Décodage. Densification, voici un mot qui a la cote. Plus facile à dire qu’à faire. Exemple avec la commune de l’Ouest lausannois dont la politique de développement, malgré tous ses efforts, continue d’essuyer reproches et critiques.
Sou’al Hemma
Le festival de grues bat son plein. La Croisée, Le Censuy, Les Entrepôts, La Ferme des Tilleuls, Léman-Closel ou encore la rue de l’Avenir: Renens ne compte pas moins de six grands chantiers en cours, un projet d’envergure en suspens dans le quartier de Florissant et pas moins de cinq projets d’urbanisation futurs: Chêne, Kodak, Malley, Gare CFF et Pont-Bleu Terminus (voir carte p. 42). Soit, au total, une hausse de plus de 6000 habitants et emplois d’ici à 2030. De quoi donner le tournis à ses habitants. Des habitants qui devraient se montrer rassurés depuis que leur ville a figuré parmi les lauréates du prix Wakker, attribué en 2011 à neuf communes de l’Ouest lausannois pour leur action de mise en valeur de leur territoire. Et pourtant, rien n’a changé, l’irritation ne cesse de gagner du terrain.
Les déçus
La place du Marché est presque vide, ce jeudi matin. Située à quelques pas de la gare, entre une Migros et une Coop, elle a été rebaptisée d’un surnom qui témoigne du malaise: place des Supermarchés. De l’ironie qui s’ajoute aux maintes critiques: trop minérale, trop froide, glissante, dangereuse. Alors que c’est elle qui a valu à Renens sa part de médaille Wakker, elle est encore comparée à la place de la Riponne à Lausanne, «un espace laid». Malgré tout, «ce lieu remplit quand même son rôle», nuance Nicolas Noël, enseignant géographe.
Les quelques jeunes peupliers peinent à compenser le béton qui a succédé aux anciens pavés. Le saule, unique témoin du passé, ose tout juste respirer, car «il a coûté l’espace de trois places de parc dans le parking souterrain», rappelle Olivier Lasserre, architecte-paysagiste et auteur de cette rénovation du cœur de la ville.
Le bétonnage à outrance au détriment de la nature, tel est le point de discorde. Au même titre que les méthodes de la commune pour imposer sa politique de développement. «L’argumentaire des autorités est toujours le même, relève Laurent Desarzens, artiste et enseignant. Elles voudraient par exemple justifier l’absence de verdure dans la ville en nous rappelant que nous disposons déjà d’un lac et d’espaces verts dans la région.»
«Densifier, c’est aussi planter des arbres», insiste Conchita Neet. Installée dans le quartier de Florissant, cette habitante dénonce aussi le mode de consultation de la municipalité: «Nos autorités se targuent de leur démarche participative. Mais elles ne supportent en réalité pas les gens qui leur résistent ou s’opposent dès lors qu’ils estiment ne pas avoir été réellement consultés.» Et Laurent Desarzens de reprendre et d’illustrer: «La municipalité avait dit qu’elle ne planifierait plus de mises à l’enquête durant les périodes creuses. Or, elle l’a de nouveau fait avec la consultation du projet de construction privé à la route de l’Avenir, qui s’est terminée à Noël 2013. Résultat, le projet est passé inaperçu et personne n’a eu le temps de s’y opposer.»
Autant de reproches qui, dans les rues de la cité, coagulent autour d’un surnom: Marianne la Bétonneuse. «Madame la syndique, Marianne Huguenin, ne décide pas seule. Mais c’est elle qui donne le ton. Qu’il soit généralisé ou pas, ce qualificatif détient une part de vérité», estime Nicolas Noël. A l’instar de ce citoyen, les Renanais sont nombreux à considérer que, de tout l’Ouest lausannois, leur ville détient la palme en matière d’urbanisme raté. Quant aux autorités, qu’ont-elles à dire pour leur défense?
Les divergences
«Je n’assume pas ce terme de bétonneuse, même si, pour créer du logement, il en faut bien», répond Marianne Huguenin, membre du parti Fourmi rouge - POP et Gauche en mouvement et syndique de Renens depuis 2006. «J’assume en revanche cette volonté que Renens se développe et change. Mais je ne crois pas que nous pratiquions une densification à outrance: nous allons moins croître que les communes qui nous entourent et 25 000 habitants prévus à l’horizon 2030 me semble raisonnable.»
Cette estimation s’expliquerait-elle par le fait que Renens, avec 6801 habitants au km2, connaît déjà une densité de population 2,5 fois plus élevée que celle du reste du district de l’Ouest lausannois, pour une superficie de seulement 11% de ce même district? C’est en tout cas après avoir rappelé ces chiffres que le Parti socialiste a récemment pris position contre la densification du quartier de Florissant. Et manifesté ainsi son soutien au groupe qui s’oppose à la construction de nouveaux immeubles à ses portes. Une hostilité qui froisse la syndique. «Nous privilégions la diversité et sommes conscients qu’il y aura toujours quelqu’un qui trouvera quelque chose à redire, réplique-t-elle. Si nous n’entreprenions rien, on nous reprocherait alors d’être figés.»
Autre cible des attaques, Tinetta Maystre. Membre des Verts, cette conseillère municipale est également directrice du Service de l’urbanisme et des travaux depuis 2006. Selon elle, les autorités de Renens entendent les voix dissonantes, y sont sensibles et attentives. «Nous cherchons d’ailleurs toujours à appliquer la démarche la plus participative qui soit.»
L’élue relève en outre deux points susceptibles d’éclairer ces frictions entre autorités et habitants. Le premier découle de visions divergentes. «Toute densification s’accompagne d’un équilibre: pour chaque nouvelle zone construite, un espace de verdure est protégé. Mais cela ne se voit pas forcément, car il s’agit d’une réflexion globale qui touche toute la région et non pas une commune séparément des autres.» Tinetta Maystre insiste sur l’effort d’arborisation des rues. Et cite le second souci central, à savoir le manque de patience. «Il est trop tôt pour juger. Plus les jeunes arbres vont grandir, plus ils seront présents. Avec le temps, la population saura s’approprier et apprécier ces quartiers.»
Les données inévitables
Tout ne serait donc qu’une question de points de vue selon les autorités, qui estiment que les habitants ont trop tendance à n’évaluer les choses qu’à l’échelle de leur quartier. Et soutiennent que la végétation garde une place centrale dans l’évolution de Renens. «Au cœur de la ville, par exemple, si nous avons dû abattre quinze arbres, dont beaucoup en fin de vie, nous en avons planté quarante-trois», indique Marianne Huguenin.
«C’est une question mathématique, réfute pourtant Lionel Maumary, biologiste et ornithologue, qui déplore cette emprise du sol toujours plus importante. A trop densifier, on grignote des surfaces qui deviennent irrécupérables. Quant au fait de planter de nouveaux arbres, il est louable. Mais il faudra attendre plusieurs générations avant que ces feuillus ne détiennent les mêmes vertus biologiques que les anciens, trop souvent abattus.»
Les deux municipales ne se laissent pas désarçonner pour autant. Et citent un autre élément incontournable: la faible marge de manœuvre que détient la ville. La commune de Renens ne possède en effet que peu de terrains, la plupart appartenant à des privés, et peine à en obtenir de nouveaux, faute de moyens et d’espaces à disposition. Une explication jugée trop légère. «Il est vrai qu’une ville qui possède de nombreux terrains, comme Lausanne, peut se permettre d’avoir les coudées plus franches, reconnaît Conchita Neet. Mais, même dépourvue de telles propriétés, la municipalité de Renens garde son mot à dire. Elle porte ainsi une certaine responsabilité et doit être à même de mieux négocier avant d’octroyer de nouveaux droits à bâtir, en exigeant plus de mesures contribuant à la qualité de vie et à l’efficacité énergétique.»
Les fronts se figent
Les responsables politiques tiendront malgré tout le cap. Et, face aux projets de développement qui s’accumulent, beaucoup s’interrogent: l’objectif final ne serait-il pas de redorer l’image de cette commune trop souvent dévalorisée? «C’est comme s’il y avait une volonté d’effacer la mémoire ouvrière de ces lieux», ressent Nicolas Noël. Tinetta Maystre ne s’en cache pas: «L’un des premiers buts de notre politique de développement du centre, lancée en 2005-2006, a été de changer ce blason très négatif.»
Les mécontents sont avertis. Reste que, la densification étant un processus par nature évolutif, de bonnes surprises peuvent toujours advenir.
Recette d’une densification réussie
Les ingrédients sont de nature environnementale, sociale et économique, les trois volets du développement durable.
- Intégration: le projet doit commencer par s’insérer dans le tissu urbain et préserver le patrimoine bâti et naturel. L’implantation de nouveaux logements ne doit pas bouleverser brutalement ou disloquer le tissu social existant. L’âme d’un quartier a mis du temps à se développer.
- Constructions écologiques: utilisation de matériaux locaux avec une empreinte écologique réduite. Une société à 2000 watts reste l’objectif à atteindre.
- Espaces verts et vivants: quelques arbres prétextes dans un univers minéral ne font pas l’affaire. La verdure doit être visible de toute part.
- Maîtrise de la mobilité: des transports en commun d’accès facile, des pistes cyclables, de confortables voies pédestres rendent l’automobile toujours moins nécessaire. Un trafic motorisé intense, source de pollution atmosphérique et sonore, est incompatible avec des espaces de rencontre et de convivialité.
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Participation citoyenne: cet aménagement d’ensemble doit être réalisé avec le concours actif des habitants du quartier, largement consultés.
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Activités multiples: pour éviter le danger d’un quartier-dortoir, place est faite à l’artisanat, aux services de proximité, aux arts de la scène (danse, musique, arts graphiques) et aux activités sportives. Le quartier doit être économiquement viable.
- Pilotage exemplaire: urbanistes, architectes, maîtres d’œuvre, élus et habitants ont la difficile tâche de trouver des compromis qui ne ternissent pas la vision originelle du projet. Lors de ce délicat processus, il est essentiel que la municipalité, directement concernée, reste garante du bon déroulement des opérations. Unie, elle doit savoir trancher, le moment venu, sans être perméable aux groupes de pression plus enclins à défendre leurs intérêts privés que ceux de la communauté. Philippe le bé