’islam amorce enfin une réflexion critique. Le monde arabe se trouve dans un moment effroyable de son histoire. Il est déchiré entre sunnites et chiites, entre sunnites institutionnalisés et sunnites perdus dans les rêves sanglants et dominateurs. Il est confronté au casse-tête des frontières héritées du colonialisme. Il est face à une réalité économique et culturelle: sa civilisation n’arrive pas à prendre pied dans le monde moderne. A noter que des pays musulmans non arabes y parviennent mieux: la Turquie, l’Indonésie, la Malaisie, et même l’Iran à bien des égards.
Le terrorisme en Europe est une éclaboussure de ces cataclysmes moyen-orientaux et africains. Ce ne sont pas nos armes qui feront avancer les choses, c’est – même sans illusions, osons l’espérer – notre capacité à parler avec ces peuples pris dans la tragédie.
Sommaire
Cinq jours qui ont ébranlé le monde
La chronique de Jean-François Kahn: la France est capable de ça!
Pegida, nouveau visage de l’islamophobie
Liberté de la presse et démocratie, un lien qui ne va pas de soi
La liberté de la presse: et en Suisse?
Rire de tout, au risque de n’être pas compris
La chronique de Charles Poncet: le chagrin et l’absence de pitié
«Souvent, ils n’ont pas grand-chose à perdre, ce qui facilite leur passage à l’acte»
La France appelle à un Big Brother européen